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Les traumatismes chez les enfants dans les camps de réfugiés croates et bosniaques

Michel GRAPPE

10 / 1994

La composition de la famille réfugiée croate ou bosniaque est en moyenne de quatre à six personnes : la mère avec un à trois enfants et les grand-parents constituent une configuration familiale fréquente. L’absence du père est quasi constante : celui-ci peut être décédé à la guerre ou mobilisé dans l’armée; seuls 20% sont présents dans la cellule familiale.

Tous ces enfants ont subi un polytraumatisme psychique dû au cumul de plusieurs expériences dramatiques, qui ont pu se répéter, comme voir exploser des bombes, être confronté directement à la mort, perdre un proche, être blessé, être séparé de ses parents pendant des mois, rester sans nouvelles d’eux. La liste est longue des traumatismes et préjudices subis par ces enfants… Les conséquences, sur le plan psychique, de ce face à face avec des situations hors du commun entraînent chez beaucoup d’entre eux un syndrome psycho-traumatique. Pour aborder de manière claire la problématique de la souffrance psychique de ces enfants et les réponses éducatives et thérapeutiques à apporter, il faut distinguer trois groupes d’âges.

1)Les enfants âgés de 6 mois à 3 ans : ces enfants ont des troubles du sommeil avec des difficultés à l’endormissement et des réveils anxieux, comme par exemple de se lever dans leur lit, de crier; ou encore de ne pas reconnaitre leur entourage. Ces symptômes habituels n’ont rien de spécifique, ils expriment une angoisse sous-jacente. Mais surtout ils s’agrippent à leur mère pendant le sommeil, phénomène dit de l’« enfant crampon ». Dans la journée ils ont tendance à s’accrocher à leur mère et manifestent par la colère ou des réactions de dépression si on les en sépare. Cet attachement anxieux est courant à cet âge, mais revêt en général une intensité bien moindre. Dans les circonstances étudiées, il apparait beaucoup plus comme le reflet d’une souffrance du groupe d’adultes que d’une angoisse profonde chez l’enfant.

Les mères présentent des troubles anxieux voire dépressifs qui se répercutent sur les enfants jeunes et accentuent l’angoisse de la séparation. Dans les catastrophes, et dans les guerres a fortiori, ces réactions proches des réactions de défense sont nettes. Il s’agit donc de restituer un climat minimal de confiance chez les réfugiés pour que ceux-ci puissent retrouver une vie psychique qui ne soit pas complètement submergée par le vécu de la guerre.

Une des premières tâches pourrait être de proposer aux mères de participer à des groupes de paroles où elles pourraient se confier, voire découvrir que leur souffrance - avec tout son cortège de symptômes (insomnie, cauchemar, flash-back avec des images d’horreurs)- est partagée par beaucoup de personnes et n’existait pas avant l’évènement traumatique. Ces réunions pourraient évoluer vers une demande de psychothérapie de groupe. L’organisation d’un mode de garde séquentielle pendant la journée est également importante : elle soulage les mères et leur donne un espace/temps sans les enfants. Au début, les enfants acceptent mal cette séparation, puis ils commencent à s’habituer et à prendre du plaisir avec d’autres enfants et dans le jeu. Ils sortent d’un monde d’adultes trop pris dans la réalité des faits et développent à nouveau leur vie imaginaire. Les mères, moins angoissées, retrouvent une capacité de rêverie, et ne voient plus l’enfant uniquement comme un être en danger quasi permanent qu’il faut hyperprotéger.

2)Les enfants d’âge scolaire : la souffrance peut passer inaperçue chez ces enfants que l’expérience de la guerre a fait basculer dans un monde d’adultes. Cette hypermaturité masque leur malaise. Il faut noter que leurs parents et les enseignants s’accordent à dire en général que tout va bien. Lors d’entretiens spécialisés, cette adaptation de surface laisse apparaître les symptômes habituels d’insomnie, de cauchemars et surtout des troubles de la concentration qui vont gêner les apprentissages, alors que la priorité pour ces enfants est la scolarisation. Dans un deuxième temps, il est nécessaire d’évaluer l’importance des effets du traumatisme. Celui-ci peut aller d’une simple perturbation du sommeil à une modification complète du comportement, comme par exemple un semi-mutisme avec des attitudes de retrait du monde social. D’où l’importance de discuter de la pertinence d’un traitement psychothérapique.

3)Les adolescents : ils peuvent présenter très peu de symptômes et ne pas demander d’aide. Pourtant il faut considérer ce groupe d’âge à haut risque même pour des jeunes conscients de leur histoire traumatique et sans idée de revanche. A la crise classique de la phase d’adolescence se surajoute, pour eux, une crise venant de l’extérieur à laquelle ils doivent faire face avec un sentiment d’impuissance (le réfugié n’a plus de choix, il subit sa dépendance aux bonnes volontés extérieures). Les parents sont très angoissés par l’approche de l’âge de la conscription pour leur fils, ce qui ajoute aux tensions intrafamiliales. Outre les problèmes de scolarisation, les préoccupations sont de trois ordres : - les risques de passage à l’acte violent sous-tendu par un désir de revanche; - la prise de substances psychoactives (drogues, alcool); - la fréquence de signes de dépression et de conduites suicidaires ou de tentatives de suicide souvent banalisées par l’entourage.

Conclusion : les enfants réfugiés ont vécu une expérience traumatique inouïe pour leur âge et les séquelles peuvent être un obstacle à leur développement futur tant intellectuel que psychologique. Il est possible de les aider en organisant leur scolarité et un suivi psychologique adapté. Toutes nos observations, à partir d’une présence sur le terrain, montrent que les adultes ont tendance à perpétuer, malgré eux, les effets du traumatisme par leurs discussions incessantes sur la guerre et la projection de leur angoisse sur les enfants. La question thérapeutique doit envisager le fait que les enfants, mais aussi leurs parents, ont besoin d’aide directe.

Dans leurs rencontres avec les réfugiés, les équipes venant de l’extérieur vont être confrontées à des récits et des catastrophes individuelles et familiales très dures. Les fantasmes agressifs et dépressifs sont reçus par les personnes extérieures, ce qui n’est pas sans conséquences au niveau conscient et inconscient. Cela nécessite une élaboration du travail en cours pour canaliser les souffrances de chacun et éviter les contre-attitudes négatives. Les intervenants extérieurs ont aussi besoin de ne pas être pris dans une hyper-identification à la souffrance des réfugiés. Des groupes de supervision pour les professionnels sont nécessaires, surtout dans les suivis à long terme où le risque de lassitude et de réactions dépressives est quasi constant. Les personnes qui dénient les moments de souffrance que l’on ressent dans ces situations prouvent leur incapacité empathique; il est donc préférable de les écarter de ce type de projet.

Mots-clés

santé mentale, réfugié, traumatisme psychique, enfant, aide psychologique


, Croatie

dossier

Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie

Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix

Notes

L’auteur de la fiche est un psychiatre français, spécialiste des névroses traumatiques de guerre. Il a effectué une série de missions en Croatie, au sein d’équipes pluridisciplinaires.

Fiche envoyée suite à l’appel international à contribution lancé par la FPH pour l’organisation de la rencontre internationale sur la reconstruction du Rwanda (Kigali, 22-28 octobre 1994)co-organisée par la FPH et le CLADHO(Collectif des Ligues et Associations de défense des Droits de l’HOmme).

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