Initiatives civiques dans une région européenne en conflit
10 / 1994
L’Assemblée des Citoyens d’Helsinki (HCA)est un réseau international d’ONG oeuvrant en faveur de la construction de la paix et la défense des droits humains, qui possède des antennes dans pratiquement tous les Etats membres de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe). Son objectif principal est de mettre en place « par le bas » une intégration pacifique et démocratique de l’Europe de l’Est et de l’Ouest. La résolution pacifique des conflits dans les régions d’Europe en guerre est l’un de ses principaux centres d’intérêt. C’est dans ce cadre que s’intègre le projet de Dialogue Transcaucasien de la HCA, qui tend à encourager les initiatives civiques entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur le Nagorny Karabakh, et en Géorgie, impliquant l’Abkhazie, l’Ossétie et le Caucase du nord (russe).
I- Quel rapport avec le conflit du Rwanda?
Bien sûr, le nombre de victimes estimé à environ 30000 pour les deux conflits n’est pas comparable à celui du Rwanda. Pourtant, il existe des similitudes frappantes concernant à la fois les origines et les conséquences du conflit, ainsi que le rôle de la communauté internationale.
1- Personnes déplacées : la similitude la plus frappante entre les conflits du Caucase et du Rwanda est l’importance des réfugiés. Les guerres au Nagorny Karabakh et en Abkhazie ont provoqué le déplacement de 1,5 million de personnes, concentrées sur un territoire réduit. La plupart des réfugiés sont victimes de violents « nettoyages » ethniques. Les conditions de vie dans les camps de réfugiés et les centres surpeuplés, surtout en Azerbaïdjan et en Géorgie, sont abominables, sans réelle perspective d’un retour sans danger.
2- Génocide : La deuxième similitude est le transfert forcé de population par « nettoyage » ethnique à petite dose. Bien que, d’après les normes internationales, le Caucase ne soit pas une région touchée par le génocide, les craintes et les allégations de génocide pèsent d’un poids important. Les Arméniens, en particulier, ont perçu le conflit armé dans l’enclave du Nagorny Karabakh comme la continuation des massacres de 1915 par la Turquie. Les Azéris ont tendance à s’aligner sur le démenti officiel turc du génocide. Les deux parties utilisent une propagande reposant sur des atrocités afin de faire valoir leurs revendications.
3- Déportation de masse : Les motivations et les justifications des conflits de Géorgie et du Caucase du nord sont envahies de souvenirs, déformés ou non, de la terreur stalinienne. Cela vaut en particulier pour le conflit entre les Ossètes et les Ingouches, qui subirent des déportations massives vers l’Asie centrale en 1944. La méthode stalinienne n’était pas le génocide mais « l’omission » totalitaire : les cartes et les manuels d’histoire ont été modifiés, comme si les communautés ingouches n’avaient jamais existé. De retour dans leurs anciens villages, ils sont maintenant confrontés à des conflits territoriaux extrêmement violents.
4- Démission de la communauté internationale : la réponse inappropriée de la communauté internationale, son absence virtuelle dans la région du Caucase fait partie d’une tradition : la SDN en son temps ne fit presque rien pour les victimes arméniennes des massacres et les alliés occidentaux facilitèrent même les déportations des Ingouches. Actuellement, en dehors de la mise en place d’un mécanisme de cessez-le-feu dans le Haut Karabakh, rien n’est fait. Comme au Rwanda, les ONG internationales prennent la tête dans les domaines de l’aide humanitaire, du contrôle des droits de l’homme et de la (re)construction de la société civile.
II- Initiatives civiques
Le Dialogue Transcaucasien est fondé sur des contacts et des relations amicales régulières « inter-conflits » entre citoyens des divers Républiques. Le HCA facilite ces contacts, fournissant une plate-forme internationale civique à des déclarations et des actions communes.
1- Au cours d’une Caravane de la Paix internationale de la HCA en août 1992, des « tables rondes » se sont tenues dans toutes les capitales de la Transcaucasie, instaurant des comités HCA en Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, ainsi que dans l’enclave du Nagorny Karabakh. Une attention particulière est portée à la création de symboles politiques, comme notamment la rencontre des deux coordinatrices des comités de paix arménien et azéri, récompensées, en 1992, par le Prix Olof Palme de la Paix. Autre exemple : la région limitrophe du Kazakh- Ejevan, où les Arméniens et les Azéris s’étaient rencontrés pour la première fois afin de dialoguer, a depuis été déclarée « couloir de la paix » par la HCA. Bien que cette région soit ensuite devenue un lieu très conflictuel, les réunions traditionnelles qui s’y tenaient ont repris après le cessez-le-feu. La percée se caractérise ici par des négociations entre les résidents et les réfugiés du Nagorny Karabakh, abordant les problèmes d’un futur commun.
2- En dehors des actes symboliques à signification politique, la continuité du dialogue est garantie par une coopération active dans le domaine de la protection des droits humains. Les comités de la HCA ont mis en place un groupe de travail commun d’anciens otages pour s’opposer aux abus flagrants du droit humanitaire international. Etant donné que l’enlèvement et le « commerce » de civils sont devenus une pratique courante de guerre, ce groupe de travail joue un rôle pionnier, améliorant l’autorité de la loi.
Enfin, on peut affirmer qu’une action coordonnée pour retrouver les personnes disparues, en enquêtant sur place dans les prisons privées et les camps de détention et en insistant pour leur libération, est une façon concrète de contrecarrer la propagande mentionnée ci-dessus. L’expérience accumulée ici pourrait être d’une utilité directe aux militants des droits humains dans d’autres régions en conflit.
3- Grâce aux tables rondes de la HCA, les réseaux informels de militants des droits humains, dont beaucoup étaient des intellectuels dissidents pendant la période soviétique, furent conservés plus ou moins intacts. Allier une action de défense des droits humains à la commémoration des victimes du totalitarisme stalinien était un moyen efficace de traiter de l’héritage historique commun et de s’opposer aux mythes nationalistes et ethnocentriques.
4- Depuis les premières réunions à Kazakh-Ejevan, les comités ont fait beaucoup d’efforts pour rendre les contacts politiquement visibles, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. A la demande de tous les comités, la HCA met actuellement en place un Bureau international à Tbilisi en Géorgie. Hormis sa fonction pratique de liaison, il sert à instaurer (ou restaurer) la confiance en la communauté internationale et constitue également un exemple normatif, indiquant les façons de rendre le rôle des agences et des mécanismes de l’ONU et de la CSCE plus actif dans la prévention et la résolution des conflits violents.
réseau de citoyens, médiation non gouvernementale, responsabilité citoyenne, dialogue interculturel, solidarité, construction de la paix
, Azerbaïdjan, Arménie
Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix
L’auteur de la fiche est le coordinateur néerlandais du réseau européen HCA (Helsinki Citizens’ Assembly) en Trancaucasie, et membre du secrétariat international du HCA pour l’Europe occidentale, dont le siège est à La Haye (Pays- Bas). Texte original rédigé en anglais.
Séminaire sur la reconstruction du Rwanda, Kigali, 22-28 octobre 1994.
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