04 / 1994
En juillet 1991, le Soviet Suprême de Russie adopte deux lois-cadres qui organisent le processus de privatisation des entreprises publiques. La grande privatisation concerne les entreprises employant plus de 1.000 personnes ou ayant une valeur comptable de plus de 50 millions de roubles au 1er janvier 1992. La loi prévoit que l’entreprise doit se transformer en société par actions et élaborer soi-même un plan de privatisation. Plus de deux ans après l’entrée en vigueur de ce processus, il est possible d’en dresser un bilan..
Avant toute analyse, il est nécessaire de comprendre que, de par son ampleur, la grande privatisation est en Russie un phénomène beaucoup plus complexe qu’ailleurs. En effet, si les entreprises publiques forment en Occident un secteur distinct des autres, elles représentaient en Russie l’économie toute entière. Pour que le processus de privatisation, soumis à de grands risques politiques et sociaux, puisse réussir, il doit s’effectuer trés rapidement (moins de deux ans)et sur une grande échelle afin d’éviter tout retour en arrière.
Bien sûr, l’objectif, en janvier 1994, n’est pas atteint mais 30 à 40% des grandes entreprises, en moyenne, sont passées du secteur public au secteur privé. La situation varie selon les régions : dans l’oblast de Sverdlovsk, en octobre 1993, 10% des entreprises en quantité et 24% en valeur ont changé de statut. De tels chiffres, bien en deça pourtant des prévisions, sont honorables et témoignent au moins de l’effectivité du processus.
Par ailleurs, l’objectif énoncé en 1991 par le président B. Eltsine de faire de la population russe des millions d’actionnaires semble en voie d’être réalisé. L’Etat avait, à la fin de l’année 1991, distribué à tous les citoyens des chèques de privatisation (vouchers)d’une valeur de 10 000 roubles, destinés à être placés dans une quelconque entreprise afin d’en devenir actionnaire. Ceux qui ne savent que faire de leur voucher ont la possibilité de le revendre ou de le confier à un intermédiaire, un Fond d’Investissement. Selon le Comité d’Etat pour la Gestion de la Propriété d’Etat, chargé d’organiser le processus de privatisation et dirigé par M. Tchoubaïss, aujourd’hui, 70% des vouchers distribués ont été utilisés (80% dans la région de Sverdlovsk). Derrière ces résultats relativement satisfaisants, se cachent des problèmes inquiétants. La confusion et la désorganisation qui règnent autour du processus ont engendré de nombreux effets pervers.
1)La philosophie égalitaire initiale du processus de privatisation est largement contredite dans les faits. D’une part, du fait de l’inflation, les vouchers sont souvent perçus par les petits porteurs comme des bouts de papier inutiles. Etant donné que les Russes ne sont pas obligés d’échanger ces chèques contre des actions, ils préfèrent souvent, ne comprenant pas bien le phénomène de privatisation, les vendre contre des roubles, ce qui a contribué à leur faire perdre de la valeur. En mai 1993, le voucher s’échange sur le marché contre 5000 roubles. Les Fonds d’Investisement profitent alors parfois de l’ignorance et de la naïveté de la population pour réaliser des escroqueries. Ainsi, la presse russe relate régulièrement des scandales tels que la disparition subite d’un Fonds d’Investissement avec les vouchers acccumulés, la promesse de dividendes mirobolants et le regroupement de Fonds afin de pouvoir parvenir à posséder la majorité des actions d’une entreprise.
D’autre part, tout le monde n’est pas égal devant le processus de privatisation. Il est clairque certains groupes sociaux possèdent des ressources (informations, argent, liens avec une administration corrompue et tenant les fils du processus, coercition)leur permettant d’être les réels bénéficiaires de la réforme en cours. L’ancienne monenklatura, les businessmen enrichis depuis la Perestroïka et les milieux criminels désireux de blanchir leur argent sont les plus à-même de profiter du processus de privatisation. Leur tâche est facilitée par une législation forcément lacunaire, parfois contradictoire. L’accès à l’information juteuse semble être un des atouts les plus importants pour s’enrichir grâce au processus de privatisation.
2)La privatisation d’une entreprise influe peu sur son état de santé, dans la mesure où 80% des actions sont, conformément à la loi, échangées contre des vouchers. L’absence d’argent frais empêche d’investir. Les 20% restants des actions sont destinés à être cédés lors d’enchères d’investissement, mais celles-ci ne font que commencer en Russie.
Par ailleurs, on constate une certaine permanence du comportement des acteurs à l’intérieur de l’entreprise. Les collectifs de travailleurs, censés profiter prioritairement du processus de privatisation, s’inclinent souvent devant les décisions des dirigeants, qui possèdentdes moyens de coercition concrets pour imposer leurs vues. Il est révélateur de constater qu’au sein d’entreprises privatisées, la pratique du vol ne disparait pas.
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3)Le processus de privatisation souffre enfin d’une vision trop centrée sur le court terme. L’objectif principal de la rapidité de la réforme entraine une absence inquiétante de réflexion sur la phase de post-privatisation. Le problème des monopoles est loin d’être réglé. La concurrence ne fait l’objet d’aucune législation. Dans une telle atmosphère, chaque acteur intervenant dans le processus est bien souvent mû par des objectifs exclusifs de gains immédiats. C’est sans doute le problème crucial des privatisations en Russie.
libéralisme, privatisation, entreprise, entreprise publique
, Russie
-une réforme d’une ampleur sans précédent..
- une législation forcément lacunaire, obligée de s’adapter aux dysfonctionnements de la réforme..
- un processus plus dominé par ses buts politiques que par de réelles considérations économiques, particulièrement sur le long terme.
Enquête personnelle.
Texte original ; Enquête
DOMBROVSKAIA, Ioulia, FRANCE OURAL
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