Je suis technicien agricole en Aveyron depuis plus de 3O ans. J’ai participé à tout le mouvement de modernisation de cette agriculture. Au début de ma carrière, j’étais animateur des CETA. C’était une période très exaltante, je travaillais avec des jeunes agriculteurs qui voulaient changer le monde, enfin, changer leur monde. Et ils étaient persuadés, et moi avec eux, que cela pouvait se faire, grâce au progrès technique, à la modernisation de l’agriculture.
Dans les CETA, nous avons beaucoup travaillé à l’amélioration de la production laitière, par l’accroissement des rendements, l’amélioration de la production fourragère. Les résultats de ces améliorations de techniques se traduisaient très rapidement par une augmentation du revenu qui permettait d’améliorer les équipements, de faciliter le travail, d’agrandir l’exploitation...
Après les CETA, j’ai travaillé à la création des CUMA. Là aussi, il y avait derrière les aspects techniques, des aspects humains qui étaient très importants : la volonté de travailler en commun, d’avancer ensemble. Quand j’ai quitté le service des CUMA, j’ai été affecté comme "conseiller généraliste" dans une petite région agricole. Mon rôle était d’apporter un conseil technique ou de gestion à toutes les exploitants qui le demandaient. J’avais un petit secteur, 3OO-4OO exploitations que je connaissais personnellement pour une bonne moitié d’entre elles...
Aujourd’hui les choses ont changé, le rôle du technicien généraliste a beaucoup évolué. Avec le développement des aides à l’installation, à la modernisation, nous avons été chargés de l’élaboration des dossiers des candidats, qui sont des procédures de plus en plus compliquées et paperassières qui ne nous laissent plus vraiment le temps d’aller sur le terrain. Quand nous faisons un dossier, cela nous permet de rencontrer un agriulteur à un moment précis de sa carrière professionnelle. Construire avec lui son projet de développement est évidemment intéressant. Mais dès qu’il sera sorti de mon bureau, ce sera terminé, je le reverrai peut-être dans dix ans pour un nouveau dossier, mais entre-temps, je n’ai ni le temps, ni les moyens pour assurer un suivi de son projet, lui apporter un réel appui qui dure dans le temps. Mon secteur s’est beaucoup agrandi et je ne connais plus individuellement les exploitations. Dans les réunions, je rencontre toujours les quelques-mêmes agriculteurs qui ont des responsabilités professionnelles, mais ce qui se passe vraiment sur le terrain, je n’en sais plus rien. Je n’ai plus vraiment l’impression de faire un travail de développement.
Le milieu agricole a beaucoup changé aussi, je le vois à travers les jeunes que je rencontre dans les formations à l’installation. Il y a de moins en moins d’esprit collectif. Les certitudes sur ce que va apporter le progrès technique sont moins fortes aujourd’hui et les préoccupations économiques conduisent à un individualisme grandissant.
Les agriculteurs et les techniciens aussi sont très destabilisés par l’évolution actuelle du discours sur l’agriculture. J’ai passé 3O ans à diffuser un certain modèle d’agriculture, à essayer de convaincre les gens de se spécialiser, d’augmenter leurs rendements... aujourd’hui il faut que je leur dise l’inverse, que je les pousse à se diversifier. C’est très difficile, pour plusieurs raisons. D’abord, il faudrait que je sois moi-même convaincu que cela peut marcher, il faudrait que l’organisation agricole qui m’emploie ait un discours clair là-dessus et définisse réellement des priorités, et que les responsables professionnels agricoles qui la dirigent prennent leurs responsabilités et acceptent de porter vraiment des projets que jusqu’à présent, ils ont surtout marginalisés.
Ensuite, il faudrait que je dispose de références techniques et économiques sur ces nouvelles activités, que je connaisse les partenaires, les relais possibles pour assurer l’encadrement d’actions parfois très spécifiques. Faire de la fraise, de l’élevage d’écrevisses ou de l’agro-tourisme, pourquoi pas, mais ce sont des métiers différents qu’il faut apprendre.
Et puis surtout, il faudrait du temps, pour repérer les projets, les suivre. Les gens qui souhaitent s’engager dans ces voies le font souvent de manière très individuelle et ne viennent pas solliciter le conseiller agricole dont ils pensent que, de toutes façons, il ne sera pas compétent.
Très concrètement, même si j’avais du temps actuellement, j’hésiterai beaucoup à m’engager dans une démarche active d’émergence de projets qui risque de créer des demandes auxquelles je ne serais pas capable de répondre et dont je ne suis pas sûr qu’elles seraient portées par les responsables agricoles.
L’avenir de mon métier pose beaucoup de questions. Moi, je suis proche de la retraite, mais pour les jeunes conseillers agricoles, je vois deux évolutions possibles : soit ils deviendront des conseillers beaucoup plus spécialisés dans la gestion ou les problèmes juridiques et fiscaux pour assister les exploitations très performantes. Un tel appui ne passera pas forcément par les organisations agricoles actuelles. Il y a de plus en plus de cabinets indépendants qui se créent et qui vendent leurs services aux exploitations capables de les payer. Soit, s’ils ont vraiment envie de travailler dans le développement, ils devront s’orienter vers le développement rural, le développement local et des fonctions d’animation beaucoup plus que de conseil technique. Je crois que de nouvelles fonctions très stimulantes peuvent être trouvées dans ce domaine, mais c’est un autre métier, qui reste largement à inventer.
milieu rural, agriculture, développement rural
, France, Aveyron
Ce témoignage rend compte de l’évolution d’un métier, qui a été étroitement associé à la modernisation agricole. Aujourd’hui, un bon nombre d’agriculteurs sont techniquement aussi compétents que le technicien agricole (ne serait-ce que parce que souvent ils sortent des mêmes écoles). Le besoin en animation de "terrain" existe toujours, mais il s’est déplacé vers le développement rural et local. Lenouveau métier qui peut répondre à ce besoin sera sans doute infiniment plus complexe et reste effectivement largement à inventer. Certaines organisations (les CIVAM, par exemple)proposent de confier ce rôle aux agriculteurs eux-mêmes.
Entretien
ENSAM (Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie de Montpellier) - L’ENSAM fait partie depuis janvier 2007 de Montpellier SupAgro qui est née de la fusion de 4 établissements : ENSAM, Centre national d’études agronomiques des régions chaudes (CNEARC), Département industries agroalimentaires régions chaudes de l’École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires (ENSIA-SIARC) et Centre d’expérimentations pédagogiques de Florac (CEP Florac). 2 place Pierre Viala, 34060 Montpellier Cedex 1, FRANCE - Tél. 33 (0)4 99 61 22 00 - Fax 33 (0)4 99 61 29 00 - France - www.agro-montpellier.fr - contact (@) supagro.inra.fr