Eliane Maheut est coordinatrice de formation dans le milieu maritime. Elle vit au Havre (Normandie), est mariée à un ancien pêcheur et a créé une association de femmes de pêcheurs.
"Quand Alex, mon mari, a acheté son bateau en 1983, j’étais un peu perdue devant le travail qui incombe à une femme de pêcheur : la gestion de l’entreprise. Je n’étais pas issue du milieu maritime mais ma formation initiale était la comptabilité. Pourtant, ça n’avait rien à voir avec ce que je connaissais. Comme je trouvais incroyable qu’il n’existe pas de formation spécifique, nous avons été voir le directeur de l’Ecole d’Apprentissage Maritime du Havre pour lui dire que nous aimerions bien avoir des cours de comptabilité et de gestion appliqués à notre domaine. Le directeur nous a dit qu’il allait essayer de faire quelque chose et de trouver des financements pour ça. J’étais persuadée ne pas être la seule femme à en avoir besoin. Le cours a finalement eu lieu trois ans après. En faisant le tour des bateaux, on disait aux pêcheurs : "il va y avoir un cours et ça serait bien que vos femmes viennent". Il y avait des femmes qui géraient un bateau depuis plus de 20 ans sans rien y connaître, seulement par logique, par bon sens, sans connaissances théoriques. Ca faisait longtemps qu’elles attendaient ça et elles sont venues d’autant plus volontiers. Nous étions douze femmes à suivre cette formation dispensée par le CEASM (Association pour le développement des activités maritimes). Certaines ne s’étaient jamais rencontrées jusqu’à ce jour. Le formateur nous a dit, à la fin : "Si vous avez envie de faire des choses ensemble, pourquoi ne formez-vous pas une association ?". C’est comme ça qu’on l’a créée. A l’époque, j’étais au chômage, et je me suis retrouvée présidente.
Il y avait une quarantaine de femmes dans cette association. Ca a été un mouvement assez fort et assez dynamique. Quand on a commencé, on s’est fait vivement critiquer par les hommes. Tant que c’était une association pour parler tricot, c’était très bien. Mais quand on a commencé à parler argent, investissement, responsabilité, c’était nettement plus difficile. Certaines femmes ne sont jamais venues aux réunions à cause de ça. Pourtant, du côté des hommes, c’était assez lamentable. Il y avait un comité local des pêches mais ils n’arrêtaient pas de se critiquer entre eux. On leur disait que si ça ne marchait pas, c’était de leur faute, qu’il y avait des élections et qu’ils n’avaient qu’à se présenter s’ils voulaient que ça change. A force de leur dire, nos maris ont commencé à en prendre conscience et c’est comme ça, qu’en 1988, Alex s’est présenté et a été élu alors qu’il n’y avait jamais pensé auparavant. Ca a créé toute une dynamique, les pêcheurs ont commencé à plus s’impliquer dans leur structure. Dans un monde d’hommes, c’étaient plus facile pour eux de faire bouger les choses que pour nous. A certaines réunions du comité local, nous sommes pourtant intervenues avec fracas. Quand on savait qu’ils allaient débattre de certains problèmes qui nous concernaient, on y allait.
Nous organisions tous les ans une fête de Noël pour les enfants de pêcheurs et c’était très sympa. C’était aussi la reconnaissance de ce que le monde de la pêche pouvait apporter à sa communauté. Auparavant, il y avait déjà une fête organisée par le comité local des pêches mais on ne s’y retrouvait pas. Un jouet était distribué aux enfants, les parents venaient boire un coup et repartaient. Nous n’étions pas satisfaites et nous avons été voir le comité local pour lui proposer de l’aider dans l’organisation. Il a fallu insister mais, à partir de là, nous avons fait une vraie fête, nous avons loué du matériel pour diffuser des dessins animés, nous avons organisé un goûter et un pot pour les grands. Tout le monde était très content. C’était un temps fort de regroupement où on pouvait se parler. Une autre année, on a fait venir un spectacle pour les enfants. Puis, les femmes qui s’en occupaient au début nous ont laissées tomber et ont commencé à critiquer de plus en plus. De plus, les moyens ont baissé. On a donc arrêté et, depuis, il n’y a plus eu de fête de Noël.
Nous avons également organisé des réunions d’information sur des sujets qui intéressaient les femmes comme la condition féminine ou la santé des enfants. On faisait aussi une soirée pendant la fête de la mer du Havre.
Parmi les actions de l’association, nous avons effectué des démarches pour adhérer de façon collective à une mutuelle. Même si l’association est en sommeil maintenant, cette mutuelle fonctionne toujours. Comme j’en suis la correspondante, je reverse encore à l’association le pourcentage perçu sur les cotisations. Il y a donc toujours un petit capital. On a organisé aussi des formations en comptabilité, gestion et informatique au Havre et ailleurs. Ainsi, quand les femmes de Dieppe ont pris connaissance de notre existence, elles nous ont demandé de mettre aussi des cours en place chez elles et on l’a fait. Après, les femmes qui avaient des besoins spécifiques ont transité par moi car c’est mon métier. On faisait un bilan personnalisé et je pouvais les orienter vers d’autres structures que la mienne. Je suis pour un décloisonnement. Qu’on se retrouve ensemble pour parler de problèmes spécifiques, c’est une chose. Mais si c’est systématique, on finit par se scléroser. C’est très positif que ces femmes en difficulté puissent côtoyer d’autres femmes de milieux différents, qu’elles sortent un peu de leur univers. Il est possible de répondre à des formations de groupes quand il y a des besoins mais après, il faut voir cas par cas car chaque personne est un individu qui n’a pas les mêmes aspirations qu’un autre. Quand je faisais un bilan, un double discours revenait souvent : les femmes voulaient travailler dans le poisson parce qu’elles pensaient qu’elles ne savaient faire que cela. En même temps, c’était parfois un secteur qui leur sortait par les yeux. Qu’elles soient dans une autre structure permettait qu’elle se rendent compte de leur potentiel."
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Quand les femmes se mobilisent pour la paix, la citoyenneté, l’égalité des droits
"Il y avait deux grands groupes dans l’association : un groupe qui pouvait se structurer tout seul en faisant des activités et un autre qui était en détresse sociale et là, il fallait accompagner. Ces dernières années, il y a eu pas mal de problèmes avec certaines femmes qui avaient de grosses difficultés sociales. On ne pouvait plus gérer ça, c’était pas dans nos compétences."
Entretien réalisé par Sophie Nick au Havre dans le cadre de la capitalisation d’expérience du CEASM. Eliane Maheut fait partie du conseil d’administration de cette association.
Entretien avec MAHEUT, Eliane
Entretien
CEASM (Association pour le Développement des Activités Maritimes) - Le CEASM a arrêté ses activités en 2001. - France