Le rapport intérimaire sur la question de l’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme, présenté dans le cadre de la sous commission des droits de l’homme de l’ONU à l’occasion de la 45ème session analysait « les mécanismes de l’impunité pour mieux les maîtriser » et tentait de réfléchir aux « moyens qui pourraient être mis en œuvre pour réduire (ses) effets néfastes ».
Le champ de l’étude recouvre les seules violations répondant aux trois critères suivants : être commise, directement ou indirectement, par l’État ou ses agents; porter atteinte aux droits de l’homme - au sens politique- ; enfin être « graves et massives » et présenter « un caractère de systématisation ». Les auteurs proposent de l’élargir en incluant les violations non étatiques, en cas d’absence ou d’affaiblissement de l’État, les violations commises par des groupes particuliers tels que les mouvements de guérilla ou de libération nationale, ainsi que les violations des droits économiques et sociaux.
Trois objectifs doivent guider la lutte contre l’impunité : sanctionner les responsables, satisfaire le droit qu’ont les victimes de savoir et d’obtenir réparation et permettre aux autorités de remplir leur mandat en tant que puissance publique garante de l’ordre public.
Pour être menée à son terme, les acteurs de la lutte doivent être trois, leur rôle, complémentaire, étant décisif : victimes, ONG et État. Les victimes qui s’organisent sont à l’origine de la prise de conscience et voient leur moyen de pression renforcé par les ONG. Ces dernières deviennent un « troisième partenaire » dans un conflit qui très souvent oppose le pouvoir civil à l’ancien pouvoir militaire et aux forces armées. Le rapport des forces en présence s’en trouve ainsi modifié et les nouvelles autorités peuvent mieux résister aux pressions des militaires cherchant à échapper à leur responsabilité. Mais la volonté politique des autorités est fondamentale. L’organisation de la lutte contre l’impunité doit être conçue par elles comme « un projet politique en ce qu’elle concerne le passé mais aussi détermine l’avenir du pays ».
Les mécanismes de l’impunité
On distingue l’impunité, liée à l’attitude des services de police et de l’autorité judiciaire - obstruction au niveau de l’ouverture des poursuites, de l’enquête, du jugement ou de l’exécution de la peine-, de l’impunité de droit - procédures d’amnistie, grâce, grâce amnistiante, prescription et circonstances atténuantes-. Face à cela, il existe toute une batterie d’instruments internationaux concernant la lutte contre l’impunité, même si l’on peut débattre de leur applicabilité et de leur interprétation.
L’analyse des expériences, passées ou présentes, de lutte contre l’impunité montre que la solution idéale n’existe pas. Entre l’exigence intransigeante de justice et les aspirations à une solution politique impliquant éventuellement un processus de « conciliation » plutôt que réconciliation, la marge de manoeuvre est délicate. Peut-on parler « d’impunité relative » ? Quel doit-être le noyau dur auquel il ne saurait être dérogé ? La pratique de l’amnistie - et sa compatibilité avec l’imprescriptibilité et le droit qu’a toute personne à ce que sa cause soit entendue - et de l’épuration soulèvent des questions pratiques. Différentes thèses s’opposent à leur propos.
Concernant la pratique de l’épuration, les questions soulevées sont celles-ci : l’épuration doit-elle se faire sur la base de la législation existante ? , doit-elle avoir pour seul objectif la répression - par les mesures pénales - ou aussi la suppression des obstacles à la mise en œuvre d’une politique nouvelle - par des mesures de mise à la retraite, mutation…Quelle portée donner au principe selon lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ? Le rapport fait également référence à l’expérience salvadorienne pour ce qui est de l’épuration des forces armées et de la police. Sa spécificité provient de ce que les garanties entourant ces mesures ont fait l’objet d’un accord de paix négocié et ont été mises en œuvre sous l’égide du secrétaire général de l’ONU : décision prise par une commission ad hoc et prise en considération pour chaque officier et ses antécédents en matière de respect des droits de l’homme, de sa compétence professionnelle, de son aptitude à contribuer à la réunification du pays. L’épuration des forces paramilitaires à laquelle a procédé la commission de vérité d’El Salvador s’est basée sur : la reconstitution de l’organigramme des exécutants et de l’identification de ceux-ci, leur liaison avec les forces de sécurité, les liens avec ceux qui leur fournissent le financement et la logistique, le fonctionnement et la mission des services de renseignements, enfin l’étude de la coopération au plan international a permis de voir comment des pays ont pu soutenir ces escadrons de la mort.
Aucun pays n’est a priori protégé du risque de l’impunité; chaque cas constitue un cas spécifique, mais les recommandations faites par le rapport sont structurées autour d’un noyau dur. En voici les principaux éléments :
1) « Etre guidé par le seul objectif de la paix civile dans le but de garantir prioritairement la sécurité des plus défavorisés, l’injustice sociale étant le plus souvent à l’origine des troubles qui engendrent l’impunité ».
2) Décider l’abandon des poursuites et la libération immédiate des prisonniers d’opinion (et non leur amnistie, car ce serait reconnaître le caractère délictueux de leur action…).
3) Ne pas encourager l’impunité, ce qui suppose que les instigateurs et responsables de haut niveau aient été déférés à la justice et jugés.
4) Oeuvrer à la création d’une commission pour l’établissement de la vérité afin de préserver pour les victimes « le droit de savoir » et d’intégrer la dimension historique de la conciliation qui est prise de conscience et non oubli.
5) Jugement des auteurs autres que ceux qui sont visés au principe n°3 ou tout au moins une mesure d’épuration à leur égard.
6) Mesures en faveur des victimes : indemnisation pour le préjudice subi, réintégration dans leur emploi des personnes révoquées pour motif politique, droit au retour pour les exilés et mesures en vue de leur réinsertion.
Enfin la lutte contre l’impunité doit employer des moyens multiples, s’organiser dans la durée, en se fixant les quatre objectifs complémentaires suivants: - juger les auteurs de violations graves; assurer aux victimes le droit de savoir et d’obtenir réparation; - se prémunir, notamment par les archives, contre l’oubli et le révisionnisme; - à un moment donné tenir compte des aspirations à la réconciliation nationale tout en respectant certaines limites en deçà desquelles la réconciliation nationale deviendrait complice de l’impunité.
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Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les nouveaux défis du XXIe siècle
Extraits du rapport intérimaire sur la question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme, en application de la résolution 1992/23 de la Sous-Commission des droits de l’homme de l’ONU. Les auteurs sont tous deux rapporteurs de l’ONU sur la question de l’impunité.
Séminaire sur la reconstruction du Rwanda, Kigali, 22-28 octobre 1994.
Rapport
GUISSE, N., JOINET, Louis, Sous commission des droits de l’homme de l’ONU
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