Dans ses leçons de mai 1990 au Collège de France, le jésuite libanais Sélim Abou part en guerre contre ceux qui s’opposent à l’ethnocentrisme occidental. Lutter contre l’imposition de la modernité occidentale aux peuples du Sud reviendrait à condamner ceux-ci à l’enfermement dans les limites étroites d’une identité ethnique surinvestie, ce qui risque de les conduire à l’oppression et à la misère. Emboîtant le pas à l’auteur du "Sanglot de l’homme blanc", Sélim Abou dénonce chez les "culturalistes" et les tiers-mondistes la mauvaise conscience européenne, voire la haine de soi et l’idéalisation compensatoire des sociétés traditionnelles devenues le lieu symbolique de l’évasion imaginaire grâce aux mythes renouvelés du bon sauvage et de l’âge d’or. S’ils rêvent d’un tiers-monde "autre", c’est en somme encore par égocentrisme ... Sélim Abou affirme non seulement l’existence de valeurs universelles mais aussi la supériorité de la culture occidentale moderne qui les incarne. L’auteur reconnaît avoir vécu - au Liban, en Argentine - les méfaits de la déculturation due à l’occidentalisation imposée et au développement mimétique. Il signale que le processus d’acculturation peut être vécu comme un facteur de désintégration. Il observe que la collision entre l’Occident moderne et les traditions locales conduit à un déchirement angoissant entre deux "surmois" contradictoires et à une crise d’identité grave. Il évoque en passant l’ethnocide, les dégâts et les méfaits de l’acculturation unilatérale entraînée par l’impéralisme occidental encore qu’il salue la colonisation comme un facteur globalement positif. Il réserve ses timides critiques essentiellement aux sanguinaires "conquistadores" de l’Amérique Latine. Mais il ne s’y attarde guère ! Foin de morosité culpabilisatrice envers la modernité occidentale ! L’Occident est porteur de raison et de liberté. Il a su maîtriser la nature. A ce triple titre, sa culture est supérieure. Elle doit donc être portée aux confins de la terre, dit en substance Sélim Abou.
développement culturel, droits humains, science et culture, ethnocentrisme
, Europe
L’Occident serait porteur de la raison, valeur universelle ! Sélim Abou est conscient de l’énormité que constituerait l’affirmation sans nances d’un tel messianisme. Il signale heureusement lui-même l’éclipse de la raison dont souffre l’Occident, à savoir la dérive de la raison spéculative et morale à la raison instrumentale et calculatrice. L’Occident a idolâtré la raison pour en faire une machine à justifier n’importe quelle ambition. D’un pouvoir d’interrogation sur le sens de l’existence et les fins de l’homme, la raison a souvent été réduite à une simple faculté de coordination entre les moyens et les fins. La raison propagée par les Lumières s’accompagne d’un processus de déshumanisation, disait déjà en 1946 Max Horckheimer. La néo-barbarie qui guette le monde moderne est liée à cet "homme unidimensionnel" évoqué par Herbert Marcuse.
Livre
ABOU, Sélim, HACHETTE, 1992 (France)
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