L’importance de la mobilisation des habitants
02 / 1993
Comme la plupart des capitales latino-américaines, Saint-Domingue est caractérisée par une croissance rapide de sa population. Près de 70 % des habitants des villes vivent dans des quartiers précaires, tant au centre qu’à la périphérie. En 1987, « Année internationale des sans-abri », le gouvernement a commencé à remodeler la ville, avec pour arguments son embellissement et l’amélioration de la circulation : pour les festivités du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique, il fallait pouvoir montrer au monde une Saint-Domingue « belle, ordonnée et moderne ».
Le projet d’aménagement « Plan de développement de la zone Nord de Saint-Domingue », établi par la coopération allemande (GTZ) et qui comporte des investissements importants, se propose d’offrir près de 15 000 logements à plus de 70 000 habitants à bas revenus. Il consiste essentiellement à construire de nouvelles avenues et à en élargir d’autres. Mais le plan des nouvelles rues ne prend absolument pas en compte les constructions déjà existantes et les habitants eux-mêmes n’ont pas été consultés.
Ainsi, des quartiers entiers ont-ils été démolis aux bulldozers et les habitants obligés d’abandonner leurs maisons. En 1988, plus de 7 000 familles se sont retrouvées à la rue. Fin 1990, elles étaient plus de 15 000 provenant de différents quartiers (Faro à Colón, Villa Juana, Villa Consuelo, La Ciénaga, Hoyo de Chulin, La 70, La Chivera, La Zurza).
Les acteurs concernés par le processus des expulsions
Afin de pouvoir agir contre les mesures engagées par l’Etat, les habitants des quartiers marginaux se sont organisés au niveau local. Dans de nombreux quartiers se sont créés des comités qui se sont réunis dans une sorte de fédération, le COPADEBA (Comité pour la défense des droits des quartiers).
En 1987, une proposition populaire a été discutée et adoptée lors d’une assemblée convoquée par le COPADEBA, opposant au programme d’aménagement du gouvernement les points fondamentaux suivants : l’aménagement doit être planifié avec la participation des gens, bénéficier au plus grand nombre, garantir la survie des habitants, assurer les services essentiels et comprendre l’amélioration des logements.
La majorité des terrains concernés appartenaient à des particuliers ou à l’Etat. Les habitants s’abritaient derrière la loi 39 de 1966 qui autorise le pouvoir exécutif à offrir aux personnes de faibles ressources des terrains appartenant à l’Etat et sur lesquels des logements ont été construits. Ainsi, cette loi reconnaît et justifie l’occupation des terrains vagues appartenant àl’Etat dominicain.
Les habitants demandaient que l’Etat légalise les occupations de terrains et réalise les équipements et services nécessaires ; que seules soient expulsés ceux qui vivaient dans des endroits dangereux, qui avaient construit leur maison sans se rendre compte des obstacles ; que des projets de logements à bas prix soient réalisés ; que l’organisation du quartier soit reconnue pour les négociations.
Réactions des différents secteurs
Le gouvernement a avancé diverses raisons pour justifier l’aménagement urbain et les expulsions : l’amélioration de l’habitat des secteurs populaires, la réactivation de l’économie et la lutte contre le chômage, l’embellissement de la ville, les besoins de la circulation (pour ceux qui possèdent une voiture).
Les habitants organisés pour la défense des expulsés pensaient que l’aménagement urbain avait en fait pour objectif d’arrêter les mouvements de protestation dans les quartiers en réduisant la densité dans la zone centrale et d’ouvrir de nouveaux espaces pour l’investissement immobilier.
L’organisation de la population dans le cadre du COPADEBA a permis de faire connaître les expulsions au niveau international. La Coalition internationale de l’habitat (HIC) a régulièrement lancé des appels à ce sujet. Conjointement avec HIC, le COPADEBA a présenté devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies le problème des expulsions violentes. En réponse, le 11 novembre 1990, les Nations Unies ont condamné le gouvernement de la République dominicaine pour violation des droits de l’homme.
Des propositions alternatives
Les expulsés n’ont reçu comme indemnisation de la part du gouvernement qu’une autorisation à bénéficier d’un autre logement. Cependant, les nouveaux logements construits par l’Etat étaient si chers que les pauvres ne pouvaient pas les payer. Par ailleurs, ces nouveaux logements ne tenaient compte ni des conditions antérieures (dimensions, usages autres que l’habitat), ni des traditions culturelles des locataires, ni de la taille de la famille. Fréquemment, comme dans les cas du quartier des 800 et de la zone du Faro à Colón, les locataires ont été déplacés en banlieue, sans les services essentiels et loin de leur entourage humain et professionnel.
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, République Dominicaine
Gouverner les villes avec leurs habitants
Saint-Domingue n’a pas de tradition d’organisation et de lutte de quartier comme l’ont d’autres villes d’Amérique latine ou des Caraïbes. COPADEBA a dû partir de zéro. Les organisations de quartier n’avaient aucun statut légal aux yeux des instances officielles, ce qui en a fait des interlocuteurs officieux n’ayant qu’une capacité limitée de négociation. Les habitants ont néanmoins su transformer la protestation initiale en une organisation solide qui est aujourd’hui reconnue par le gouvernement ainsi qu’au niveau international en tant que membre de diverses organisations fédératives (FCOC, HIC, etc.).
Il s’agit-là d’un cas d’expulsion lié à un événement international, la célébration en octobre 1992 du cinquième centenaire de l’arrivée de Christophe Colomb sur l’île de Saint-Domingue.
Fiche traduite de l’espagnol par Sally Rousset (RITIMO-IRFED)
Rapport
FLORIAN BORBON, Alejandro, RUIZ DE SOMOCURCIO, Jorge, HIC=HABITAT INTERNATIONAL COALITION, MISEREOR, HABITAT INTERNATIONAL COALITION (HIC), 1988/05 (MEXIQUE)
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