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Le qat, planche de salut ou cancer de l’économie yéménite ?

01 / 1993

Le qat joue un rôle important dans l’économie et la société du Nord Yémen. A la fois narcotique et stimulant, son principe actif, la cathinone, est concentré dans les jeunes feuilles qui doivent être mâchées longuement pour en extraire le jus. Introduit au Yémen à partir de l’Ethiopie à la fin du XIXème siècle, il était alors consommé essentiellement dans le cadre de rituels religieux. Il s’est ensuite répandu, mais seulement dans les milieux aisés en raison de son coût.

A partir de 1960, le boom pétrolier entraîne un bouleversement de l’économie yéménite : importante émigration vers les pays du Golfe, d’où abandon partiel de l’agriculture de subsistance devenue peu rentable et, en échange, rapatriement d’importantes sommes d’argent et monétarisation de l’ensemble des échanges. Le qat devient alors un enjeu du nouvel ordre socio-économique du pays. Son histoire et son mode de consommation (au cours de longues réunions, véritables rituels sociaux)le rendent représentatif d’un certain niveau de vie : en 1980, plus de 40 % de la population en consomme (70 à 80 % des hommes, 30 % des femmes); les dépenses pour le qat sont généralement supérieures à celles pour l’alimentation, imposant à certains de trouver des ressources plus ou moins légales.

La hausse de la demande solvable entraîne un accroissement de l’offre : la surface cultivée aurait doublé au cours des années 1970 et représente, dans les premières années 1980, 3,5 % de la surface cultivée et la moitié de la terre consacrée aux cultures non céréalières. Le qat devient la principale ressource de revenu des paysans, stratégie de survie pour les uns, d’accumulation pour les autres.

Cet accroissement se réalise aux dépens d’autres cultures moins rémunératrices, devenues plus risquées dans un contexte de dégradation des économies paysannes : cultures céréalières produites dans des conditions de faible productivité et exposées à la concurrence des céréales exportées par les pays occidentaux à des prix inférieurs, café dont les prix ont tendance à baisser et sont soumis aux fluctuations et barèmes internationaux (qat et café demandent les mêmes conditions écologiques), et au détriment des pâturages.

En revanche la culture du qat attire des capitaux, notamment ceux issus de l’émigration, qui sont investis dans des innovations techniques liées au développement de l’économie du qat (développement des transports, amélioration des infrastructures sociales dans les campagnes, installations hydrauliques)et crée un marché du travail rural ouvert aux rejetés de l’agriculture.

Les inconvénients de la culture du qat ont été dénoncés dès 1930 par divers organismes internationaux, mais les efforts pour éradiquer sa production et sa consommation n’ont eu que des effets limités. Au Nord Yémen, des tentatives timides témoignent de l’ambiguïté de la position officielle et des enjeux en cause : ainsi, devant l’opposition de certains intérêts économiques et au nom d’une "pratique culturelle" enracinée, le gouvernement a retiré une résolution édictée contre le qat en 1972.

Comme pour les autres drogues, il s’agit de substituer à un mode de fonctionnement économique un autre mode qui génère des conditions favorables à la valorisation des capitaux, développe des secteurs d’emploi, structure de nouveaux rapports sociaux et de pouvoir. L’efficacité de cette politique se mesurera toutefois à la proposition aux producteurs d’alternatives dont la promotion devra être soumise à la protection du marché intérieur face aux importations. Il en est ainsi depuis 1983 pour les cultures horticoles dans les zones tropicales semi-arides et arides peu favorables à la culture du qat. Dans les zones montagneuses où le qat prospère, les alternatives économiques envisageables sont peu nombreuses : élevage, arbres fruitiers et forestiers pouvant donner lieu à des industries de transformation.

L’économie du qat étant en fait fortement dépendante des sources extérieures de revenus, il est à craindre que leur diminution n’incite au remplacement de ce narcotique "doux" par une culture illicite destinée aux marchés internationaux.

Mots-clés

économie nationale, milieu rural, drogue


, Yémen

Notes

Bibliographie.

Source

Articles et dossiers

DESTREMAU, Blandine in. ETUDES RURALES, 1990, 117

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