02 / 1994
La volonté, de la part de la région de Sverdlovsk, de se transformer en république est intéressante à plusieurs titres. D’une part, au niveau local, elle mobilise le débat politique durant toute l’année 1993. D’autre part, elle est symptomatique des rapports entre le centre politique de la Russie et les régions, qui constituent un des enjeux actuel majeurs du pays.
Le 1er juillet 1993, les députés et l’administration de la région de Sverdlovsk proclament la République d’Oural sur le territoire de la région. Quatre régions voisines (Perm, Tcheliabinsk, Kourgan et Orenbourg)ainsi que deux régions autonomes sont invitées à y participer afin de constituer une vaste zone d’échange. Le but de ce changement de statut est, d’aprèsE. Rossel, gouverneur de la région, (in Lettres de l’Oural, n°2, septembre 1993), de "renforcer l’indépendance de la région, élargir ses droits en matière économique, politique et administrative, et surtout rapprocher les organes de décision des administrés".
Cette volonté de décentralisation est, semble-t-il, avant tout mue par des considérations économiques. Le problème des impôts que paie la région au centre est particulièrement fondamental. Selon la directrice de publication d’un journal régional, "80% de la valeur des richesses produites dans la région part sous forme d’impôts vers Moscou, alors que les républiques sont quatre fois moins taxées". Mr. Grebenkine, président du Soviet régional, donne un autre exemple : "en matière de privatisation, pourquoi 80% des actions d’une entreprise doivent être vendues contre des vouchers dans les régions, alors que dans les républiques, 35% des actions seulement sont destinées à un tel paiement? Le résultat pour nous est, cette année, une perte de 16 milliards de roubles". Une plus grande indépendance en terme de politique économique est donc au centre des revendications de la région. Il est important de constater que celles-ci sont systématiquement accompagnées d’engagements destinés à rassurer les autorités centrales. Il est clair que les dirigeants régionaux ne veulent pas être accusés de séparatisme et être associés aux vélléités indépendantistes de certaines ethnies de Russie. La proclamation de la République d’Oural souligne, entre autres, qu’il ne s’agit point d’une déclaration de souveraineté, ni d’une tentative de déstabilisation de la structure fédérale du pays.
Selon E. Rossel, "en proclamant la République d’Oural, les députés et le gouvernement de la région agissent en totale conformité avec la constitution actuellement en vigueur". C’est exact, puisque la constitution soviétique, alors encore en vigueur, prévoit, dans le cadre de l’article 70, 3ème partie, qu’une région peut accéder au statut de république sous deux conditions : l’accord dela population concernée et celui du Soviet Suprême de Russie. Au moment du référendum du 21 avril 1993, les autorités de la région de Sverdlovsk avaient rajouté une cinquième question concernant la transformation de la région en république. 83% des votants avaient opté pour le changement. Quant au Soviet Suprême de Russie, il faut attendre novembre 1993 pour qu’il fasse connaître son opinion. La proclamation n’est pas validée, le gouverneur E. Rossel est relevé de ses fonctions. Entre temps, en septembre-octobre 1993, la constitution de la République d’Oural avait été adoptée par le Soviet de la région de Sverdlovsk.
Les autorités centrales n’avaient pourtant pas toujours été hostiles à ce projet. Elles s’en étaient même servi au moment des revendications de souveraineté du Tatarstan, en indiquant aux autorités de Kazan qu’il existait peut-être des compromis plus acceptables. Mais, à partir du moment où la région de Sverdlovsk a décidé d’utiliser la voie constitutionnelle pour parvenir à ses fins, le pouvoir fédéral a réalisé qu’il ne pouvait se permettre de perdre une source de revenus non négligeable (rappelons que cette région est l’une des plus riches, sur le plan des ressources naturelles, de Russie). Il y avait donc un risque certain à accepterune perte de contrôle de l’économie de cette région. Par ailleurs, les autorités centrales n’avaient pas intérêt à créer un précédent en acceptant les revendications de la région de Sverdlovsk, car de nombreuses autres régions, en Sibérie ou en Extrême-Orient par exemple, poursuivent les mêmes objectifs.
Depuis décembre 1993, une nouvelle constitution est en place en Russie. Le statut du fédéralisme, tel qu’il y est défini, suscite des interrogations, donne une impression d’ambiguité et pourrait encourager des revendications régionales du même type que celles qui ont poussé à la création de la République d’Oural. En effet, l’article 5 alinéa 4, par exemple, précise que "dans leurs relations avec les organes fédéraux du pouvoir étatique, tous les sujetsde la fédération sont égaux". On peut imaginer, mais seule la pratique le confirmera,que les autorités de la région de Sverdlovsk se servent de cet article pour payer autant d’impôts au centre qu’une république. Par ailleurs, l’article 5 alinéa 3 énonce les fondements de la structure fédérale de la Fédération de Russie : intégrité de l’Etat, unicité du système de pouvoir étatique, division des tâches et des compétences entre les organes de la Fédération de Russie. En absence d’une clarification de cettedivision des tâches et des compétences, rien ne permet de dire si la Russie évolue vers un degré supérieur de fédéralisme ou de centralisme.
autonomie, décentralisation, constitution, indépendance nationale
, Russie, Oural
La nouvelle constitution, dans la façon dont elle formule le fédéralisme en Russie, peut être soupçonnée de perpétuer les relations entre le centre et les régions telles qu’elles existaient auparavant. Dans ces conditions, il ne serait pas étonnant que les régions manifestent également les mêmes revendications qu’avant. L’"affaire" de la République d’Oural n’est vraisemblablement pas close.
Enquête personnelle.
Texte original ; Enquête
DOMBROVSKAIA, Ioulia, FRANCE OURAL
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