02 / 1993
En Amérique Latine, les services juridiques sont nés dans le contexte de la fin des années ’70 et début des années ’80, comme une réaction face à la dictature. Ils font partie du processus plus large d’émergence des ONG, créées elles pour agir dans le domaine de l’éducation populaire et du travail social, en vue de donner une réponse là où l’intervention de l’Etat faisait défaut; elles ont eu une grande importance dans le développement social de la région.
L’expression "pratique alternative du droit", qui revient souvent dans le cadre de ce mouvement, n’a été créée par personne: elle est peut être née en Italie, mais les groupes n’ont jamais eu l’idée d’adhérer à un concept figé. Ce terme reflète plutôt l’existence préalable de pratiques, qui ont démontré qu’il est possible d’aborder le droit autrement: c’est à dire, avoir un rapport au droit différent de celui de l’avocat traditionnel. Les questions fondatrices étaient alors: le droit ne satisfait pas les besoins de la population, par incapacité du droit et des avocats; comment résoudre la séparation croissante entre la société réelle et la société légale?; comment récupérer la vocation des avocats dans un engagement social?; quelle méthodologie pour le travail populaire?
La vie et l’histoire des services juridiques montrent que les étapes qu’ils ont traversées les ont amenés à évoluer dans leurs rôles et activités. Ces étapes et rôles ont été les suivants:
1)Phase d’explication du droit et divulgation juridique: réaction face aux droits non satisfaits de la population, travail principalement pédagogique.
2)Phase d’organisation des programmes juridiques: remise en cause du rôle traditionnel de l’avocat. Les services juridiques "alternatifs" aident à l’organisation et à la formation de la communauté, lui donnent une participation active dans sa propre défense. La méthodologie du travail éducatif se précise, et ses instruments seront le théâtre juridique, la radio, les manuels d’éducation juridique populaire, les romans photo, les bandes dessinées, et un ensemble de jeux de rôles socio-dramatiques populaires provenant de la réalité.
3)Phase de participation de la communauté dans ses propres luttes juridiques: les services doivent pouvoir prendre en charge la "collectivisation d’un problème juridique", évitant d’isoler le cas individuel pour traiter le problème qui affecte toute une collectivité. C’est aussi l’organisation de la communauté dans la lutte pour le pouvoir local, la démocratisation des quartiers, la formulation de propositions pour le gouvernement local.
4)Aujourd’hui, une question sans réponse: comment faire en sorte que le service juridique devienne un agent de transformation sociale? Actuellement, il ne s’agit plus de se battre contre l’Etat mais de construire un Etat démocratique, une démocratie vraiment participative. Après des années d’opposition et de refus, ce rôle est difficile. Il faut également savoir résister au pouvoir, car il est vrai que les sociétés maintiennent leur domination en invitant les gens les plus capables à intégrer le cercle du pouvoir, où ils se dissolvent.
Dans la perspective actuelle, des questions-défis se posent:
- comment démocratiser l’Etat et donner une puissance à la société civile?
- comment faire en sorte que la communauté devienne un sujet de souveraineté, qui vote et participe, et cesse d’être uniquement un sujet de citoyenneté, qui vote seulement?
- comment rendre le rôle de protagoniste aux acteurs populaires, marginalisés au moment de la construction de la démocratie?
- comment contribuer à la création d’un nouveau modèle social, dans ce temps de "désajustement" structurel entre les droits de l’homme et le développement?
Plusieurs tâches restent encore en suspens pour les services juridiques: la systématisation d’expériences et l’usage de l’information au service du travail populaire; concerter la complicité et définir les alliances stratégiques avec les autres acteurs du développement, sans oublier les nouveaux mouvements sociaux; participer à la création d’une nouvelle loi sociale, où la communauté puisse avoir une capacité de proposition normative. (Version espagnole de cette fiche: MFN 2987)
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, Amérique Latine
Une réflexion sur l’articulation micro-macro devrait être également stimulée. Les propos de l’auteur ont été énoncés dans un cadre très particulier: une rencontre interafricaine. Pour lui, il ne s’agit plus d’additionner des expériences micro, mais d’agir localement tout en recherchant une proposition alternative globale. En effet, le facteur commun au Tiers Monde est l’incapacité du droit existant à résoudre ses problèmes. Une recherche basée sur la spécificité de chaque réalité, mais à partir de questions semblables, pour un dialogue Sud/Sud et Sud/Nord.
In: "Les Pratiques alternatives du droit (rencontre interafricaine), Cotonou, Bénin, 12-17 octobre 1992", 183 p. Cette fiche a été rédigée à partir de l’exposé de Manuel Jacques sur l’expérience des services juridiques latinoaméricains, suivi d’un débat. Propos recueillis et traduits par Ana Larrègle.
Littérature grise
JACQUES, Manuel, FPH, JURISTES SOLIDARITES, ASSODIV, 1993/01 (Belgique)
Juristes Solidarités - Espace Comme vous Emoi, 5 rue de la Révolution, 93100 Montreuil, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 51 39 91 - France - www.agirledroit.org/fr - jur-sol (@) globenet.org