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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Quand les ONG suscitent des conflits dans le milieu en Afrique de l’Ouest

Bernard LECOMTE, Brigitte REY

11 / 1996

Mamadou Goïta, formateur malien qui a travaillé au Togo, au Burkina Faso et au Mali.

"Agissant de façon isolée, chaque bailleur a l’impression qu’il arrive sur un terrain vierge de toute dynamique. L’un intervient à droite, l’autre à gauche. Finalement, les gens ne s’y retrouvent plus; ils sont submergés par d’autres façons de faire. Les populations tentent de s’adapter à cette situation, essayent de jouer à droite et à gauche pour ne pas perdre des deux côtés et perdent parfois leur identité. Beaucoup d’organisations paysannes se sont disloquées parce que l’aide est venue créer une sorte de zizanie au sein du groupe. Des conflits ont surgi, autour de cette aide-là, parce que les gens qui l’ont aportée n’ont pas songé à la situation qui allait naître de leur intervention.

Tout va bien tant que les populations comptent sur leurs propres efforts mais une fois qu’il y a une intervention extérieure conçue à la hâte, les distorsions surgissent. A tous les niveaux, on peut trouver des conflits : au sein d’un groupement, d’une union de groupements, d’un village, etc. Certaines des activités aidées sont entreprises sur des espaces à conflits, déjà existants entre les gens. L’ONG qui aide n’en tient pas compte, car elle ne prend pas le temps d’analyser la situation, ni de repérer les problèmes non réglés entre les différentes communautés. Cela ne fait que mettre le couteau dans la plaie qui était, peut-être, en train de guérir. L’aide est à l’origine de beaucoup de conflits entre différents villages, jusqu’à des conflits armés.

Un exemple au Mali, non loin du village de ma mère. Un village avait une mare qui ne tarissait pas et les gens venaient pêcher et cultiver à côté. Une ONG a fait un barrage sur ce point d’eau avec l’appui du FED (Fonds Européen de Développement), mais sans une consultation de tous les acteurs concernés. Il y avait une diversité d’intérêts autour de cette mare. Des Peuls qui n’avaient plus leur bétail, étaient venus s’installer à côté pour cultiver. Certains habitants y pêchaient tandis que d’autres avaient emprunté des terres aux propriétaires pour les cultiver. Quand il y a eu le barrage et l’attribution des terres, les problèmes ont commencé à surgir avec de nombreuses protestations, des agressions verbales et physiques. Si le donateur de l’aide avait analysé, avant d’agir et d’une manière approfondie la situation, je crois que cela n’aurait pas eu lieu. Il y a plein d’exemples de ce genre qui montrent que l’aide venue de l’extérieur peut influencer, positivement ou négativement, la vie d’une communauté. L’aide doit être bien pensée "au dedans" du groupe avant d’arriver.

Ce qui est frappant avec l’aide, c’est sa rigidité dans la plupart des cas. J’ai rencontré beaucoup de situations dans lesquelles l’organisme d’aide vient avec des objectifs précis qui ont souvent été dessinés en dehors de la communauté à laquelle sera apportée cette contribution. Alors les gens n’arrivent plus à redéfinir les caractéristiques de cette aide en fonction des besoins qu’ils ressentent. Ni son contenu, ni sa forme ne sont maîtrisés par les premières personnes concernées. On a l’impression que la population travaille pour les donateurs de l’aide et qu’au moment de l’évaluation, les problèmes persistent sur des concepts de réussite et d’échec. Il y a une perte d’identité des organisations paysannes qui négocient ces interventions quand leurs dirigeants acceptent tout, pourvu que cela apporte l’argent ! En particulier quand la forme d’organisation est "imposée" aux habitants, ceux-ci ne parviennent pas à modifier les choses après, quand l’aide arrive. Dans un village du Burkina par ex, les agents d’une ONG du Nord sont venus financer la réhabilitation du barrage sans chercher à savoir ce que les gens voulaient en faire. Le barrage était là avec ses problèmes. Ils sont venus et, sans discuter, ils ont dit : "maintenant, nous allons réparer ce barrage et vous allez faire du maraîchage autour". Ils ont fait les études techniques sans se rendre compte que d’autres partenaires étaient déjà en train de réfléchir avec les gens. Ils ont réalisé un premier travail et finalement il y a eu tellement de problèmes que les gens ne savaient plus où donner de la tête. L’argent de l’ONG n’a pas suffi et un autre bailleur a voulu intervenir mais elle s’y est opposée. Elle a aussi ignoré le comité de gestion des terroirs. Son représentant était toujours là à dire : "attention, ce n’est pas ce qui a été convenu dans le programme". Un programme négocié en France ou quelque part ailleurs, en dehors de toute participation des premiers acteurs concernés".

Mots-clés

agriculture paysanne, ONG, bailleur de fonds, organisation paysanne


, Mali, Burkina Faso

Commentaire

Ces 2 exemples de conflits classiques à l’occasion d’interventions d’aide trop peu étudiées avec les divers groupes de population montrent le danger de négocier avec les dirigeants des ONG et des fédérations d’organisations populaires, loin des bénéficiaires et acteurs concernés.

Notes

Interview de Mamadou Goïta par Bernard Lecomte, Bonneville, décembre 1995

Entretien avec GOITA, Mamadou

Source

Entretien

GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement) - 228 rue du Manet, 74130 Bonneville, FRANCE - Tel 33(0)4 50 97 08 85 - Fax 33(0) 450 25 69 81 - France - www.grad-france.org - grad.fr (@) grad-france.org

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