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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Quelques réflexions tirées de la mémoire collective africaine

Joseph KI ZERBO

10 / 1994

La paix n’est pas l’absence de guerre : à l’instar de la santé, la paix est le bien des biens sans lequel on ne peut jouir des autres biens. Un non-malade est potentiellement malade, or la paix, comme la santé, sont une dynamique positive constamment en action. Les Africains avaient dans l’ensemble compris cet impératif. Certes, ici comme ailleurs, il y a eu des tyrans et même des génocides. Mais les ethnocides culturels, par exemple, ont été très rares, comme en témoigne la prolifération exceptionnelle des langues.

Les sociétés africaines étaient aussi fortement intégrées grâce au principe du consensus maximal, bien différent du consensus absolu des dictateurs. Le droit coutumier, corpus d’usages, de comportements, de droits et de devoirs, s’imposait à tous, à commencer par le roi. Dans les civilisations agraires anté-capitalistes où la prospérité du pays dépendait étroitement de la terre et des travailleurs ruraux, la norme sociale absolue était d’intégrer des groupes sociaux solidaires sans perte de substance et d’énergie. D’où une culture tournée vers la paix et la préservation du statu quo. Cette conception transparaît dans les interminables salutations où le mot paix revient comme un leitmotiv : « as-tu la paix? » « Héré bé? » en bambara, « Laafi bé mé ? » en more.

L’impératif économique renvoyait ainsi à la sphère culturelle et idéologique pour agréger solidement les différents secteurs du corps social. D’où l’horreur ou la répugnance qu’inspirent toujours les facteurs perturbateurs de l’équilibre social. Dans ma langue maternelle (san), on dit : « s’il y avait quelque chose de bien dans le conflit, la bagarre, les chiens l’auraient trouvé ».

Une multitude de proverbes, dictons, contes et récits célèbrent au contraire l’union, la concorde, le courage du pardon qui dépasse le courage tout court, l’association pour la paix et la solidarité : « la calebasse tenue ensemble peut se salir, du moins, elle ne se cassera pas », « ce sont deux mains qui peuvent se laver mutuellement », « si tous les fils du pays s’entendaient pour boucher les trous de la jarre percée, celle-ci pourrait contenir l’eau dont nous avons tous besoin » etc…

Les voies de la conciliation

a) Tout symptôme de tension annonciateur d’un conflit est regardé comme un incendie potentiel et traité comme tel. Il mobilise tous les « globules blancs » de la communauté, comme par un système d’alerte rapide. Contrairement à l’ingérence humanitaire, l’intervention est donc préventive. Ce n’est pas la course des pompiers de sinistre en sinistre.

b) En cas de conflit, le système du médiateur est presque toujours déjà en place. C’est un intermédiaire reconnu par les parties, lesquelles ne sont presque jamais des individus mais des groupes. Ces médiateurs ou « envoyés » sont sacrés : « la foudre ne tombe pas sur un envoyé », « Malheur aux peuples chez lesquels les médiateurs sont massacrés! » Même les délégués des forces coloniales de conquête ont bénéficié de cette règle impérative. Certains groupes socio- professionnels peuvent être commis par la loi ou par l’usage à cette fonction de médiateurs; ainsi, les forgerons, ceux-là mêmes qui fabriquent les armes et sont censés commander aux éléments; les griots, maîtres de la parole au pouvoir destructeur et régénérateur. Les juges-arbitres sont légions aussi aux différents niveaux de la structure sociale.

c) Le temps de la palabre de conciliation est regardé comme un investissement prioritaire de la société pour panser ses plaies, d’où les débats illimités à ce niveau.

d) De nombreuses procédures et rituels plus ou moins solennels consacrent les pactes et accords : repas spéciaux, boissons, ablutions, échange de serments, sacrifices, échange de sang. Parfois, la menace de rompre certains tabous, par les femmes par exemple, est utilisée comme ultime dissuasion de la violence. Enfin, il arrive que le conflit soit sublimé dans des pratiques de type ludique comme la parenté à plaisanterie. L’idéal est d’empêcher le tête-à-tête ou le face-à-face entre les deux antagonistes en les prenant dans une collectivité plus large.

e) Bref, tout conflit majeur est soustrait, par diverses procédures, aux cadres souvent faussement identifiés comme le « clan », la « tribu », la « caste », la « race », pour être ramené devant le tribunal de l’équité et de la dignité humaines. C’est ainsi que le sentiment d’appartenance était largement territorial et non « racial ». Le voisin chez les Mossi (Yaka) jouit d’un statut d’allié. Les affrontements étaient d’ailleurs tempérés par le rythme lent des technologies, en particulier les moyens de communication et télécommunication. Quand tous les moyens pour atténuer ou effacer les conflits avaient échoué, restait l’exode, autorisé comme un droit ou imposé comme un devoir.

La référence territoriale était donc décisive. Elle faisait des uns et des autres les ressortissants d’un terroir ou d’un royaume affrontant éventuellement un autre royaume. L’identité principale n’était pas celle d’un groupe social au sein d’une ethnie; ou si elle l’était, cela ne conduisait pas d’ordinaire à un génocide finalement suicidaire, après des siècles de cohabitation historique. Exclure un groupe humain en tant que tel sur la base de phénotypes ou, à fortiori, de génotypes impossibles à déterminer, c’était s’exclure soi même de la caravane des humains. Les textes pharaoniques le disaient déjà : " N’usez pas de violence contre les hommes à la campagne comme en ville car ils sont nés des yeux du Soleil; ils sont les troupeaux de Dieu. »

Que faire au Rwanda ?

Il reste bien difficile de risquer des conseils de si loin. Mais le nom du Rwanda retentit dans nos coeurs et ce qui s’est passé là-bas peut intervenir partout en Afrique. On pense spontanément à plusieurs actions possibles :

  • une Charte solennelle : corps de principes tirés de l’expérience ante-coloniale, coloniale et post-coloniale; expériences à dépasser.

  • des gestes et des actes refondateurs à caractère symbolique et à retentissement immédiat pour restaurer la confiance et recréer des images fortes et positives en entraînant le plus de monde possible sur la plate-forme du consensus minimal de la Charte. Dénoncer ou faire reconnaître les crimes contre l’Humanité et contre les Humains. Réparer et honorer les martyrs de tous bords;

  • le lancement d’un programme d’éducation civique ancré dans les gisements historiques culturels, mais surtout dans un projet commun à la sous-région pour déconstruire la violence;

  • des témoins et des garants sont nécessaires s’ils sont unanimement acceptés, venant des sphères interafricaines, internationales, religieuses, de la société civile et des tréfonds de la culture populaire.

Mots-clés

mémoire collective, identité collective, médiation, droit coutumier, valorisation de l’expérience, culture de paix


, Afrique, Burkina Faso

dossier

Gouverner les villes avec leurs habitants

Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix

Notes

L’auteur de la fiche est un historien spécialiste de l’Afrique, écrivain, député au Parlement burkinabé.

Fiche rédigée à partir d’un document envoyé suite à l’appel international à contribution lancé par la FPH pour l’organisation de la rencontre internationale sur la reconstruction du Rwanda (Kigali, 22-28 octobre 1994) co-organisée par la FPH et le CLADHO (Collectif des Ligues et Associations de défense des Droits de l’Homme).

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