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Non assistance à population en danger

L’inadéquation de la philosophie humanitaire à la guerre du Soudan

Claire MOUCHARAFIEH

06 / 1994

L’indifférence à la tragédie du sud-Soudan est sans doute l’une des illustrations les plus dramatiques de la non-assistance à populations en danger. Face à la détermination d’un gouvernement décidé à empêcher toute aide aux populations du Sud, suspectes de sympathie pour les rebelles, la communauté internationale n’a jamais réussi à obtenir un acheminement régulier des secours, faute d’une réelle volonté politique.

Depuis plus d’une décennie, le sud du pays est ravagé par la guerre et son cortège de dévastations: massacres, famines, épidémies, déplacements massifs de la population. Les combats et les exactions ont fait des dizaines de milliers de victimes; les famines successives, liées à la guerre et à l’insécurité, ont fauché des centaines de milliers d’affamés et provoqué la fuite de millions de personnes. Cette profonde crise sociale a encore été aggravée par un programme de déportation de populations. Ce conflit interminable qui oppose les forces gouvernementales à l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA)est le résultat d’un profond clivage ethnique, religieux et linguistique qui divise le pays. Aux exactions des milices gouvernementales et de l’armée sont venues s’ajouter, depuis 1991, les conséquences meurtrières des combats fratricides entre les différentes factions du SPLA. Les populations civiles en sont les principales victimes.

Le Soudan bénéficie d’une aide alimentaire considérable, mais plus qu’ailleurs, cette aide internationale est devenue un enjeu essentiel des conflits internes, et a été constamment utilisée et détournée par le gouvernement pour affaiblir les régions contrôlées par la guérilla. De son côté, mais à une échelle moindre, le SPLA l’a fait pour ses propres objectifs politiques (nourrir ses troupes; accroître son emprise sur les populations). A la fin des années 80, ces entraves à l’acheminement des secours dans les zones menacées provoquèrent une terrible famine.

Les opérations de secours de l’ONU : plus d’échecs que de succès

Face à cette situation, l’ONU s’est toujours contentée d’émettre des protestations de principe. Ainsi, en 1986, le responsable du PNUD à Khartoum avait été expulsé pour cause « d’ingérence politique », pour avoir voulu mettre en place l’opération d’aide alimentaire « Raiwnbow » en faveur des populations menacées du Sud sur la base d’une distribution sans discrimination aux populations civiles des deux côtés, et d’un meilleur contrôle pour réduire les détournements. A l’époque l’ONU et la CEE avaient laissé faire. Cette affaire aura pour conséquence d’interrompre l’acheminement des vivres pendant deux ans, provoquant l’une des plus graves famines… En juillet 92, des avions du Programme alimentaire mondial (PAM)avaient été affrétés par l’armée soudanaise pour transporter des armes. L’ONU laissera les vols se poursuivre pendant 10 jours. Des mesures de rétorsion seront alors prises notamment par le SPLA et des fonctionnaires de l’ONU seront exécutés.

Pourtant les opérations de secours au Soudan ne se sont pas toutes soldées par des échecs : l’opération « Lifeline Sudan », mise en place de 1989, est même souvent citée comme un modèle d’assistance en zone de conflit. Son principe consistait à créer des corridors de paix pour l’acheminement de l’aide humanitaire des régions sous contrôle gouvernemental aux territoires rebelles, et réciproquement.. Le succès de ce vaste programme d’aide aux populations du Sud, qui permit de juguler une terrible famine, s’explique par deux éléments clefs : un contexte de négociation entre le gouvernement et le SPLA (pour la première fois, un gouvernement souverain acceptait formellement une opération d’assistance en territoire rebelle)et la conclusion d’un cessez-le-feu permettant le retour à une activité normale. Pour la première fois depuis le début de la guerre, les paysans purent retourner à leurs terres, les pasteurs à leurs troupeaux et les marchands à leur commerce. Plus que l’aide alimentaire, c’est cette reprise de l’économie rurale durant le cessez-le-feu qui contribua à la survie de la population.

Mais la poursuite de l’opération de 1990 à 1993, dans un contexte marqué par une reprise des combats, s’est soldée par un échec. L’acheminement de grandes quantités de nourriture n’a pas pu empêcher le retour de la famine, Lifeline redevenant une arme de guerre aux mains d’un régime décidé à reconquérir le Sud par la force.

Les populations civiles ne sont pas uniquement victimes de la famine, qui motive officiellement les opérations humanitaires de l’ONU. Elles sont également victimes de vastes déplacements forcés : depuis le début du conflit, des millions de « Sudistes » ont fui vers le Nord et nombre d’entre eux ont rejoint Khartoum. A ces exodes massifs vont s’ajouter les effets catastrophiques d’une politique gouvernementale : craignant que les populations déplacées ne forment une « cinquième colonne » du SPLA, le pouvoir met en place un programme de déplacements forcés qui touche de plein fouet les habitants du Nord, victimes de la sécheresse. A la mi 92, les foyers de plus de 700.000 personnes avaient été détruits au bulldozer et leurs habitants parqués dans des villages artificiels. Face à cette situation, l’ONU est également restée silencieuse. La campagne d’extermination des Noubas (peuple minoritaire non arabe vivant dans le nord du Soudan)n’a pas davantage donné lieu à des réactions vigoureuses de la part de la communauté internationale. Le Mont Nouba ne faisant pas partie du Sud, l’ONU a considéré que ce désastre humanitaire n’entrait pas dans le mandat de l’opération « Lifeline »…

Au Soudan, à force de pusillanimité, d’absence de réactions adéquates par rapport aux détournement de l’aide alimentaire, et de silence face à une situation marquée par des violations massives des droits de l’homme, l’ONU s’est montrée incapable d’arrêter une tragédie sans précédent. Plus qu’ailleurs encore, l’inadéquation de la philosophe « humanitaire » à un conflit dont les causes sont directement politiques, est ici flagrante.

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