11 / 1994
Financièrement, le Maroc offre une image paradoxale. Il dispose d’une comptablité publique établie par des administrations dotées de cadres formés dans les meilleures écoles, d’un outil statistique comparable à ceux dont disposent les membres de l’Union européenne. Le FMI a suggéré et approuvé les réformes structurelles engagées par le royaume lors de la renégociation de sa dette extérieure, mais le Maroc présente une singularité, un "trou noir" qui fournit un potentiel de blanchiment considérable. Couverte par le "secret défense", une contribution saoudienne d’un montant inconnu, permettait au Maroc depuis plus de dix ans de "boucler ses fins de mois", notamment en ce qui concerne ses dépenses militaires, fort élevées depuis la marocanisation du Sahara occidental. Cette contribution saoudienne étant inconnue, il serait facile d’y intégrer d’éventuels revenus obtenus du trafic de drogue et dont il convient de masquer l’origine.
En règle générale, le blanchiment dans les circuits financiers marocains est difficilement quantifiable. Cependant, de nombreux observateurs se sont inquiétés de la promulgation, en 1992, de la loi sur la création de places financières offshore, perçue comme une tentative de capter sur le territoire les revenus de la drogue. Il s’agirait, tout comme l’autorisation que vient d’obtenir une chaîne hôtelière américaine d’ouvrir trois casinos à Fez, Marrakech et Agadir, d’une forme d’encouragement conscient au blanchiment. La première de ces zones offshore a été installée à Tanger. A la fin de l’année 1993, deux banques s’y étaient établies : la Banque Nationale de Paris (BNP)et la Banque internationale de Tanger, filiale du Crédit Lyonnais et du Crédit du Maroc (lui-même détenu à 40% par le Crédit Lyonnais).
Les formes plus classiques de recyclage de l’argent sale sont aussi les plus visibles. "Le National Narcotics Intelligence Consumers Committee" américain rappelle que "l’importation en contrebande de produits manufacturés dans des pays où les droits douaniers sont élevés est une méthode classique, à la fois pour blanchir l’argent et pour augmenter les bénéfices. Elle permet au trafiquant de drogue de doubler ou tripler ses profits". De fait, l’économie du Maroc est sous l’influence d’une contrebande traditionnelle avec l’Algérie, l’Espagne - à partir des enclaves de Ceuta et Melilla - ou Gibraltar, "dopée" par le trafic de stupéfiants. Comme le résume l’universitaire Mohamed Naciri : "l’Etat a une politique ambiguë à l’égard de la contrebande. Les douanes font des contrôles sur les routes, à l’aval des marchés où tous ces articles sont vendus publiquement. Les bénéficiaires multiples de cette contrebande sont apparemment à l’abri. Un fait remarquable est la progression des marchés organisés de ces produits vers des villes du Sud : Taza, Fez, Rabat et même Casablanca. L’"intégration" du Maroc méditerranéen se fait à reculons. C’est la contrebande qui est en train d’envahir l’économie nationale et d’intégrer l’espace national à ses réseaux". Selon le ministère marocain du Commerce et de l’Industrie, en 1982, le chiffre d’affaires du trafic de marchandises était estimé entre 2,4 et 3 milliards de francs. En 1990, ce chiffre atteignait 4,5 milliards. Cette courbe d’évolution est trop proche de celle de l’extension des cultures et du trafic de cannabis pour qu’on puisse s’empêcher de penser que les deux phénomènes sont étroitement liés. Une "contrebande scientifique" est également apparue, dont les opérateurs se recrutent dans labourgeoisie d’affaires des grandes villes, particulièrement de Casablanca. Spécialistes de la falsification de documents et des fausses déclarations, bénéficiant de complicités dans l’administration douanière, ils sont des acteurs essentiels du développement du trafic de stupéfiants par fret maritime. Sans compter que les titulaires de comptes convertibles de promotion des exportations (les CCP-EX.)sont souvent sollicités par les trafiquants pour investir leur argent dans l’immobilier en Europe ou pour le déposer sur des comptes secrets en Suisse, au Luxembourg ou en Espagne.
Le secteur immobilier reste le refuge privilégié des capitaux de la drogue (la législation antidrogues permet de saisir les revenus de la drogue mais pas les biens des trafiquants). Les trafiquants sont à l’origine d’une flambée des prix, largement responsable de la crise aiguë qui frappe actuellement le secteur immobilier dans les villes du Nord et jusqu’à Casablanca. Rien qu’à Tanger, on compte officiellement 18 000 logements vides.
trafic de drogue, drogue, cannabis, recyclage des déchets
, Maroc, Casablanca, Tanger
Voir la fiche intitulée : "Le poids de l’argent de la drogue dans l’économie marocaine"
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Enquête
OGD=OBSERVATOIRE GEOPOLITIQUE DES DROGUES
OGD (Observatoire Géopolitique des Drogues) - France