Comment se préparer à la recevoir sans se laisser détruire
Jean Gabriel SENI, Benoît LECOMTE, Brigitte REY
03 / 1996
"Pendant 25 ans (1957/1982)mon groupement - à Fakéna, par Ouarkoye, au Burkina Faso - n’a pas reçu d’aide extérieure, pas de "projet". Nous nous sommes débrouillés avec la caisse populaire pour la culture attelée et avec nos cotisations, parce qu’avant de recevoir de l’aide, il faut avoir des résultats par soi-même.
Recevoir l’aide doit d’abord "se préparer" car elle doit venir en second. Elle ne peut pas venir au commencement, elle n’est ni un départ ni une fin. Il faut qu’elle soit ajoutée, associée à quelque chose. Je crois que tout le monde en a besoin, mais ce serait vraiment dommage qu’un groupement commence à s’organiser à partir de l’aide. C’est mauvais parce que souvent, après le départ des aides, le groupement ne peut pas continuer seul puisqu’il n’a pas été préparé. Je pense qu’un groupement qui s’est créé parce qu’il y a l’aide ne marchera plus par la suite parce qu’il n’était pas bien organisé et qu’il n’a rien fait avant que le projet ne vienne. Ainsi, le jour où le projet prendra fin, le groupement mourra ou il demandera toujours : "aide-nous, aide-nous".
Une bonne organisation des paysans est possible, à condition de ne pas sauter les étapes. La vie paysanne est liée à la société, à la nature, il faut donc aller lentement, il faut beaucoup de patience. Il faut accompagner, accepter les autres qui sont plus lents. Et puis dès le départ d’une organisation paysanne, il faut essayer de bien l’organiser, qu’il y ait des responsables qui se partagent les tâches permettant la bonne marche du groupement. Il faut qu’il y ait des responsables compétents et des contrôleurs, très engagés, sérieusement formés.
L’aide est risquée. Celui qui te porte ne pourra pas toujours continuer et finira par t’abandonner. Ce jour-là, tu ne sauras plus travailler. L’aide n’est pas facile, il faut savoir se préparer à la recevoir, savoir s’aider soi-même. Il faut prévoir son départ et comment tu vas vivre après. Il faut s’armer avec la formation, la connaissance, le savoir-faire. L’important c’est surtout de prévoir les problèmes que l’aide va apporter. Il ne faut pas hésiter à demander des conseils, à faire des formations sur différents thèmes. Cela permet d’être prêt à recevoir l’aide. Il faut aussi savoir la partager car l’autre problème est la jalousie. Les premiers ennemis sont les non-membres. Ceux qui n’ont rien préparé vont être jaloux de toi. Et puis tu deviens "l’ennemi" des bénéficiaires dès que l’association marche bien, c’est-à-dire au moment où il y a à boire et à manger, personne ne veut partager et personne ne veut prendre de responsabilité. Il peut être parfois bon que l’aide s’arrête, simplement pour mesurer les capacités, la bonne volonté et la prévision des groupements bénéficiaires. Pour voir s’ils peuvent continuer seuls. Si le financeur voit vraiment qu’en coupant l’aide, un groupement arrive à continuer à se débrouiller, il aura alors une double confiance pour continuer à l’aider. Il sait que les membres du groupement sont des gens qui se préparent à s’aider eux-mêmes et à aider les autres.
Voilà, je continue un peu avec les paroles des vieux Bwabwa qui disaient : "La mouche ne fait pas du miel". La mouche ne pique pas, mais elle ne produit pas de miel non plus. On peut comparer cela avec l’aide. l’aide, c’est comme du miel. Mais le miel, comme on le sait, ça se fabrique par les abeilles, et c’est un gros travail, risqué pour l’homme. Il faut tout d’abord l’herbe pour la ruche, et ensuite tu as une variété de bois pour la fumer. Ensuite, il faut savoir la mettre sur un arbre. Savoir comment la casser pour avoir le miel, et quand tu sors le miel, les abeilles ne te laissent pas, tu vas être beaucoup piqué. Il y a des gens qui tombent. Le miel est trop doux, c’est sucré, mais ce n’est pas facile d’en avoir, et c’est exactement comme l’aide. Si tu peux avoir l’aide, il faut prévoir toutes ces difficultés, tous ces problèmes qui la suivent".
agriculture paysanne, organisation paysanne
, Burkina Faso, Fakena, Ouarkoye
L’aide extérieure c’est attirant et "trop doux" et sucré comme le miel. Mais pour avoir le miel, il faut se préparer à affronter les abeilles : elles ne te laissent pas ...
Interview de Jean Gabriel Seni, président de l’Union des Groupements de Fakena - Ouarkoye, par Benoît Lecomte.
Entretien avec SENI, Jean Gabriel
Entretien ; Récit d’expérience
1989
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