Depuis quelques années,l’association Geyser travaille au repérage et à l’analyse des pratiques innovantes des agriculteurs. L’innovation doit être comprise ici dans le sens d’une remise en cause des modèles dominants de production en agriculture: ce sont les pratiques habituellement qualifiées de "hors normes": tourisme rural, protection de l’environnement, produits fermiers, etc...
Dans la période actuelle de crise du monde agricole, les discours de la plupart des institutions du monde agricole sont favorables à l’innovation: la recherche de nouveaux modèles est de plus en plus considérée comme incontournable. Cependant, l’appui aux innovateurs n’est pas exempt de risques. Le principal est le risque de l’élitisme. En appuyant des individus ou des groupes porteurs de projets, on court le risque d’aider ceux qui sont déjà dans uns position favorable pour surmonter la crise, c’est-à-dire qui font preuve de dynamisme et qui disposent de quelques atouts, notamment de souplesse d’adaptation de leur outil de production. Les innovateurs ont-ils tous le souci d’entrainer dans leur sillage les autres agriculteurs ? Les innovations promues sont-elles porteuses d’avenir pour le plus grand nombre ? Si ce n’est pas le cas, l’appui aux innovateurs sera le premier pas d’un nouvel "écrémage", comme celui qui a eu lieu dans les années soixante.
Pour éviter ce risque, il faut s’interroger sur la crise actuelle et les enseignements que peuvent nous apporter les innovateurs dans la façon de la surmonter. La crise résulte de la rupture de contrats - implicites ou explicites - qui liaient les agriculteurs au reste de la société. Trois d’entre eux au moins sont en cause. Le premier, le contrat économique, faisait des agriculteurs les nourriciers de la nation: il n’a plus cours car l’objectif a été largement atteint. Le second, le contrat social, faisait des agriculteurs les détenteurs d’une partie des racines et de l’identité des français. Il est de moins en moins honoré, faute de lieux d’échange et de dialogue. Le troisième, le contrat naturel, confiait aux agriculteurs l’entretien de la nature: il a été trahi par le recours à des pratiques polluantes et destructrices.
Les innovateurs sont des gens qui, à travers des pratiques inhabituelles, tentent de renouer ces fils cassés: en produisant des produits de qualité, en gérant l’espace rural, en offrant aux citadins des lieux d’échange et de ressourcement. Comment y arrivent-ils sans renoncer pour autant à leur identité, sans renier leurs propres aspirations ? Comment repèrent-ils les demandes du reste de la société et comment les adaptent-ils pour les rendre compatibles avec ce qu’ils peuvent offrir ? Voilà les questions qui doivent guider notre observation des pratiques innovantes. Dans la conjoncture actuelle, favorable à une remise en cause des modèles, il importe de ne pas s’intéresser aux innovateurs seulement pour eux-mêmes, mais dans la perspective de donner la même liberté à ceux qui n’innovent pas. Il ne s’agit donc pas de trouver de nouveaux modèles, mais de chercher la possibilité pour tous les agriculteurs de s’affranchir des modèles.
agriculture, innovation technique, changement social, diffusion de l’innovation, technicien et paysan, développement rural, milieu rural, culture et développement
, France
Extrait des actes de la journée du 20 novembre 1993 "Innovations dans le monde rural"
Articles et dossiers
GUIHENEUF, Pierre Yves, AFIPARFRCUMAFRCIVAMCPO, 1994 (France)
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