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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Les sciences, la paix, les détenus et le physicien

Richard PETRIS

06 / 1993

A la suite de la communication aux détenus fréquentant la bibliothèque de la prison de Grenoble d’un questionnaire sur "la science, les scientifiques et la paix" par la bibliothécaire, celle-ci a eu l’idée d’organiser une rencontre avec un scientifique pour répondre à la demande de ceux qui s’étaient le plus intéressés à l’enquête. Le professeur Michel Soutif, ancien collaborateur du Prix Nobel Louis Neel et ancien président de l’Université scientifique de Grenoble, a donné son accord.

De telles occasions de rencontre (musicien, écrivain, personnalité)sont rares pour les détenus, l’administration pénitentiaire n’acceptant que parcimonieusement cette animation. Cette réunion rassemble quarante détenus dans la salle polyvalente de la zone de détention, avec la bibliothécaire et l’assistante sociale. Au total, cela fera deux heures pleines d’échange dans une ambiance d’écoute attentive.

Les détenus avaient répondu par écrit :

- non, la démarche scientifique n’est pas porteuse d’une morale

- c’est un comité d’éthique qui devrait contrôler l’usage fait des découvertes scientifiques et réorienter les applications de la recherche à des fins pacifiques

- les disciplines scientifiques qui pourraient éclairer les conditions et les actions qui favorisent la paix sont celles qui ont pour objet de connaissance les différents aspects de l’homme et de la société, la sociologie, la psychologie, la philosophie, etc.

- pour progresser vers la paix, il faudrait commencer par imposer le respect des droits de l’homme, moraliser les échanges commerciaux internationaux, instaurer le droit d’ingérence humanitaire pour aboutir à une fraternité des peuples.

Deux opinions principales s’expriment :

- on critique la science pour ses débordements militaires (la bombe)et civils (pollution), mais on reconnaît qu’elle est aussi facteur de progrès (les communications et la santé)

- on se veut réaliste parce qu’il y a le poids de l’économie, mais ces réalités économiques sont mal connues et ce serait aussi le rôle de la science de nous éclairer.

Les tenants de la première opinion attendent du scientifique qu’il prenne davantage position pour reconnaître la responsabilité des scientifiques dans le développement de mécanismes dangereux et incontrôlables et pour se prononcer sur le futur.

M. Soutif leur répond que toute invention finit par échapper à son auteur qui ne peut en maîtriser la diffusion, et qu’il n’est pas vrai "qu’un Prix Nobel puisse parler de tout et donner des avis sur tout ! "

Avec les ’réalistes’, il estime que "les vrais facteurs de guerre ou de paix sont politiques et donc essentiellement économiques" et que "c’est dans l’exercice de ses responsabilités civiques que le chercheur doit défendre la paix, ni moins ni plus qu’un autre habitant de son pays".

En conclusion, les détenus et le professeur tombent d’accord sur deux points :

- La tolérance et le respect des différences doivent être développés.

- L’information et l’éducation sont ce qu’il y a de plus important pour progresser vers la paix.

Mots-clés

éducation, paix, recherche, éthique, information, science et société


, France, Grenoble

Commentaire

S’agissant de détenus, on peut remarquer leur conception, morale et "carrée", du travail pour la paix : "imposer le respect..., moraliser les échanges..., instaurer le droit..."

En ce qui concerne M. Soutif, réticent à l’origine et d’un point de vue général à l’idée de s’engager dans une réflexion sur la paix qu’il craignait de voir dévier sur des prises de position politiques, et peu disposé à reconnaître le statut particulier du scientifique qui peut aider à la compréhension des problèmes, il insistait en définitive sur les vertus du dialogue et se félicitait de le pratiquer en un lieu voué à la répression et à la contrainte.

Dans cet univers carcéral, un lieu comme la petite salle de réunion - qui n’est autre qu’une cellule ordinaire- du groupe de travail de la bibliothèque de la prison et les activités qui s’y rattachent constituent bien un espace d’éducation à la paix, de construction de la paix.

Notes

La rencontre a eu lieu le 2 mars 1992, dans le cadre de la préparation au symposium sur l’éducation à la paix organisé par la Fédération des Oeuvres Laïques de l’Isère et Les Amis d’une école de la paix à Grenoble, les 27 et 28 mars 1992, à la Maison de la Culture de Grenoble.

Source

Entretien

GROUPE DE TRAVAIL DU CLUB DE LECTURE DE LA MAISON D'ARRET DE VARCES, ISERE (France)

Ecole de la Paix - 7 rue Tres-Cloîtres, 38000 Grenoble, FRANCE - Tél. : 33 (0)4 76 63 81 41 - Fax : 33(0)4 76 63 81 42 - France - www.ecoledelapaix.org - ecole (@) ecoledelapaix.org

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