11 / 1994
Selon une étude pluridisciplaire du Programme des nations unies contre de contrôle international des drogues (PNUCID), dont la presse pakistanaise s’est faite l’écho, le nombre de consommateurs d’héroïne (essentiellement fumée ou inhalée)est passée de 1,4 million à 1,5 million entre l992 et l993. Le nombre d’usagers de cette drogue a augmenté de 8% par an en moyenne depuis l988, et, à ce rythme, atteindrait 2,5 millions en l’an 2 000. Contrairement à l’usage par injection, l’héroïne, dont une grande partie est détruite par la combustion, doit être d’une pureté élevée - de 20 à 60% - pour faire son effet. Il s’ensuit que le marché interne absorbe environ 80 tonnes d’héroïne pure. A un prix qui varie de 30 à 60 roupies le gramme (de 1 à 2 dollars US), cela représente un chiffre d’affaires de 1,2 milliard de dollars US. D’autre part, cela implique que les Pakistanais qui ne produisent guère que 15 tonnes d’héroïne à partir des 150 tonnes d’opium récoltées sur 7 000 hectares, importent d’Afghanistan de quoi fabriquer 65 tonnes d’héroïne (les saisies durant les neuf premiers mois de l’année se sont élevées à 3,5 tonnes). L’importance du poids économique du marché interne avait jusqu’ici été sous-estimé par les observateurs.
La même étude évalue à 1,3 million de dollars les profits que retirent les trafiquants pakistanais des exportations internationales d’héroïne. Mais les auteurs de l’enquête estiment que les réseaux de ces derniers s’arrêtent à leurs frontières et que la distribution de gros et de détail dans les pays consommateurs d’Europe et aux Etats-unis sont entre les mains de mafias locales. Cet a priori est discutable. En effet, on constate qu aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne (et sans doute dans d’autres pays européens, au Proche Orient, en Afrique, etc), il existe des réseaux pakistanais totalement intégrés de distribution qui contrôlent jusqu’à la consommation de rue. L’OGD estime que les profits que les trafiquants pakistanais tirent des exportations d’héroïne représentent de 2 à 3 milliards de dollars. D’autre part, l’étude affirme que les exportations de haschisch rapportent 200 millions de dollars aux Pakistanais. Les saisies ayant, en 1993, approché 250 tonnes, on peut estimer que les exportations contrôlées par les nationaux, même lorsqu’elles ont une origine afghane, représentent vraisemblablement près de 1 000 tonnes, pour une valeur à la frontière de près d’un milliard de dollars. Une partie de ces profits se trouve concentrée d’une part entre les mains des chefs tribaux de la Province de la Frontière du Nord-Ouest qui contrôlent les zones de transformation (ils siègent sur les bancs de l’Assemblée provinciale ou nationale); d’autre part entre celles de la classe industrielle et commerçante de Lahore et de Karachi qui exerce également un poids politique important. L’affrontement de ces deux groupes est au coeur de la chute de Nawaz Sharif en 1993.
drogue, production de drogue, circuit de distribution, trafic de drogue, économie, rôle de l’Etat, délinquance, toxicomanie, consommation de drogue
, Pakistan
Les résultats de cette enquête bouleversent un certain nombre de notions sur le trafic des drogues. Ils démontrent, pour la première fois sans doute, que le marché des pays producteurs, n’est pas seulement affecté par les retombées secondaire du trafic international, un moyen d’écouler des résidus ou des surplus. Ecouler 80 tonnes sur le marché pakistanais montre qu’il est un objectif pour les trafiquants. Effectivement 1,2 milliards de dollars est un pactole qui n’est pas à négliger. Reste à établir quel sont les profits tirés de marchés comme ceux de la Thaïlande (de 300 000 à 500 000 consommateurs d’héroïne injectée), de l’Inde et, en ce qui concerne la base de cocaïne, du Brésil.
Ces données ont également une importance considérable en ce qui conce rne le débat sur la légalisation. En effet, si les trafiquants sont capables de faire des bénéfices en vendant le gramme d’héroïne très pur de 1 à 2 dollars sur le marché pakistanais, ils peuvent considérablement baisser leur prix sur les marchés des pays riches : vraisemblablement moins de dix dollars. Les partisans de la légalisation des drogues suggèrent que l’Etat les taxe suffisamment pour dissuader les consommateurs, pas trop cependant pour ne pas souffrir de la concurrence des trafiquants, comme sur le marché de la cigarette en méditerrannée par exemple. Or, l’enquête sur la situation au Pakistan suggère qu’il faudrait pratiquement la distribuer gratuitement pour ne pas risquer de voir s’organiser un marché parallèle.
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Enquête
OGD=OBSERVATOIRE GEOPOLITIQUE DES DROGUES
OGD (Observatoire Géopolitique des Drogues) - France