La métropolisation de la planète a produit de nouveaux groupes sociaux, de nouvelles cultures et des espaces nouveaux, reliés entre eux de manière inédite. La sociologie urbaine dont l’objet est l’homme dans la société urbaine ne saurait appréhender ces faits sociaux nouveaux à l’aide de méthodes et de théories anciennes, datées d’une époque où la croissance des agglomérations urbaines donnait encore l’impression de se faire sur un mode linéaire. Aujourd’hui, la linéarité n’est en principe plus de mise dans le processus de métropolisation, en Amérique, en Asie, en Afrique et peut être bien en Europe aussi. Pour saisir ce caractère non linéaire du phénomène urbain contemporain, il faut avoir recours à des indicateurs n’ayant pas fait leur preuve, des indicateurs qu’il nous faut dénicher dans les espaces les moins parcourus par les sociologues des écoles.
Parmi ces approches permettant de deviner les faits, les dires et les convulsions actuels de la métropole, nous en avons ici privilégié deux : une approche empruntée à la théorie du chaos et une approche empruntée à la poésie martiniquaise. A priori, rien de plus éloigné de la sociologie qu’un emprunt à la météorologie et à la thermodynamique d’une part, à la littérature créole d’autre part. C’est qu’il s’agit d’un a priori d’Occident qu’il nous faut apprendre à relativiser ou oublier, une fois le parti pris d’envisager la métropole latino-américaine en fonction de ses promesses et non pas de ses défaites, de chercher en quoi elle est un avenir qui se dessine confusément et non pas un passé qui se regrette déséspérement.
Nous faisons ici les hypothèses suivantes : la métropole latino-américaine est le résultat social et spatial d’un "chaos" historique, c’est-à-dire un désordre marquant le triomphe de la rupture et de la non linéarité sur l’organisation et la planification, en ce que cette opération d’aménagement a de plus coercitif et d’inadéquat. Ce triomphe est "nécessaire" cependant, et ne doit -paradoxalement rien au hasard ! Pourquoi ? Parce que l’histoire de l’Amérique urbaine a préparé, surtout depuis cinquante ans, ce "chaos", autant dû à un mode d’urbanisation discontinu, qu’à une histoire sociale fondée sur la fracture, la ségrégation et la violence (conquête). Mais elle est aussi fondée sur la fusion, l’unicité et le métissage (créolisation): ce chaos de la métropole est né et a donné lieu à sa créolité. Enfin, il nous semble que la métropole créole, chaotique, turbulente, à l’espace public non linéaire, diffracté, est prémonitoire : sa culture -vécue par la plupart comme une culture d’urgence- préfigure la culture urbaine d’ici, celle de la modernité inachevée de nos villes. Car s’il existe un lieu moderne, donc approximatif et urbain, détruit autant que bâti, il s’agit bien de la métropole d’Amérique latine, même si elle nous dit en partie ce que deviennent les métropoles d’Europe et des Etats-Unis.
Mais pourquoi chercher de nouvelles interprétations du monde ? La planification de la croissance a-t-elle échoué pour d’autres raisons que le manque de moyens économiques ou de connaissances techniques ? Oui, bien sûr : c’est la culture de la planification qui a échoué, puisqu’elle n’a pas réussi à penser la non linéarité de la métropole, ni même à observer sa progressive créolisation; la planification était blanche quand toutes ces villes devenaient visiblement capitales de la couleur, elle tirait des traits nets quand le principe de leur dessin était une errance autour de formes mobiles. C’est l’échec de la planification en Amérique latine et ses conséquences terribles pour tous les habitants exclus du "Plan directeur" qui nous pousse à formuler ces hypothèses.
C’est une manière d’éloge aux quartiers populaires auto-construits, chaotique non linéaire et explosante-fixes auquel nous nous sommes livrés dans le présent document, l’évocation aussi du génie de ses habitants, génie du malandro contre la dépersonnalisation des non-lieux.
L’étude du malandraje, de la créolité et du chaos de la métropole contribue à notre expérience d’élucidation de la métropole, notre tentative de comprendre le passage contemporain (le sous-terrain, peut-être)de la planification désorganisée à cet "ordre insurgé" qu’est le phénomène urbain latino-américain.
conflit, quartier précaire, interdépendance culturelle, planification urbaine, sociologie, conflit social
, Amérique Latine
Livre
PEDRAZZINI, Yves, 1995 (SUISSE); Références citées:; - E. Glissant. Poétique de la relation. Paris : Gallimard, 1990.; - J. GLEICK. La théorie du chaos. Paris : Albin Michel, 1989.; - Article paru IN : J.P. LERESCHE, D. JOYE et M. BASSAND. Métropolisations.
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