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La reconstruction de l’appareil d’Etat au Salvador

Philippe TEXIER

10 / 1995

Au Salvador, la « Commission Vérité » ne proposait pas seulement d’établir les faits sur un certain nombre de violations graves des droits de l’homme et de crimes perpétrés en douze ans de guerre fratricide, mais surtout de mettre en place les conditions d’une paix durable et de jeter les bases d’une réconciliation nationale. Ces recommandations se sont traduites par une réforme des institutions et par la redéfinition du rôle de l’armée.

Les accords de paix, signés le 16 janvier 1992 entre l’ancien gouverneur salvadorien et le Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN) précisent le rôle et les fonctions d’une armée dans un pays démocratique : la défense des frontières extérieures mais pas des poches de sécurité (intérieure). Ils stipulent également la création d’une police civile, la réduction des effectifs de l’armée et son épuration.

La nécessaire épuration de l’ancien appareil d’Etat

1. L’épuration de l’armée: elle s’est faite difficilement, avec réticence et retard. L’Etat-major militaire, impliqué dans des violations massives des droits de l’homme, n’occupe plus aucune fonction officielle. Ses membres n’ont cependant toujours pas fait amende honorable et la plupart sont toujours présents dans le pays.

2. La réduction des effectifs de l’armée: au début de la guerre, l’armée comptait 7 à 8000 hommes; puis, son effectif théorique a atteint 63 000 hommes. Après la signature des accords de paix, il a été réduit de moitié mais demeure nettement supérieur à la situation d’avant guerre. Il faudrait donc encore réduire les effectifs, mais en tenant compte des difficultés de reconversion et de l’ampleur du chômage.

3. La création d’une police civile est à mon sens le point le plus important de ces accords : les plus graves exactions ont été commises par divers corps de sécurité qui étaient en fait la seule police du pays pendant la dictature. Ils ont été dissous, à la différence de la « police nationale » qui ne l’est pas encore totalement, bien que le délai de deux ans prévu par les accords de paix soit aujourd’hui dépassé.

Il était d’autant plus difficile de dissoudre tout l’ancien appareil répressif que la formation de nouveaux cadres nécessitait du temps. Les candidats susceptibles d’intégrer la police nationale civile étaient, après examen :

1) d’anciens guerilleros du FMLN,

2) éventuellement, après un filtrage rigoureux, des personnes issues des anciens corps de sécurité,

3) de simples citoyens.

Mais dans les faits, les filtres étaient insuffisants, notamment à l’égard des anciens membres de la garde ou de la police nationale qui ont tenté d’intégrer en nombre les nouveaux corps. Il faudra exclure très rapidement ceux qui se sont rendus coupables de graves violations des droits de l’homme ou qui ont failli déontologiquement à leur tâche, car l’enjeu est considérable : il s’agit de restaurer la confiance de la population dans sa police, jusque là organe répressif.

Le processus engagé est-il suffisant pour prévenir les risques d’un éventuel coup d’Etat ? Des structures occultes telles les Escadrons de la mort ou les structures para-militaires n’ont pas été dissoutes. Or, nous assistons à une recrudescence d’assassinats, notamment des cadres du FMLN. Le plus gros risque se situe là.

4. Une Commission nationale sur l’épuration a été mise en place en 1992 pour une durée de six mois. Ses conclusions, qui coïncident avec celles de la Commission Vérité, ont été partiellement appliquées un an après sa dissolution : les principaux responsables (ministre de la défense, chef d’Etat-major, et quelques cadres intermédiaires) ont bien été démis de leurs fonctions, ainsi que les membres de la Cour suprême; un Conseil supérieur de la magistrature chargé d’examiner le dossier des juges et de proposer leur démission le cas échéant a été mis en place. Une nouvelle Cour suprême, pluraliste, existe, mais le pays manque encore d’un centre de formation à la magistrature qui prenne en compte les règles de déontologie inhérentes à la profession.

De tous les processus récents de pacification, la dynamique de paix au Salvador est celle qui a le mieux fonctionné, malgré l’insuffisante fermeté de l’ONU sur le désarmement des deux parties et des structures para-militaires et les rapports difficiles de la Division des Droits de l’homme de l’ONUSAL avec l’appareil judiciaire salvadorien. Le processus de paix a été rendu possible grâce, notamment, à la volonté du peuple d’en finir avec la guerre, à l’imagination des représentants salvadoriens aux négociations, à une sélection judicieuse des négociateurs onusiens, au soutien de l’ONU et de l’ONUSAL par les Etats-Unis et à celui du groupe des « pays amis » (Espagne, Vénézuela, Colombie, Mexique), et enfin, au pragmatisme du FMLN et de l’ARENA qui ont compris qu’aucune partie ne pouvait espérer une victoire militaire totale et définitive. A présent, même si la consolidation de la démocratie se joue sur plusieurs générations, la réelle volonté de changement des acteurs salvadoriens rend le processus de paix irréversible. Je ne crois pas à une nouvelle guerre.

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