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La médiation de paix des Eglises en Afrique du Sud

Evaluation de la mission EMPSA

Françoise FEUGAS

10 / 1994

La période de transition démocratique (1990-1994)qui verra l’élection de Nelson Mandela en Afrique du Sud devait compter avec un climat de grande violence (quelque 25 000 victimes pour l’année écoulée), hérité de l’apartheid et entretenu par la montée de la violence politique. En conséquence, réussir cette transition impliquait d’abord de faire baisser le niveau de violence, de favoriser le dialogue entre les composantes de la société et les pouvoirs publics au niveau national, régional et local, d’aider les institutions de dialogue mises en place par les accords de Kempton Park et enfin d’assurer l’éducation démocratique, notamment de futurs électeurs n’ayant jamais voté.

Les Eglises chrétiennes d’Afrique du Sud, regroupées au sein du SA Council of Churches (protestantes)et du SA Bishop’s Conference (catholiques), décident en 1992 de participer à la mise en place du processus démocratique. En septembre 1992, ’EMPSA’ (Ecumenical Monitoring Programme in South Africa)est lancé. EMPSA est un programme international de médiation des Eglises : des moniteurs, envoyés par les Eglises d’une trentaine de pays, ont pour mission d’apporter un soutien, de renforcer et de "crédibiliser" le processus de paix. Ces hommes et ces femmes sont tous issus de la société civile, à la différence des observateurs de l’ONU, de la CEE, de l’OUA ou du Commonwealth, fonctionnaires détachés par leur gouvernement. Laïcs ou religieux, ils doivent avoir une connaissance de l’Afrique du Sud, une capacité d’analyse politique. Ces médiateurs oecuméniques passent en général de 5 à 6 semaines en Afrique du Sud, ont pour mission d’établir des contacts, de soutenir les processus de paix locaux, et de faire baisser le niveau de violence par leur présence "dissuasive". Sur le terrain, ils travaillent en collaboration avec des coordinateurs locaux EMPSA ou des militants de l’ANC.

Ce programme de médiation s’infléchit à partir d’avril 1994 et se donne pour tâche de favoriser un bon déroulement de la campagne électorale et la tenue d’élections ’fair and free’, libres et équitables. Les médiateurs se transforment pour quelques jours en observateurs des élections.

Les moniteurs EMPSA français ont rendu compte de leur mission dans les différentes régions auprès de la Commission Française Justice et Paix (service de la Conférence des Evêques catholiques de France, chargée des questions de justice internationale et de paix):

  • au Natal, où les affrontements armés entre jeunes ANC et jeunes IFP étaient quotidiens et meurtriers, la situation ne s’est débloquée que lorsque l’INKHATA a fait savoir qu’il ne s’opposait plus au processus électoral démocratique. Les élections se sont relativement bien passées;

  • dans le West Transvaal, du fait de l’homogénéité politique (population en grande majorité blanche), la région n’a connu que peu d’incidents mais les problèmes se sont posés au cours des élections, personne ne connaissant vraiment les procédures à suivre pour voter;

  • dans l’East Transvaal, région pourtant réputée instable, tout le monde a pu voter librement, malgré l’inquiétude sécuritaire de la population blanche;

  • aux alentours de Pretoria, on n’a signalé aucune violence importante;

  • dans l’East Rand, les tensions sociales étaient dues notamment au parcage de la population pro-Inkhata dans les "hostels" côtoyant la population pro-ANC des townships. Là encore, l’annonce de l’entrée de l’INKHATA dans le processus électoral a calmé relativement les esprits;

  • au Transkei, région majoritairement noire et pro-ANC, on a plutôt assisté à une "pagaille sympathique" due au nombre et à la dispersion de la population : sur les 1700 bureaux de vote demandés, seulement 500 ont été ouverts. Les élections ont eu lieu avec un jour de retard.

Evaluation de la mission EMPSA

1)La composition très diversifiée des groupes de moniteurs (mélanges de nationalités, de races, d’âges...)a été un élément bénéfique, en faveur d’une représentation oecuménique;

2)Les coordinateurs locaux ont joué un rôle essentiel : ils ont facilité l’insertion des médiateurs étrangers sur le terrain et leur ont donné les clefs indispensables pour accéder à une compréhension ’sensible’ des situations;

3)Le volontariat est important dans ce type d’action;

4)A la question : "pourquoi est-ce utile que l’Eglise envoie des observateurs ? ", les médiateurs répondent par la nécessité que l’Eglise se rende visible et accrédite tout processus de démocratisation, toute démarche en faveur de la paix;

5)La définition du ’monitoring’ ne peut être tranchée : il ne peut y avoir de frontières clairement définies entre l’observation pure et la médiation. L’"oeil occidental juste et bienveillant" a ses limites face à des situations où l’entraide et la solidarité débordent en permanence sur le "rendement" ou la simple surveillance;

6)Une période de préparation avant l’envoi sur le terrain est indispensable : les situations difficiles dans lesquelles se sont placés certains moniteurs sont le résultat direct d’un manque de formation et/ou d’information;

7)Constatant que la mission d’observation, de témoignage et de médiation avait été réussie, malgré d’évidentes erreurs ou dérapages dans le processus électoral, les moniteurs ont considéré qu’une suite serait envisageable si l’Afrique du Sud en formulait la demande. De toutes façons, les églises locales devraient abandonner leur rôle de guide politique pour exercer une fonction plus sociale.

En Afrique du Sud, la transition pacifique et démocratique a été réussie. De nombreux observateurs évoquent un "état de grâce" sud-africain : la violence a diminué alors que la situation sociale n’a pas changé. Rien n’a changé... et tout a changé, car la population adhère pour le moment aux nouvelles institutions. Les Eglises ont mobilisé leur réseau et leur crédibilité au service de ce processus. D’après Antoine SONDAG, Secrétaire général de Justice et Paix, à l’heure où les médiations internationales jouent parfois un rôle ambigu et où l’ONU s’embourbe dans de nombreux terrains et ne peut répondre à toutes les demandes, il y a place pour une médiation des sociétés civiles, pour peu que l’on sache en cerner les limites.

Mots-clés

artisan de paix, processus de démocratisation, élection, médiation non gouvernementale, transition politique, construction de la paix


, Afrique du Sud

Notes

Fiche rédigée à partir d’un document envoyé suite à l’appel international à contribution lancé par la FPH pour l’organisation de la rencontre internationale sur la reconstruction du Rwanda (Kigali, 22-28 octobre 1994)co-organisée par la FPH et le CLADHO(Collectif des Ligues et Associations de défense des Droits de l’HOmme).

Entretien avec MELLON, Christian

Source

Document interne ; Rapport ; Entretien

Commission française Justice et Paix, Médiateurs de la paix en Afrique du Sud : rapports de mission des médiateurs EMPSA, 1994/07, 11, Fiche rédigée par le CCFD sur la base d'un entretien réalisé par Claire Moucharafieh avec Christian Mellon (directeur de la revue 'Projet', membre de la Commission Justice et Paix et premier Français à avoir participé à une mission de médiation EMPSA dans le bantoustan du Ciskei). Titre de la fiche : "<La médiation de paix des Eglises en Afrique du Sud>"

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