La Coopérative des Fermiers du Bas-Rouergue
05 / 1994
Deux types de préoccupations ont conduit, en 1974, quelques agriculteurs du Villefranchois aveyonnais à créer la Coopérative des Fermiers du Bas Rouergue (FBR). En tant qu’éleveurs de bovins viande, ils se sentaient délaissés par les organisations de développement agricole qui s’occupaient en priorité des productions "faciles à intensifier", le lait, les porcs, les hors sol. En tant que producteurs agricoles, ils voyaient l’aval de la production leur échapper et étaient convaincus de la nécessité de s’investir dans la commercialisation, pour récupérer la valeur ajoutée de leurs produits.
Le "veau d’Aveyron" qu’ils produisaient est un veau nourri sous la mère, abattu à l’age de dix mois (ayant de ce fait, une chair rose)et qui était essentiellement exporté vers les marchés italiens, le marché français exigeant un veau "blanc" (séparé de la mère, nourri artificiellement et abattu à quatre mois).
Pour conquérir le marché français avec leur veau rose traditionnel, ces producteurs ont alors créé une coopérative assurant la distribution de leur produit. Ils ont d’abord vendu par correspondance, puis, au bout de quelques années, face à la stagnation de ce mode de vente, ont constitué un réseau de boucheries "franchisées" (30 bouchers en 1992).
D’autres viandes ont été progressivement commercialisées (agneau, porc, volaille)et la gamme de produits s’est enrichie de charcuteries, de conserves, puis de plats cuisinés apperturisés.
L’innovation la plus récente répond à la volonté de s’adapter à l’évolution des habitudes de consommation : le vorrocho est un "hamburger aveyronnais", une escalope de veau servie dans un petit pain biologique, avec lequel les FBR sont partis à l’assaut des "sandwicheries" parisiennes.
Pour faire connaitre leurs produits sans y consacrer un énorme budget publicitaire, ils ont adopté une stratégie d’invitations d’organes de presse nationaux : les journalistes sont invités à une journée de voyage en Aveyron, tous frais payés, avec accueil à l’aéroport, visite des exploitations, repas fermiers gastronomiques, suivi d’une conférence de presse dans des prés verdoyants ou au milieu d’une basse-cour. Le résultat est en général un article de presse dithyrambique qui fait plus pour la réputation des FBR qu’un placard publicitaire coûtant des milliers de francs dans le même journal.
Au bout de 20 ans de fonctionnement, la coopérative regroupe 80 producteurs, emploie 1O salariés et commercialise 4OO tonnes de viande par an. EN 1990, elle a investi dans la construction d’un nouvel atelier de transformation aux normes CEE et d’une capacité de 600 tonnes/an.
Ces investissements ne peuvent être rentabilisés que par une augmentation de la production. Actuellement, la coopérative pourrait absorber environ 20 % de production supplémentaire. Mais paradoxalement, le recrutement de nouveaux producteurs s’avère difficile alors que les grandes productions sont en crise.
L’analyse des prix pratiqués par la coopérative montre objectivement que "la qualité paye" : les prix moyens sont plus élevés chez les FBR que dans les filières classiques; de plus, les prix ne sont que peu sensibles aux fluctuations des cours de la "viande industrielle".
Comment expliquer alors la difficulté à mobiliser de nouveaux producteurs ?
Les détracteurs des FBR objectent que les producteurs des FBR ne livrent à la coopérative que la meilleure qualité de leur production, et écoulent le reste dans les filières classiques. Si la bonne qualité de viande était livrée aux filières classiques, elle y serait de même mieux valorisée. Les chiffres de prix moyen seraient donc trompeurs, ce que beaucoup de producteurs auraient déjà compris.
A cet argument économique, on peut ajouter d’autres arguments, sociaux, institutionnels.
- Les FBR demandent à leurs producteurs le respect d’un cahier des charges strict, ce qui est encore souvent perçu comme une contrainte insupportable par les producteurs traditionnels.
- L’image des FBR dans le monde agricole a été longtemps entachée par le manque de confiance, voire l’hostilité des organisations professionnelles agricoles à leur égard ("bricoleurs", "francs-tireurs", "originaux"...)qui laisse des traces dans la perception collective.
- Enfin, l’adhésion aux FBR implique de s’engager dans une gestion collective. Même si le degré d’implication des producteurs dans la structure est variable, (une vingtaine d’entre eux forme le noyau actif de la coopérative)certains producteurs hésitent à s’engager dans une action de groupe, dont la politique commerciale n’est pas clairement définie, est sujette à des à-coups, des revirements, des lenteurs, inhérentes à la négociation de groupe.
Beaucoup de producteurs préfèrent s’éviter ce type de contraintes en livrant leur production à une structure "classique" qui, si elle les rémunère moins bien, ne leur demande aucune mobilisation personnelle.
milieu rural, organisation paysanne
, France, Aveyron
L’exemple de la Coopérative des Fermiers du Bas Rouergue est intéressant à divers points de vue. Son ancienneté déjà importante (20 ans)et une dimension significative (80 producteurs, 10 salariés)en font une réponse aux détracteurs de la vente directe fermière qui estiment que ce type d’expérience ne saurait être que limité, et peu durable. Mais les difficultés rencontrées pour élargir l’entreprise, en y intégrant de nouveaux producteurs, montrent aussi que l’expansion de ce type d’expérience était jusqu’à présent difficile, malgré la crise qui aurait dû sensibiliser l’agriculture traditionnelle à l’ouverture sur d’autres voies.
Entretien
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