2 - La réponse communautaire prend le pas sur la réponse individuelle en matière d’assistance éducative
04 / 1996
"En 1980, j’ai été nommé juge des enfants au Neuhof, dans l’agglomération de Strasbourg. Il régnait dans ce quartier une telle violence qu’on l’appelait alors le quartier "haut-les-mains". Je constatais à l’époque une réelle rupture entre les institutions judiciaires et policières et les habitants. Celles-ci n’avaient plus aucune emprise sur les conflits qui s’y déroulaient et plus de moyens d’en réguler le cours. Il m’a semblé nécessaire d’adapter les modes de fonctionnement de la justice à ce quartier pour essayer de repousser la violence du non-droit et substituer les rapports de droit aux rapports de force.
S’agissant notamment de l’intervention du juge en matière d’assistance éducative, il m’est apparu nécessaire de substituer une réponse plutôt collective à caractère communautaire à une réponse strictement individuelle. Cette dernière avait pour effet, ici du moins, de renforcer les isolements et de favoriser les comportements d’assistance en exacerbant le sentiment d’échec des familles. Il fallait donc rompre avec ce processus d’assistance déresponsabilisante et faire en sorte que les usagers de la justice deviennent plus des sujets que des objets de droit. La démarche éducative communautaire devait favoriser cette modification des rapports entre l’institution judiciaire et son usager. Elle a pu être mise en oeuvre au Neuhof, dans le cadre de la tutelle aux prestations sociales. Cette mesure que le juge des enfants a la possibilité de prononcer, lorsque les prestations familiales auxquelles l’enfant donne droit sont détournées de leur finalité et sont utilisées à d’autres fins que celles de la satisfaction des besoins matériels de l’enfant, permet de contrôler l’utilisation de ces prestations. Il s’agit d’une mesure mise au service de la protection judiciaire de la jeunesse.
Traditionnellement, l’intervention d’un délégué à la tutelle auprès d’une famille, avait pour effet de favoriser un transfert de la problématique considérée de la famille vers le délégué à la tutelle. L’action communautaire a permis en cette matière de remédier à cette situation. Le délégué à la tutelle intervenait alors comme animateur du groupe de familles, son rôle consistait à donner aux familles des informations et outils techniques leur permettant de se sortir d’affaire, de maîtriser les modalités de la négociation directe avec les créanciers et, en somme, de se réapproprier ainsi la gestion de leurs difficultés.
Dans ce contexte, vingt familles ont accepté d’expérimenter cette pratique. Elles ont pu disposer d’un local devenu leur lieu de rencontres et de réunions. C’est à partir de ce lieu que des liens se sont tissés entre elles. Elles ont ainsi pu retrouver le goût d’entreprendre et d’initier des actions d’entraide et d’échange (Banque d’échange de vêtements, gestion du crédit à la consommation, coopérative alimentaire, démarchage d’emplois à domicile pour développer leurs ressources propres...)
Au bout de 9 années, les travailleurs sociaux ont constaté que la présence du juge dans la cité facilitait leur rôle. La Justice apparaissant plus accessible, leur travail en était allégé car ils avaient un juge auquel ils pouvaient immédiatement recourir en cas de tensions ou de difficultés. Par ailleurs, j’ai pu prendre en compte les problèmes de bandes et de délinquance et j’ai pu organiser des modes de réponse judiciaire à vocation plus collective. Une diminution de l’activité délictueuse de ces jeunes a pu, par la suite, être constatée. Globalement, à l’issue do cette démarche judiciaire de proximité, on a pu noter une diminution de 30% de la délinquance juvénile dans ce quartier, une réelle mobilisation des habitants sur les questions touchant à l’accès au droit et à la régulation des conflits du quartier. A partir de la mobilisation des familles, une association "S.O.S. Neuhof-Aide aux Habitants" a été créée. L’une de ses missions est la résolution des conflits du quartier par la médiation. Les équipes de médiation sont composées de trois personnes: un habitant à l’autorité morale reconnue, un juriste et le permanent de l’association qui instruit les dossiers.
Cette instance connaît 80% de réussite dans les médiations qu’elle assure. Outre les médiations, elle assure une aide aux victimes et réalise des modules d’accès au droit pour répondre à la demande locale. Cette association a passé convention avec la justice. De l’aveu même des services de police, on a pu constater un apaisement de la vie locale. Même si l’image extérieure du quartier était inchangée, ses habitants y vivaient mieux.
Si, pour sa part, la juridiction locale est restée très hostile à cette démarche qui a pris fin à mon départ, l’institution judiciaire quant à elle s’en est ensuite largement inspirée pour définir sa politique d’intervention de la justice dans la ville. Ainsi le développement des maisons de justice a beaucoup puisé dans cette expérience.
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, France, Strasbourg
Le bilan de cette opération a donné lieu à un document intitulé "Justice et quartier" publié par le Ministère de la Justice et la Délégation interministérielle à la ville. En 1992, La Fondation de France a souhaité développer une telle initiative sur l’ensemble du territoire français. Et dans le cadre d’une convention conclue entre elle et le Ministère de la Justice, elle a mis en oeuvre un programme national appelé "Accès au droit dans les banlieues" dont elle m’a confié la responsabilité. Aujourd’hui, grâce à cette action, une formation spécifique est donnée aux magistrats dans le cadre de l’Ecole nationale de la magistrature. Elle a vocation à dispenser une culture urbaine et susciter des initiatives correspondant aux besoins de justice et à la demande des populations des zones urbaines en difficulté.
Il est permis de dire que la justice de proximité renforce la légitimité de l’action judiciaire et du même coup son autorité.
Le texte correspondant à cette fiche a été scindé en deux. Voir la première partie sous le titre : "Quand un juge pour enfants adapte le mode de fonctionnement de la justice à un quartier en difficulté: 1- Les audiences foraines
Madame Claude BEAU est magistrat détaché auprès de la Fondation de France
L’auteur de l’article travaille pour l’Université de la paix de Namur.
Contact : Association SOS Neuhof Aide aux Habitants, 63 rue de la Klebsau, 67100 Strasbourg, Monsieur Boubacar BAL. Tel : 03 88 39 77 08.
Entretien ; Articles et dossiers
BAZIER, François in. Non violence actualité, 1994/01 (France), 176
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