español   français   english   português

dph participe à la coredem
www.coredem.info

dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

L’Afghanistan, une tragédie oubliée

Claire MOUCHARAFIEH

06 / 1994

Depuis deux ans, le nouvel activisme des Nations Unies accrédite l’idée d’une présence internationale sur tous les terrains de crise. Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt : sous ces interventions hautement médiatisées (Cambodge, Somalie, Bosnie...), de nombreux pays sont abandonnés à des conflits meurtriers et leurs populations sont victimes d’exactions massives dans l’indifférence quasi générale.

Ainsi, en Afghanistan, la communauté internationale s’est détournée d’un conflit, autrefois central, dans le contexte de la guerre froide, et désormais sans enjeu. Cinq ans après l’évacuation des troupes soviétiques (février 1989), le pays est toujours ravagé par la guerre. La résistance contre l’occupant a laissé place à une guerre civile particulièrement meurtrière opposant les différents segments ethniques et religieux de la société, dans une lutte acharnée pour le pouvoir. Déjà plus d’un million de morts, une économie dévastée, des régions entières infestées de mines, un appareil d’Etat décomposé, un système scolaire et sanitaire effondré, des problèmes inextricables de rapatriement et de réinsertion des réfugiés... En 15 ans de guerre, c’est toute la société afghane qui est aujourd’hui profondément destructurée : toute une génération de jeunes Afghans née en exil, ou qui a grandi dans les bases des moudjahiddines, ne sait plus cultiver la terre; tout le système traditionnel de pouvoir a été supplanté par les jeunes chefs de guerre; les procédures traditionnelles d’arbitrage des conflits sont en crise.

Après 1989, les grandes puissances se sont progressivement retirées en confiant aux Nations unies la gestion de l’après-retrait, tant sur le plan politique que dans le domaine humanitaire. Incapables de s’adapter à un contexte extrêmement fluide et fragmenté, l’ONU n’a pas réussi, malgré ses efforts, à mettre sur pied un gouvernement de coalition pendant la période allant du retrait à la prise de Kaboul par les moudjahiddines (1992). Attaché à une solution négociée, l’ONU n’avait nullement prévu la chute de la capitale après avoir systématiquement ignoré les moudjahiddines au profit du régime de Nadjibullah et des partis du Peshawar. Cet échec s’explique notamment par la tendance des représentants de l’ONU à ne traiter qu’avec des interlocuteurs étatiques, au risque de perdre le contact avec la réalité.

Sur le plan humanitaire, l’organisation internationale avait tenté d’innover en créant une structure légère, l’opération "Salam", dont l’objectif était d’aider à la reconstruction du pays en travaillant dans les régions stables, en collaboration avec les ONG, sans attendre une solution politique globale. Mais l’opération, qui a pris fin en décembre 1991, a pâti du manque de confiance des commandants moudjahiddines qui l’accusaient de soutenir le régime et comprenaient mal la dissociation entre volets politiques et humanitaires. Depuis mai 1992, Kaboul n’est plus qu’un champ clos où les groupes de moudjahiddines se disputent, chacun pour leur propre compte, les dépouilles d’un Etat depuis longtemps effondré. Les combats violents, qui ont entraîné le départ des derniers représentants occidentaux et onusiens, ont progressivement transformé la capitale en un champ de ruine livré au pillage, aux tirs indiscriminés et aux épidémies, sur fond de règlements de compte et de banditisme. Ainsi, aux profonds bouleversements de la société rurale afghane, déplacements massifs hérités de l’invasion soviétique, s’ajoute aujourd’hui un exode sans précédent de la population urbaine, devenue la principale victime de la guerre civile. Loin d’être un retour à une soi-disante tradition d’anarchie, la situation actuelle en Afghanistan est bien le résultat des dix années d’occupation, marquées par la polarisation ethnique et tribale, le surarmement, les trafics (armes, drogues), la "milicianisation" des moudjahiddines, incapables de se reconvertir, mais aussi de l’intervention directe des puissances régionales (Pakistan, Iran Ouzbékistan), seuls acteurs étrangers encore présents sur le terrain.

FPH (Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme) - 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris, FRANCE - Tél. 33 (0)1 43 14 75 75 - Fax 33 (0)1 43 14 75 99 - France - www.fph.ch - paris (@) fph.fr

mentions légales