La violence peut être définie comme le résultat de l’effondrement, brutal ou rampant, de la certitude que la loi garantit la justice, à travers les mécanismes de l’Etat de droit. Parmi ces mécanismes, le rôle de l’appareil judiciaire est primordial car c’est lui qui combat l’impunité, laquelle doit être proscrite d’autant plus strictement qu’elle est une force de destruction de la société et des individus.
Dans les pays affectés par des conflits internes sanglants, il y a toujours urgence à affronter cette problématique de l’impunité qu’elle soit générique ou institutionnalisée. Elle représente en effet l’obstacle majeur, pour ne pas dire le contresens même, de la réconciliation indispensable à toute reconstruction durable de la paix et de la démocratie. Il faut donc employer toutes les énergies mobilisables pour vaincre l’impunité et emporter, en sus, la conviction des populations que justice est réellement faite. Cette conviction est en elle même la base de la réconciliation et ne peut être obtenue que si les éléments s’imposent à tous, ce qui rend très difficile cette quête de justice.
Des expériences faites et parmi les procédés utilisés jusqu’à présent, il peut être utile de souligner les bons résultats obtenus en République du Salvador tant par la mission ONUSAL que par la Commission Vérité qui y ont oeuvré. Contrairement aux commissions qui opèrent en Argentine ou au Chili, la Commission Vérité du Salvador était composée de personnalités étrangères au pays, ce qui a permis de préserver la crédibilité de ses conclusions. Une vérité dépouillée, sans préjugés, sans pressions, avec la majesté de la rigueur et la plénitude de l’impartialité ne peut que contribuer à ce que revive de bas en haut de la société , de quelque origine que soient ses membres, la foi des gens dans l’efficacité et l’opportunité de la justice.Il est intéressant de noter que les membres de la Commission, enquêteurs et analystes, ont rapidement perçu une espérance nouvelle devant l’imminence de cette connaissance de la vérité, première et indispensable étape de la lutte contre l’impunité.
Il parait donc indispensable que la phase d’enquête et de vérification des horreurs commises soit placée sous l’égide des Nations Unies. Les observations éventuelles concernant la souveraineté légitime des Etats ou la compétence et l’impartialité des magistrats nationaux ne doivent pas être retenues au risque de se priver du poids moral de la communauté internationale. La Commission doit, bien évidemment, être capable d’accéder à tous documents ou lieux utiles comme de pouvoir s’entretenir avec tout témoin ou participant présumé de manière confidentielle; de faire toute recommandation aux autorités légales pour fortifier et tremper les volontés qui devront affronter en face cette vérité.
Une assertion universellement admise établit que le sujet de toute situation délictuelle est l’individu, seul capable de volonté consciente. Ce sont donc bien des individus qui sont délinquants et non les institutions créées par eux, même si, en certaines circonstances, leurs imperfections ont quelque part favorisé l’impunité. En conséquence, c’est bien aux hommes que doivent s’appliquer les peines respectives établies par les lois quelle que soit par ailleurs la part qu’ils aient pu prendre à la réconciliation nationale.
Dans le cas de conflits intérieurs, c’est à la société du pays même d’établir les circonstances aggravantes ou atténuantes de ceux qui portent les responsabilités dans les actes d’atrocité ou de violation des droits de l’Homme. On est évidemment tenté de préférer le jugement d’un tribunal international et l’on cite fréquemment en référence le procès de Nuremberg. Plusieurs organisations militent de même pour la constitution d’un tel tribunal à propos des événements de Bosnie.
Dans le cas du Salvador - et sans doute est-ce valable pour d’autres pays -, il n’est pas sûr que les communautés nationales se soient reconnues dans une telle instance qui, de toute évidence, ne pouvait que partiellement contribuer à fortifier la pédagogie du "jamais plus". Il semble plus efficace de laisser la responsabilité du jugement aux autorités de ces pays en leur apportant la collaboration technique de juristes étrangers, éventuellement une supervision des Nations Unies qui ne peut que renforcer la valeur morale du jugement vis-à-vis de la communauté internationale.
L’enrichissement réel de l’histoire contemporaine du pays martyrisé ne peut et ne doit venir que de ses propres citoyens, aussi difficiles que soient les décisions à prendre. C’est également un pas supplémentaire dans la reconstruction de la démocratie et du sentiment national.
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, Salvador
Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix
Le colonel français LE LIEVRE a dirigé au sein de l’ONUSAL (la force de paix de l’ONU dépêchée au Salvador), la Division visant à mettre en place une police respectueuse des Droits de l’Homme.
Fiche rédigée à partir d’un document envoyé suite à l’appel international à contribution lancé par la FPH pour l’organisation de la rencontre internationale sur la reconstruction du Rwanda (Kigali, 22-28 octobre 1994)co-organisée par la FPH et le CLADHO(Collectif des Ligues et Associations de défense des Droits de l’HOmme).
Texte original