04 / 1994
Dans cet article, l’auteur constate les limites des deux principales approches utilisées dans l’étude de la scolarisation de l’enfant migrant:
- les courants issus de la sociologie de l’éducation qui estiment qu’à catégories socio-économiques identiques, les élèves migrants ont des résultats scolaires semblables aux autres élèves.
- les approches basées sur la notion de "chocs de culture" qui voient dans l’origine ethnique la source de handicaps scolaires multiples (linguistiques, identitaires...).
Selon Manigand, ces deux approches ne permettent pas une compréhension suffisante de la problématique de l’enfant migrant. Il propose une nouvelle approche permettant de rompre avec l’utilisation mécaniste des "déterminismes qui est trop réductrice et qui ne permet pas de prendre en compte les initiatives individuelles". Sa méthode d’analyse est construite à travers les notions de trajectoire scolaire, d’insertion scolaire et de biographie. L’auteur note à juste titre que la classe n’est pas seulement un lieu où il faut faire face" en apprenant les ficelles et les trucs du métier d’élève (les hiérarchies, les tabous...)
L’auteur a choisi d’évaluer le degré d’insertion scolaire d’un élève étranger à travers trois critères:
- la forme de socialisation de l’enfant par rapport au groupe des pairs
- le niveau de participation de l’enfant par rapport aux activités de la classe
- les performances scolaires de l’enfant
M. Manigand appréhende l’insertion scolaire en utilisant la biographie car elle permet de tenir compte de toutes les variables pouvant influer sur l’insertion scolaire en évitant la simplification consistant à établir une relation causale entre le degré d’insertion et une ou deux variables seulement.
A l’école, il n’y pas seulement un élève, mais également un enfant avec une histoire familiale particulière. A la maison, il n’y a pas simplement un enfant mais également un élève marqué par son vécu scolaire.
L’enquête de terrain effectuée par l’auteur en milieu scolaire et familial concernait 14 enfants turcs scolarisés en Maternelle et en cours préparatoire dans une école de la région bordelaise.
Dans la deuxième partie de son article, l’auteur présente les trajectoires de deux familles particulièrement riches en enseignements. Les deux familles comme beaucoup de familles immigrés sont venues en France avec l’objectif de constituer un capital financier qui devait leur permettre après quelques années de retourner au pays avec une situation sociale plus confortable. Mais la précarité et l’instabilité des emplois n’ont pas permis de réaliser cet objectif. L’auteur introduit alors la notion de positionnement dans le pays d’accueil. En effet, la première famille a pu effectuer un virage en privilégiant la poursuite de la scolarisation des enfants et en ayant une perception moins idéalisée de la société d’origine, le projet de retour même s’il demeure une finalité, devient de moins en moins précis et n’est pas envisagé à court terme.
La deuxième famille par contre a une tout autre perception de la société d’accueil. L’intégration familiale n’est pas recherchée, la vie en France est considérée comme une période transitoire, une parenthèse provisoire.
Par sa volonté de se repositionner dans la société Française, la première famille va être amenée à établir certains compromis par rapport à la culture d’origine, c’est à dire à opérer des "écarts culturels"(souplesse dans le jeune du Ramadan par exemple). La scolarisation des enfants va avoir une valeur symbolique dans les écarts. De plus,les parents vont demander à rencontrer les maîtres, ils vont encourager leur enfant à bien travailler, ce qui n’est pas le cas des parents dans la deuxième famille qui se déchargent de la scolarité sur l’école.
L’auteur estime que ces deux trajectoires familiales illustrent la diversité des situations migratoires.
Trajectoire familiale et trajectoire scolaire se renforcent mutuellement. Par son degré d’insertion satisfaisant et par le statut de bon élève, une des élèves turques de l’échantillon a une perception favorable de l’école qui rejaillit sur sa perception de la société d’accueil. Cela amène l’auteur à exclure les explications préconçues pour justifier l’échec scolaire, il préconise une microanalyse sur le terrain pour chaque enfant en difficulté scolaire.
migration, échec scolaire, identité culturelle, immigré, éducation, école
, France, Bordeaux
La principale richesse de cet article est son caractère novateur dans l’approche des enfants migrants. Les scénarios établis à partir des différentes biographies permettent d’appréhender avec précision les difficultés d’intégration de certaines communautés en France. La biographie, par sa richesse qualitative peut être importante là où la recherche scientifique stagne.
Le fait que l’enquête concerne des enfants turcs nous amène à faire le lien avec certaines affaires de port de foulards islamiques qui ont défrayé la chronique ces dernières années. L’échec de repositionnement de certaines familles par un retour excessif vers la religion ne doit pas masquer le désir de la majorité des migrants à effectuer les repositionnements nécessaires pour s’intégrer dans les pays d’accueil. Mais, encore faut-il que les sociétés d’accueil par un engagement clair dans l’interculturalisme jouent un rôle de catalyseur: Et c’est peut être là la principale critique que l’on peut adresser à l’auteur qui n’aborde pas ce point.
Articles et dossiers
MANIGAND, Alain in. REVUE FRANCAISE DE PEDAGOGIE, 93/07/01 (France), N°104
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