04 / 1996
Depuis une vingtaine d’années en France, des femmes et des hommes agissent pour transcender les clivages (isolement, ignorance, différends, conflits...)qui privent la cité de dialogues entre les personnes et les cultures, d’espace de citoyenneté, en fin de compte de projets d’avenir.
A l’origine d’une demande de médiation, un médecin en Protection Maternelle et Infantile qui a constaté par exemple qu’une mère malienne, malgré les conseils d’une infirmière, n’a pas fait soigner ses deux jeunes enfants à l’hôpital. La personne qui exerce une fonction de médiation explique alors à ce médecin que lors de sa rencontre avec la famille et le père, elle a découvert qu’il n’était pas informé du problème car sa femme nouvellement arrivée du Mali ne connaissait pas le français ni le rôle d’une consultation PMI, "car chez nous quand on va au dispensaire, on nous soigne directement". Premier malentendu que la médiatrice a du désamorcer ainsi que bien d’autres. Par exemple, au pays, on ira consulter le marabout qui parlera de possession ou de mauvais oeil. Ici, nous parlerons d’un diagnostic établi par électro-encéphalogramme.
Depuis les différentes interventions de la médiatrice, le médecin, désormais plus vigilant, tente de bien faire comprendre le rôle des différentes structures médicales en France, à l’aide d’un traducteur s’il le faut. La famille malienne, quand à elle, se souvient que la PMI n’est pas le dispensaire et qu’il faut envoyer son enfant à l’hôpital pour les soins.
Parfois, la migration crée des situations de tension qui provoquent des conflits non seulement avec la société d’accueil mais aussi dans la famille. C’est le cas de cette jeune femme subissant les violences de son mari originaire du Zaïre et sans travail. L’assistant social juge, sans rencontrer le mari, que cette violence est pathologique et propose un placement. La médiatrice rencontre alors le mari qui vit très mal le fait de ne pas pouvoir faire reconnaître ses diplômes en France, d’être au chômage et de ne pas être consulté lors des décisions qui concernent sa famille.
La médiatrice s’épaule alors d’un sage d’Afrique de l’Ouest qui explique à ce mari déboussolé par sa situation en France les valeurs communes au continent africain. "Pour être respecté il faut d’abord respecter les siens en s’assurant de leur sécurité matérielle" déclare t-il en lui suggérant de rechercher activement du travail même si celui-ci ne correspond pas à son niveau d’étude. Le mari suivra les conseils du sage et retrouvera rapidement du travail et la considération de ses proches, ce qui lui fera abandonner progressivement toute violence. Comment l’assistante sociale comprendra t-elle que le mari a pu cesser d’être violent alors qu’elle ne connaît ni les facteurs sociaux (la migration et le chômage)ni les facteurs culturels (le rôle du père)qui sont à l’origine de cette situation ?
Ceci montre la difficulté de mener à bien une médiation car cette dernière doit réguler les interactions entre toutes les parties en présence et ne doit pas se contenter de rétablir le dialogue entre plusieurs membres d’une famille. Ce travail devra donc se faire également du médiateur vers l’assistants sociale pour que la communication soit restaurée non seulement dans la famille mais aussi entre la famille et l’environnement social et institutionnel.
Cette complexité grandissante de notre société est source de conflit avec divers services de l’Etat, et notamment avec les services sociaux, qui sont en fait peu préparés à affronter de telles situations. Qui plus est, ils sont partie prenante du conflit qu’ils provoquent parfois. Ils n’ont donc pas la bonne position pour aborder les difficultés ou le conflit. C’est pourquoi certains travailleurs sociaux décident de faire appel à un tiers extérieur à la communauté d’origine concernée et extérieur au service social également, et qui va permettre à des individus ou des groupes de mieux comprendre leur univers réciproque de codes, valeurs, comportements... Extérieur aux parties et sans mandat si ce n’est celui créé par la volonté propre et libre de chaque demandeur de médiation, il tente par sa présence de replacer chaque interlocuteur dans une position d’égalité, de responsabilité et d’écoute.
La médiation interculturelle intervient particulièrement au niveau de l’intégration des populations issues de l’immigration. Le médiateur tentera alors d’améliorer la compréhension et la communication des deux parties pour qu’elles trouvent elles mêmes une troisième voie à leur conflit et ne se retranchent pas vers des solutions toutes faites qui prolongeraient un statu quo stérile. Mais le médiateur interculturel n’a pas vocation à trouver des alternatives qu’il proposerait lui même aux parties afin qu’elles aboutissent à un accord. Sa tâche est de rendre l’assistanat inutile et non pas de le conforter. Le médiateur n’est pas celui qui fait passer la pilule plus facilement grâce à la confiance qu’il a obtenue. C’est un empêcheur de tourner en rond qui doit, avec toute son honnêteté et le respect de la déontologie de cette fonction, résister à toutes les tentatives des parties d’user de leur pouvoirs et ainsi de ne pas prendre leurs responsabilités. Cette fermeté est trop souvent négligée, voire ignorée par des acteurs de terrain qui s’autoproclament médiateurs alors qu’ils ne sont, en réalité, que des assistants sociaux bis qui font plus de mal que de bien.
La médiation interculturelle s’est développée en France essentiellement à partir des années 80 lors d’une nouvelle étape dans l’histoire de l’immigration, celle du regroupement familial. Le retour au pays est devenu, pour de nombreux travailleurs migrants, improbable. Les familles migrantes se retrouvent dés lors face au dilemme de préserver les valeurs de la société d’origine tout en s’adaptant à celle de la société d’accueil.
Par ailleurs, bon nombre d’institutions sont trop rigides dans leur fonctionnement pour adapter leurs services aux personnes issues de l’immigration. Et il en est malheureusement de même pour les Franco-français que la crise actuelle marginalise. La médiation interculturelle montre bien que l’intégration demande à chaque partie de faire un pas de l’une à l’autre. Les populations immigrées doivent respecter les règles de la société d’accueil mais elles doivent également être accueillies dans le respect de leurs identités.
interdépendance culturelle, médiation, conflit de voisinage
, France
Cette dynamique ternaire, qui comble une distance culturelle, ne doit pas occulter de multiples distances sociales qui sont toutes aussi, sinon plus, difficiles à combattre. Et c’est bien là l’enjeu de la crise sociale que nous traversons. "Mutation-migration ", le destin des immigrés est aussi celui de notre société toute entière. Pour faire face à la crise la France devra elle aussi s’inventer de nouvelles passerelles afin d’atteindre l’autre rive...tout en n’oubliant pas ce qui constitue ses fondements, c’est à dire les droits de l’Homme, de tous les Hommes.
Alain Ruffion est journaliste, membre de l’association "Médiateurs dans la ville".
Un code de déontologie a été élaboré par le Centre National de la Médiation, 127 rue Notre Dame Des Champs 75006 Paris.
Articles et dossiers
RUFFION, Alain in. Non violence actualité, 1996/02 (France), 199
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