L’exemple du centre éducatif de Gaza
03 / 1994
A la demande des femmes palestiniennes, l’association "Enfants Réfugiés du Monde" a créé dans le camp de réfugiés de Khan Younis, au sud de la bande de Gaza, un centre éducatif alliant le rattrapage scolaire à un éventail d’activités pédagogiques et de loisirs. La concrétisation de ce projet n’a été possible que parce que les comités de femmes palestiniennes ont pris le relais sur le terrain. Il partait d’un constat d’impuissance et d’échec : autorité parentale battue en brèche, encadrement scolaire presque inexistant du fait de la fermeture répétée des écoles par les Israéliens, absence de compétence pédagogique, etc.. En clair, les mères disaient : "Nous n’arrivons plus à tenir nos enfants, ils ne nous obéissent plus, on ne sait pas comment s’en occuper en groupe, d’autant plus que nous-mêmes n’avons pas eu d’enfance".
Les animatrices palestiniennes, sélectionnées par les comités de femmes, ont progressivement remis en cause leurs propres schémas éducatifs. L’une des premières tâches a été de mettre en place un cycle de formation, qui reste insuffisant mais qu’il est question de porter de quelques mois seulement à trois ans. Actuellement, le centre accueille chaque année quelque 500 enfants, dont une centaine de façon permanente.
Parallèlement aux activités pédagogiques, destinées aux 6-12 ans et à l’existence d’un centre pour adolescents, un travail communautaire est entrepris et un centre culturel doit voir le jour incessamment.
La paix ne signifie rien pour les enfants
Dans un contexte d’occupation, il n’est pas question de parler de paix aux enfants. ERM essaye de promouvoir la tolérance dans la vie de tous les jours, sachant que la violence est non seulement externe mais aussi interne. Elle fait partie de la vie quotidienne à Gaza et se répercute entre enfants, entre enfants et adultes et entre adultes. C’est une situation difficile à aborder. Il n’a pas été facile de faire comprendre aux animatrices palestiniennes que les châtiments corporels ne seraient pas tolérés. Elles ne voyaient pas comment elles pourraient "tenir" les enfants (6-12 ans), très durs, sans y recourir. Pour elles, l’autorité passait automatiquement par là, d’autant qu’à l’école ou à la maison, les coups sont choses courantes. Il a fallu un an et demi pour que les animatrices intègrent ce principe, et se rendent compte de son efficacité. Les enfants de Gaza n’ont connu que privations, rapports de violence et d’oppression. Ils sont la plupart du temps dans la rue et ils participent à l’Intifada malgré les efforts de leur famille pour les retenir par tous les moyens. De plus, l’autorité familiale et leurs parents sont souvent dévalorisés à leurs yeux par les humiliations infligées par l’armée d’occupation. Ainsi, entre la rue où il est exposé à la répression et la famille où il est surprotégé, le jeune Palestinien manque de repères pour se construire. Dans les zones de guerre il y a partout cette ambivalence : d’un côté, l’enfant assume prématurément des responsabilités et jouit du statut de chef de famille sans en avoir l’autorité et de l’autre, il est maintenu dans un statut d’immaturité.
Aussi, parallèlement à la formation des animatrices, des discussions avec les enfants eux-mêmes sont nécessaires, pendant plusieurs mois. Il faut en effet leur faire connaître autre chose que les rapports de force, alors qu’ils n’ont tendance à ne reproduire, y compris dans leurs dessins, que l’Intifada et la violence militaire. Au début, les enfants signaient leur dessin du nom du groupe politique auquel leur famille était affilié et déchiraient les dessins des enfants qui n’étaient pas du même bord. Un travail a été nécessaire avec chacun d’entre eux.
Les méthodes pédagogiques employées par ERM comme le recours au jeu, y compris dans le rattrapage scolaire, sont souvent mal comprises par les parents. Elles rompent en effet avec les schémas éducatifs traditionnels et peuvent paraître dépourvues de sérieux et d’efficacité.
L’éducation à la tolérance ne se fait pas uniquement à l’aide d’outils pédagogiques. Le respect de l’autre commence par le respect des différences culturelles, y compris vestimentaires. La question du port du foulard, dans un milieu où toutes les femmes sont couvertes, s’est immédiatement posée pour nos animatrices et a été longuement discutée avec les comités de femmes. Les Palestiniennes ont généralement soutenu que nous n’avions pas à porter le foulard, faisant valoir que c’était d’autant plus important qu’elles ne pouvaient pas, elles-mêmes, le faire pour un ensemble de raisons. Pour défendre cette position, il leur a fallu résister à toutes sortes de pressions extérieures. Le respect du statut de chacun, en l’occurence de l’étrangère, est aussi un apprentissage à la tolérance.
Le travail de sensibilisation auprès des mères
La participation des parents à cet effort éducatif est indispensable et raffermit d’ailleurs leur autorité. Les mères sont invitées à des réunions hebdomadaires, et un service social a été mis en place auquel elles prennent une part active. Les problèmes de violence interne à la société ont suscité beaucoup de discussions, soulevées par les mères et les comités de femmes. Malheureusement, l’absence des hommes, principaux vecteurs de la violence, limitait la portée de ces discussions. Il est également prévu d’ouvrir une journée de "consultations" réservée aux mères. Avec les comités de femmes dont elles ne font pas forcément partie, elles jouent auprès des familles un rôle précieux. En cas de conflit entre organisations politiques, elles servent de réseau. Elles vont expliquer à chaque famille ce qui s’est passé, jouant ainsi un rôle d’apaisement et de médiation. Les mères apportent aussi leur contribution à l’aide aux devoirs ou à la prise en charge de groupe d’enfants.
Les actions d’ERM sur le terrain durent 3 à 4 ans avant d’être prises en relais par le partenaire concerné. Au départ, le grand danger est le rapport consommateur et passif à l’égard du "partenaire" du Nord qui apporte argent et compétence.
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, Palestine, Bande de Gaza
Quand les femmes se mobilisent pour la paix, la citoyenneté, l’égalité des droits
L’expérience menée à Gaza montre que les animatrices palestiniennes ont su s’approprier le projet, et cette responsabilisation est une condition du succès.
Entretien
Mireille SZATAN est Présidente de l’Association Enfants Réfugiés du Monde(ERM), 34 rue Gaston Lauriau, 93512 Montreuil Cedex, FRANCE - Tel. 00 33 (1) 48 59 60 29 - [a[http://www.enfantsrefugiesdumonde.org][]] - erm@erm.asso.fr
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