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Après trente ans de modernisation, l’agriculture reste un monde contrasté

Rencontre avec H. et M. D., paysans aveyronnais qui n’ont pas pris le train du progrès...

Betty WAMPFLER

05 / 1994

Le Ségala aveyronnais est une région emblématique de la modernisation agricole des Trente Glorieuses. Pourtant, toutes les exploitations agricoles ne s’y sont pas développées au même rythme, ni de la même manière. Une enquête sur l’impact des quotas laitiers nous a donné l’occasion de visiter de nombreuses exploitations du Ségala. Parmi elles, celles de Henri et Marie D.

Henri et sa femme Marie habitent une région reculée du Ségala. Ils sont aujourd’hui âgés, mais continuent à exploiter une petite ferme dont ils ont hérité, il y a 3O ans. Pour arriver chez eux, il faut se perdre dans les collines, puis prendre une vallée, puis remonter sur les crêtes. La ferme est isolée, au milieu des prés et des bois. Les bâtiments sont anciens, n’ont jamais été rénovés. Un portail de bois s’ouvre sur la cour de la ferme où des poules et des canards vaquent librement à leurs occupations. Dans la pénombre de la grange, on devine un tracteur d’un modèle ancien, rangé au milieu de quelques outils agricoles et un clapier dans lequel des lapins mangent des genêts qu’on vient de leur apporter. Marie D. nous accueille et nous emmène dans l’étable où Henri est en train de traire ses vaches. Ici, pas de salle de traite, ni même de traite mécanique, Henri est assis près d’une vache rousse qu’il trait à la main. Son troupeau de 1O vaches n’est pas d’une race bien définie. Les vaches sont attachées devant un ratelier de foin, elles ont chacune leur nom et donnent bon an, mal an, 3 OOO litres de lait (la moyenne aveyronnaise est de 5 5OO l/vache par an). Elles sont nourries avec du foin l’hiver et ne connaissent ni l’ensilage, ni les aliments concentrés. En été, c’est Marie qui les garde au paturage. Le camion de ramassage laitier continue à passer chez les D. malgré leur très petit quota (25 OOO litres)parce qu’il a plus loin sur la même "tournée", une exploitation plus importante dont le quota justifie, pour la laiterie, le déplacement du camion. Avec l’excédent de lait (5 OOO litres environ)Henri élève quelques veaux qu’il vend à la foire de Baraqueville. Parfois, quand un voisin modernisé cherche une bête facile à traire pour l’auto-consommation familiale de lait, il lui vend une de ses vaches.

Les D. n’ont pas de grands besoins : ils vivent de la vente du lait et des produits du potager et de la basse-cour. Leur unique fils est déjà grand, il a fait quelques études grâce aux bourses scolaires et vit maintenant à Toulouse. Marie, qui nous reçoit dans la cuisine en faisant bouillir le café nous dit qu’elle ne le voit pas bien souvent ce fils, mais que "on comprend qu’il n’ait pas envie de venir, on n’a même pas de salle de bain ici. On n’est plus assez bien pour lui.."C’est dit presque sans amertume, c’est juste un constat, une évidence. Vous savez, nous dit-elle, quand on a hérité de la ferme, il y avait juste 3 hectares de terres. Un patron nous en a donné 6 autres en métayage. On pensait pouvoir en racheter petit à petit. Et puis, il y a eu la brucellose dans le troupeau, Henri a dû se louer pendant quelque temps sur une grosse ferme pour qu’on s’en sorte. Finalement, les années ont passé et on n’a jamais eu assez d’économie pour racheter de la terre ou augmenter le troupeau et on ne voulait pas prendre un crédit. Quand on prendra la retraite, les terres retourneront au patron, on gardera les vaches quand même. Mais de toutes façons, avec le jardin, les poules et les lapins, on aura toujours assez pour manger ..."

Autour d’eux, d’autres fermes ont eu une trajectoire différente : à partir de petites surfaces en propriété familiale, certains exploitants ont obtenu des fermages durables, et ont pris le risque d’emprunter, pour investir, pour se moderniser. C’est parmi ces exploitations là que l’on trouve celles qui ont aujourd’hui une succession ... "Oui, dit Marie, c’est ceux qui avaient déjà du bien qui ont pu faire ça..."

L’explication des trajectoires différentes des exploitations du Ségala ne se réduit pas évidemment à ce seul facteur. Si la disponibilité initiale de capitaux a favorisé le développement des exploitations moyennes, d’autres facteurs ont joué : capacité d’innovation, attitude face au risque, chance ...

Le portrait des époux D. peut paraître anachronique. Cependant une partie du monde agricole leur ressemble encore : les enquêtes faites en 1992 sur un ensemble de 2 5OO exploitations du Ségala montrent que la part des très petites structures agricoles reste importante même dans cette région modernisée. 3O % des exploitations des 4 cantons étudiés ont un volume de productions inférieur à la moitié du volume nécessaire pour dégager un smig. La plupart de cex exploitations sont très peu modernisées et ne sollicitent pas les organismes de déeloppement agricole qui ne les connaissent pas. Le plus souvent, elles sont sur des trajectoires de régression (décapitalisation sur foncier et le troupeau, exploitants âgés et sans succession), même si on observe occasionnellement, depuis quelques années, le contexte de chomâge aidant, des installation de jeunes agriculteurs sur ces structures précaires.

Mots-clés

agriculture, milieu rural


, France, Aveyron

Commentaire

A quoi ressemblera le paysage aveyronnais quand ces 3O % d’exploitations auront disparu ? Certes, ce sont les plus petites, et leurs meilleures terres trouveront preneur parmi les exploitations qui resteront. Quant aux autres terres, elles seront boisées ou repartiront à la lande ou à la friche. Le tissu rural, lui, sera irrémédiablement vidé d’une partie de sa substance.

Source

Entretien

ENSAM (Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie de Montpellier) - L’ENSAM fait partie depuis janvier 2007 de Montpellier SupAgro qui est née de la fusion de 4 établissements : ENSAM, Centre national d’études agronomiques des régions chaudes (CNEARC), Département industries agroalimentaires régions chaudes de l’École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires (ENSIA-SIARC) et Centre d’expérimentations pédagogiques de Florac (CEP Florac). 2 place Pierre Viala, 34060 Montpellier Cedex 1, FRANCE - Tél. 33 (0)4 99 61 22 00 - Fax 33 (0)4 99 61 29 00 - France - www.agro-montpellier.fr - contact (@) supagro.inra.fr

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