Luiz Alberto GOMEZ DE SOUZA, Claire MOUCHARAFIEH
10 / 1994
Avec l’engagement du processus démocratique à partir de 1985 et le retour des élections libres au Brésil, les partis politiques ont retrouvé la possibilité de se développer en toute autonomie et l’on a assisté au renouveau du mouvement syndical, affranchi de la tutelle jusqu’alors incontournable de l’Etat et dès lors plus combatif. Cette nouvelle donne a entraîné une recomposition des mouvements relevant de la société civile et du tissu associatif.
1. Le rapports avec l’Etat : conséquence de la situation antérieure, l’Etat suscitait une certaine méfiance. Il importait donc de préserver son autonomie et d’éviter toute cooptation par le pouvoir politique, mais la volonté de s’en affranchir entièrement relevait sans doute d’un purisme par trop idéaliste. Il est en effet essentiel que les associations de la société civile fonctionnent en bonne articulation avec les organes du pouvoirparticipent au processus décisionnel pour tout ce qui concerne les questions sociales (éducation, santé, transports, emploi, etc.)et aient accès au financement assuré par l’Etat lui-même.
2. Privilégier l’espace local : il existe à l’heure actuelle un certain effort en faveur de la décentralisation des services sociaux (santé, éducation, logement), ce qui devrait faciliter le dialogue entre société civile et société politique, tout du moins au niveau local.
Dans le cas d’un pays aussi vaste que le Brésil, il est important de bien faire la différence entre les différents niveaux du pouvoir politique : l’Union (l’Etat national), les différents Etats de la Fédération et, surtout, le pouvoir municipal, détenu par les « prefeituras » (détentrices de l’exécutif municipal) et les « câmaras de vereadores » (conseils municipaux), élus au suffrage universel direct. C’est à l’échelle municipale, celle de l’espace local, que l’articulation entre société civile et société politique peut le mieux fonctionner.
On a assisté ces dernières années à des expériences intéressantes de conquête du pouvoir municipal par des partis populaires. Ainsi, le Parti des Travailleurs, qui a placé des représentants dans les « prefeituras » de capitales d’Etats telles que Sao Paulo, Porto Alegre, Belo Horizonte ou Vitória et peut espérer, cette année, remporter le mandat de Gouverneur de Brasília, la capitale du District fédéral. C’est un nouveau mode de gouvernement qui s’esquisse dans le pays.
Expérience créative, le budget participatif a permis, à la faveur de discussions menées dans les quartiers urbains, de définir les priorités en matière de services et d’associer les habitants à la planification des dépenses municipales. Plusieurs membres des administrations municipales concernées avaient d’ores et déjà acquis, en tant que dirigeants d’associations ou de mouvements, une expérience puisée dans la société civile.
Le problème n’en reste pas moins, dans ce contexte, de survivre sans sacrifier son indépendance et de savoir maintenir son autonomie, même lorsque le pouvoir local change d’orientation politique. Le cas s’est présenté à Sao Paulo lors des dernières élections municipales, qui ont vu la défaite du PT (Parti des Travailleurs)face à un candidat conservateur : les associations d’aide sociale qui collaboraient avec la « prefeitura » ont dû repenser leur action, ne serait-ce que parce qu’elles ne disposaient plus du même accès au pouvoir municipal. De quelle façon la société civile peut-elle se montrer disposée à collaborer, y compris avec des administrations conservatrices et tenter, pour maintenir le dialogue, de dépasser les préjugés idéologiques, tout en conservant son autonomie d’action ?
3. Le fonctionnement par réseau : pour tenter de rompre leur isolement, les associations tentent de se constituer en réseaux, tant au niveau local qu’à l’échelle régionale et nationale. De leur côté, les ONG essayent de se regrouper au sein de l’ABONG, Association brésilienne des ONG. Il ne s’agit pas là de développer une nouvelle bureaucratie ou de soumettre la base à un nouveau dirigisme vertical, mais bien d’une articulation souple susceptible de permettre la circulation des flux d’information sans porter atteinte aux principes de diversité et d’autonomie.
Ces dernières années, de nouvelles associations à vocation sociale particulièrement dynamiques, (féminines, afro-brésiliennes, indiennes ou écologistes)sont venues s’ajouter aux mouvements d’action populaire (mouvements des sans-terre, d’occupation du sol urbain, associations de quartiers). Ces mouvements expriment différentes revendications et demandent le respect de leur identité et de leur pluralisme. Ce sont d’ailleurs les associations de femmes qui ont été les premières à exiger la reconnaissance de leur droit à la différence, et cette revendication s’étend désormais aux autres associations d’inspiration sociale.
4. Le Mouvement contre la misère et pour la vie : créé à l’initiative de la société civile pour faire face au problème de la faim, ce Mouvement rassemble près de 30.000 groupements issus de la base, indépendants et décentralisés, qui s’efforcent de prendre en charge la distribution de vivres et, dans une deuxième étape, d’apporter des solutions au problème de la création d’emplois. Un Conseil de sécurité pour les questions alimentaires (CONSEA)mis en place par le Gouvernement fédéral appuie les initiatives en ce domaine mais ne décide pas des orientations. A la différence du Programme mexicain de solidarité (PRONASOL), dirigé par l’Etat, le Mouvement brésilien a conservé son autonomie. Ses structures nationales sont réduites au strict minimum et, accordant une nette préférence aux dons alimentaires en nature, il s’efforce de manipuler le moins de liquidités possibles. A Rio de Janeiro, la gestion des sommes versées au bénéfice du Mouvement a justifié la création d’un Fonds oecuménique contre la misère et pour la vie, administré par sept groupements religieux d’obédiences différentes. Les sommes redistribuées par leurs soins sont allées cette année à 60 projets d’envergure modeste subventionnés chacun dans une fourchette de 2000 à 8000 dollars et choisis prioritairement pour leur action en faveur de l’enfance abandonnée et de la création d’emplois.
5. Le fléau de la violence : c’est l’un des plus grands problèmes des villes, particulièrement flagrant à Rio. Le mouvement Vive Rio, articulé autour de comités de quartier, s’efforce, pour ce qui touche à la prévention de la violence et au trafic de stupéfiants, d’organiser le dialogue entre la population, lepouvoir municipal et les autorités chargées d’assurer l’ordre public. C’est un travail de longue haleine, car les groupes responsables de violences et de trafic de drogue se sont déjà infiltrés jusque dans les différentes polices. Pas à pas, seule la mobilisation des citoyens peut permettre encore d’éviter l’application d’une logique du « tout répressif » et le spectre d’une situation d’apartheid social.
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, Brésil
Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie
Gouverner les villes avec leurs habitants
Le texte original a dû être coupé en deux; voir la première partie sous le titre : « L’expérience de la société brésilienne sous le régime autoritaire (1964-1985)".
Séminaire sur la reconstruction du Rwanda, Kigali, 22-28 octobre 1994.
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