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Contribution à la problématique du lien social

L’odyssée de Roberto, 3ème partie

Jean PAVAGEAU

12 / 1994

De ce retour à Tarecuato Roberto rêvait depuis longtemps; parti à l’âge de 16 ans, il a vécu durant ces quatre dernières années au 733 de la Findlay Avenue dans les quartiers Est de Los Angeles, une petite maison qu’il partage avec une dizaine de compagnons du Michoacán. Employé au nettoyage de magasins, il n’a pas ménagé ses efforts; la Chrysler qu’il a pu s’acheter est pour lui le symbole de sa réussite au Nord et un signe de la modernité qu’il va faire entrer dans son village. Au volant de sa belle américaine, Roberto se rappelle Tarecuato tel qu’il l’a quitté : un village tranquille mais tellement d’un autre âge. Comment va-t-il retrouver le village ? Il pense qu’on ne le reconnaîtra pas tout de suite, derrière ses lunettes noires, dans ses vêtements californiens. Quand il était en Californie, il songeait à Tarecuato comme il était du temps de son enfance: aujourd’hui qu’il est ici, il se rappelle que, avant son départ pour le Nord, la vie sociale avait déjà changé et que, comme bien des jeunes de son âge, il avait eu envie de découvrir d’autres horizons; c’est ainsi qu’il avait décidé de rejoindre ses cousins à Los Angeles.

C’est à partir de cet exemple au Mexique que l’auteur analyse l’émergence d’un nouveau lien social, à la fois origine et conséquence des transformations sociales qu’a connues la communauté; cette appréhension du lien social s’appuie sur l’étude des fondements historiques et anthropologiques de la communauté indienne de Tarecuato et de son évolution socio-politique et sur l’étude des pratiques de mobilité des jeunes de Tarecuato à travers le Mexique et vers les Etats-Unis ainsi que l’impact en retour de ces pratiques sur les transformations de la vie sociale au Mexique.

Qu’est-ce que le lien social ? La communauté de Tarecuato est en train d’opérer la transition classique, mais selon son génie propre, d’un système de solidarité mécanique à un système de solidarité organique; les gens de Tarecuato sont également en train d’expérimenter une solidarité de personnes en réseau, un nouveau lien social. Ce mot solidarité "sert à moraliser le discours politique, à provoquer la générosité ou la charité de masse, à exprimer aussi la recherche confuse de nouvelles formes du lien social. "Celui-ci peut se concevoir, comme le mode selon lequel un acteur invente en même temps qu’il reproduit son intégration dans les ensembles sociaux (BALANDIER). "Le lien social est le résultat final d’une multitude de processus d’intégration, très différents les uns des autres par leurs formes, leurs contenus, leurs acteurs sociaux" (BAREL).

L’approche de la transformation du lien social s’appuie sur une sociologie des pratiques sociales, mais aussi une sociologie des représentations; la mobilité des hommes et des biens s’accompagne d’une mobilité des modèles; la décision de partir est prise en référence aux nécessités de l’économie, mais aussi en fonction des besoins, des aspirations du candidat au départ, "les causes subtiles de la migration"; celles-ci prennent forme à travers des "images-guides", des représentations qui orientent l’action (CHOMBART DE LAUWE).

Les transformations du lien social sont largement le fait des transformations de l’imaginaire social. Gilbert DURAND distingue trois types d’imaginaire à l’oeuvre dans les sociétés : l’imaginaire d’opposition, l’imaginaire de fusion, l’image d’alliance. L’imaginaire d’opposition est basé sur les contrastes entre les éléments; les symboles de cet imaginaire représentent la verticalité, l’autorité. L’imaginaire de fusion nourrit une relation fusionnelle avec le monde et la nature, comme la mère avec son enfant et génère un lien social sous forme d’intégration totale, de "communion". L’imaginaire d’alliance est davantage tourné vers la recherche de relations et de complémentarités entre les éléments autonomes; il relie le présent au passé, le futur au présent; il perçoit les interrelations entre éléments antagonistes, le lien dans la dualité.

Ce qui nous intéresse ici, c’est surtout l’émergence d’un nouveau lien social à travers les pratiques de mobilité aux Etats-Unis, l’impact en retour de ces éléments de nouvelle culture sur la société de Tarecuato et la société mexicaine. Ces sociétés et ces jeunes en particulier ne sont-ils pas en train d’apporter leur contribution à la modernité du lien social ?

Les jeunes de la nouvelle génération se montrent plus libres, plus autonomes; ils intègrent plus sereinement leur condition d’indiens, de mexicains, d’américains; ils participent à leur manière en tant qu’acteurs au changement social et politique, à la transformation du lien social. La diminution de la violence en est sans doute le signe le plus visible. Ayant pris leurs distances par rapport à la communauté considérée comme source de liens bloquants, ces jeunes aspirent à l’expérimentation de liens libérateurs et le mythe du Nord va nourrir les projets de mobilité et de "nouvelle vie".

Mots-clés

relations sociales, acteur social, jeune, migration, interdépendance culturelle


, Mexique, Etats-Unis, Tarecuato, Los Angeles

Commentaire

Le processus migratoire est un phénomène ancien à Tarecuato comme dans tout le Mexique; si le phénomène de l’émigration tend à se perenniser, les formes dans lesquelles se font les migrations marquent une rupture pour les nouvelles générations; l’émigration à destination du voisin nordiste n’est plus ressentie par les jeunes comme une déchirure, mais comme le signe du commencement d’une nouvelle vie. La culture est de moins en moins perçue comme allogène; cette ouverture d’esprit forcée crée une mobilité d’ordre psychologique, moteur et support du processus migratoire.

Notes

Intervention au colloque "Transformations sociales : processus et acteurs", Perpignan, 1994, organisé par l’ARCI et l’Université de Perpignan.

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

PAVAGEAU, Jean

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