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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

L’émergence d’un leader-paysan au Cameroun

Brigitte REY

08 / 1995

1970-1980

Dans son village de Bouzar, en pays Toupouri, au nord du Cameroun, Matthieu NENDOBE est responsable JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne). Sa formation acquise dans le cadre missionnaire, et le fait que lui-même ait opté pour un service en faveur du village, vont en faire un leader. Curieusement, Matthieu avance que ce sont ses frères du village qui l’ont nommé. Alors qu’il dit par ailleurs qu’il avait décidé de "rendre service au village". En fait, il semble qu’il y ait eu convergence d’intérêts : Matthieu offrait ses compétences au village et celui-ci optait pour ce fils qui revenait au pays. Il emporte d’ailleurs l’adhésion de tous les siens. Tous reconnaissent sa crédibilité et le qualifient de paysan-modèle. Sur le plan économique, il est qualifié de "riche toupouri" par les volontaires français qui animent la JAC. Sur le plan chrétien, il est crédible. Sur le plan social, ses positions nouvelles provoquent l’admiration : "Je pense que Matthieu était un des premiers paysans Toupouri à oser puiser l’eau au moment où sa femme accouchait. C’était spectaculaire de voir un homme chercher l’eau et le bois parce que sa femme attendait un bébé !", dit un voisin.

Localement, Matthieu exerce une véritable influence sur son entourage. Dans l’imaginaire Toupouri, le leader traditionnel doit témoigner de sa capacité à entrer en relation avec les ancêtres. Matthieu a manifesté sa volonté de créer des liens avec ce que les ancêtres ont réalisé, en faisant comprendre aux villageois que "maintenant, on allait améliorer les conditions de vie que nos ancêtres avaient expérimentées". De plus, il est capable d’indiquer une direction qui entre en résonnance avec les aspirations implicites du groupe. Matthieu, plutôt que de chercher à transmettre, cherche avant tout à dialoguer. "Quand j’animais la JAC, si je ne passais pas beaucoup de temps à discuter avec les voisins, la vie pouvait être compliquée" dit-il. Il se définit lui-même comme modèle et sensibilise son quartier à partir de sa propre pratique, de ses essais réussis. Par exemple : "Avant de vacciner, je préviens le chef et je lui dis qu’autrefois les poules ne mourraient presque pas, alors qu’aujourd’hui, tous ces animaux crèvent ! Or il existe des produits européens qui empêchent les maladies". Il me répond d’aller chercher les remèdes. Je pars donc acheter les médicaments. Mais je vaccine seulement mon quartier. Les gens paient par tête, une fois la vaccination finie. Je reçois bientôt des demandes de tout le village.

Autre exemple : "J’ai donné l’idée de faire un maraîchage au village. A Doukoula, les maraîchers viennent d’ailleurs et ils vendent bien leurs produits. Alors pourquoi pas nous ? J’ai fait des plants de tomates. Cela a bien donné ! Les gens m’en demandent". Il cherche des alliés et constate que les gens le suivent : "Maintenant, les gens sont prêts à faire du maraîchage; ils ont vu que c’était nécessaire".

Durant les années 80, Matthieu NENDOBE a été semi-permanent de la JAC pendant 6 ans, mandaté par les instances paroissiales et diocésaines. Il se sent alors investi d’une mission prophétique. Or, en réalité, son travail se résumait à une animation locale (réunions de la zone et de la paroisse). Plus tard, Matthieu fut directement touché par la restriction de l’espace d’intervention du semi-permanent : "A la fin de mon mandat, je ne coordonnais plus qu’une zone" dit-il.

1988. Déçu par sa fonction au sein de la JAC où "les responsabilités n’étaient pas assez larges", Matthieu s’en affranchit pour créer, en 1988, la PCIDRK (Promotion Collective des Initiatives de Développement à Kar-Hay). Il occupe un poste-clé dans cette organisation en assurant la coordination. "J’ai réalisé que c’était à moi de m’engager dans l’aide au développement de la région. A la JAC, on aurait dû avancer plus vite mais beaucoup de problèmes n’étaient pas pris en compte". A la PCIDRK, il fait le lien entre les autorités et les groupements paysans. Son rôle est plus grand qu’à la JAC. "Pour créer une association, cela demande volonté et courage. Il y a beaucoup de réunions, de voyages. On le fait bénévolement. C’est donc un sacrifice", dit-il. Il défend le point de vue que le développement ne doit pas être réservé aux chrétiens, contrairement aux pratiques de la JAC. La PCIDRK travaille en collaboration avec l’administration qui lui apporte ses conseils.

Mots-clés

agriculture paysanne, organisation paysanne, communauté religieuse, paysan, leader


, Cameroun, Pays Toupouri, Bouzar

Commentaire

Le mémoire de Marie-Christine SAVOURAT (qui a animé la JAC dans le diocèse concerné)décrit la genèse d’un leader qui fut animateur paysan, membre du mouvement JAC - entre autres - et s’est libéré de la tutelle ecclésiale pour créer une association autonome.

Source

Thèse et mémoire

SAVOURAT, Marie Christine, Université de la Sorbonne Nouvelle Paris VIII; Diplôme des Hautes Etudes des pratiques Sociales, Formation de leaders paysans ou autopromotion villageoise ?Cas de la JAC en pays Toupouri, Cameroun, 1980 1990, 1993

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