06 / 1993
Une coopérative céréalière se diversifie vers les produits "bio". Pour créer une filière, elle met du blé et risque de perdre des plumes.
"Je veux être un catalyseur d’énergies latentes". Dominique Antoine, grand, yeux bleus, cheveux poivre-sel, anime une action originale. Elle suscite la curiosité du petit monde de la "bio" qui s’interroge sur ses chances de réussite. Le projet consiste à créer de toute pièce une filière agrobiologique dans la région Centre. La Franciade en est l’initiateur.
Diversification
La coopérative céréalière du Loir-et-Cher recherche de nouveaux débouchés. En 1990, ses dirigeants décident de conquérir le marché "bio", sans stratégie précise ni groupe de producteurs sur qui compter. Elle crée d’un poste de chargé de mission.
Au cours de l’entretien d’embauche, Dominique Antoine esquisse une démarche : "Etudier le marché, passer des contrats avec des clients et encourager la production". Sa proposition séduit, la Franciade lui donne carte blanche, il se donne quatre ans pour relever le défi. Le projet est ambitieux. Il faut à la fois organiser l’offre et capter la demande.
Les producteurs sont contactés via le GAB du Loir-et-Cher. Première difficulté : les convaincre de l’intérêt d’organiser la filière et leur assurer qu’ils ne perdront pas leur âme dans l’affaire. Une vingtaine d’agriculteurs franchissent le seuil de la coopérative. "Confrontés à des difficultés d’écoulement, ils ont perçu l’intérêt de l’organisation collective", explique Dominique Antoine. Depuis juin 1991, ils se sont constitués en groupement au sein de la Franciade. Un groupement de producteurs original dans sa forme puisqu’il est transversal et multiproduits. "Cela permet de prendre en compte l’approche systémique de l’agrobiologie et de créer des solidarités entre producteurs. Par exemple la gestion des effluents entre les éleveurs et les céréaliers".
La Franciade a pris des risques financiers pour amorcer la pompe. Au cours des deux premières campagnes, elle a proposé aux agriculteurs l’écoulement de leurs produits et des garanties de prix. Des engagements attrayants mais difficiles à perpétuer tant certains débouchés semblent aléatoires. Les premiers résultats s’avèrent contrastés. Prometteurs pour les céréales et les oléagineux mais plutôt décevants pour les légumes de plein champ.
Dominique Antoine a encouragé la production de courge, de pomme de terre et de tomate. Les difficultés ne tardent pas. Le distributeur Monoprix n’écoule que 100 tonnes de courge sur les 130 produites. Il exige un emballage sophistiqué qui accroît les coûts de revient. Le bilan commercial de la récolte de tomates n’est guère plus brillant. La Franciade cumule les handicaps : pertes élevées et écoulement vers un seul client. Elle supporte d’un côté des coûts élevés, de conditionnement et de transport (5 francs par kg), et de l’autre garantit un prix aux producteurs. Résultat : une perte de l’ordre de 1.5 franc pour chaque kg commercialisé. L’écoulement des pommes de terre est encore plus catastrophique ; l’acheteur potentiel ne tient pas ses engagements.
L’alimentation animale, un marché prometteur.
Malgré ces premiers revers, Dominique Antoine persévère. "Les nouveaux consommateurs viennent à la "bio" par les fruits et les légumes. Ils mangent également davantage de viande que les initiés". C’est pourquoi il mise beaucoup sur l’accroissement de la consommation de viande biologique. Notamment celle de volailles. L’alimentation animale est devenue un nouveau débouché pour écouler des céréales et des oléagineux biologiques car le marché de l’alimentation humaine est saturé. Ainsi, la Franciade écoule 110 tonnes d’aliment du bétail en 1991 auprès d’éleveurs de la région. Des tonnages dérisoires comparés aux quantités traitées par la filière classique.
Mais les perspectives semblent prometteuses. Entre 400 et 800 tonnes pour la prochaine campagne. A terme le cap des 10 000 tonnes paraît raisonnable si le marché progresse et si la qualité des aliments de la Franciade se confirme. La coopérative n’a pas hésité à tester différentes formulations. L’investissement s’avère fructueux car de nouveaux éleveurs s’adressent à elle. Aguerri aux dures lois du marché, Dominique Antoine prépare le développement de ce débouché, il tisse des relations avec d’autres groupes coopératifs, notamment du Sud-Ouest et assure l’animation d’une commission spécialisée au sein de la Confédération française des coopératives agricoles (Cfca);
A mi-parcours, Dominique Antoine tire les premiers enseignements de sa démarche. "La principale difficulté est de mettre en adéquation l’offre et la demande. Les délais de réponse ne peuvent être immédiats en raison de la durée de la reconversion". Un handicap qui oblige les acteurs économiques, producteurs comme transformateurs, à faire un pari sur l’avenir et à prendre des risques. C’est pourquoi il accueille avec prudence les aides à la reconversion. Sans un effort financier analogue en direction des structures de transformation, il redoute que l’afflux de produits ne déstabilise l’ensemble des acteurs. "Pour éviter cela, l’organisation de la filière doit anticiper et accompagner le développement de la production". Sans le vouloir, la Franciade a lancé une démarche qui peut faire école si l’expérience s’avère concluante.
Chiffre d’affaires (91): 2 milliards F.
Statut : Coopérative
Ventilation des principaux produits "bio" commercialisés en 91-92 : 345 tonnes de céréales - 75 tonnes de tournesol - 110 tonnes de courge - 150 tonnes de pommes de terre - 5 tonnes de tomates.
2.5% des produits "bios" dans le chiffre d’affaire.
FRANCIADE. 11 rue Franciade, BP 739, 41007 Blois cedex. Tél. : 54 55 89 00 , Fax. 54 55 88 00
Entretien
LOISEAU, V., FNCIVAM in. AGROBIOSCOPIE : analyses, opinions, expériences, 1992 (France)
FNCIVAM (Fédération Nationale des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural) - 71 boulevard de Sébastopol, 75002 Paris, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 44 88 98 58 - Fax : 33 (0)1 45 08 17 10 - France - www.civam.org - fncivam (@) globenet.org