La pêche artisanale pose des problèmes de financement des investissements assez spécifiques. Sont présentés ici, pour l’Afrique, les différents modes de financement et certaines conséquences socio-économiques de cette situation.
Les sources de financement sont soit internes, soit externes (crédit, transfert), ces différentes modalités étant en général complémentaires.
1. Modes de financement interne.
L’épargne des pêcheurs artisanaux n’est que rarement déposée auprès d’une banque et beaucoup plus souvent gardée en liquidités sous la main. Cette épargne peut provenir de secteurs connexes à la pêche, comme la transformation et la commercialisation du poisson. Ces dernières activités sont souvent du ressort des femmes-entrepreneuses qui investissent leurs bénéfices dans la pêche, au Sénégal de façon solidaire avec leur époux, mais au Togo généralement de façon indépendante (l’équipement étant confié à des pêcheurs, et une part fixe de la valeur des prises revenant à l’entrepreneuse). L’épargne peut aussi provenir d’autres sphères d’activité : agriculture de plantation (qui requiert moins d’investissements et qui assure un revenu plus régulier)ou tourisme, par exemple (c’est le cas des "campements" au Sénégal prévus pour touristes aux revenus modestes). D’autres pêcheurs encore acceptent des emplois salariés (par exemple dans la pêche industrielle)pour une durée limitée pour se constituer un capital permettant l’achat de matériel.
2. Modes de financement externe.
Le crédit peut être public ou privé, et dans ce second cas formel ou informel. Le crédit privé informel est surtout le fait des intermédiaires entre les pêcheurs et les consommateurs, ou des fabricants et vendeurs de pirogues, et se fait selon des modalités diverses : remboursement avec intérêts, vente de la pêche à prix inférieurs à ceux du marché, ou, dans le cas de l’achat d’une pirogue, paiement échelonné. Le crédit privé formel (celui des banques commerciales)est difficilement accessible du fait du peu de garanties que les pêcheurs peuvent offrir. Ceux d’entre eux qui cumulent une activité d’agriculture et possèdent des terres rencontrent moins de difficultés.
Finalement, l’existence de crédits publics dépend du type de politique suivie par l’Etat vis-à-vis de la pêche artisanale. Dans les cas favorables, les pêcheurs peuvent bénéficier de taux d’intérêts subventionnés ou, se constituant en coopératives, faire jouer des garanties de groupe. Citons le cas du Maroc où des bateaux de pêche industrielle espagnols règlent le montant de leur licence de pêche dans les eaux territoriales marocaines en nature, sous forme d’équipements destinés à la pêche artisanale locale. Ceux-ci sont alors vendus aux pêcheurs pour partie à mi-prix et le reste à des conditions libérales de crédit.
En ce qui concerne les transferts, ils sont de nature privée (versements effectués par des membres de la famille ayant obtenu un emploi rémunérateur en ville ou à l’étranger)ou publique. Ces derniers peuvent prendre la forme de subventions permettant l’achat de matériel à prix réduit (voir ci-dessus). En Afrique, ces subsides proviennent pour la plus grande part de l’aide étrangère.
3. Quelques conséquences socio-économiques.
Du fait du coût des innovations techniques, dans de nombreux pays africains, des intérêts extérieurs (fonctionnaires, marchands, capitalistes, hommes politiques...)ont pris un contrôle croissant des moyens modernes de production utilisés dans la pêche artisanale. Ces personnes disposent d’avantages déterminants : accès privilégié aux sources du capital du fait de leurs autres activités, accès également aux facilités de crédit privé et public de par l’importance de leurs actifs et de leurs réseaux de relations. On peut également noter que certaines catégories potentiellement perturbatrices (telles les "maîtrisards" sénégalais, diplômés universitaires sans emploi)font l’objet de mesures de faveur (crédits avantageux, etc.). Au Sénégal, beaucoup de "maîtrisards" ont investi dans la pêche artisanale. Enfin, le phénomène est encore aggravé par le détournement de l’aide internationale au développement.
L’implication de ces investisseurs "de l’extérieur" dans l’activité de pêche est plus ou moins directe. De façon générale, ils ne vont pas en mer. Mais ils peuvent superviser de près l’entretien du matériel, la vente des prises (lorsque le propriétaire est commerçant, la supervision peut aller jusqu’aux opérations de vente au détail), la rémunération de l’équipage, son recrutement (ou licenciement), etc. Dans d’autres cas, ce sont véritablement des propriétaires absentéistes.
Dans la mesure où la rémunération du capital est toujours calculée comme une proportion fixe de la valeur des ventes, il se pose évidemment le problème du contrôle de cette rémunération. Toutefois, même une supervision plus directe des opérations n’empêche pas tout problème de cet ordre : l’équipage peut toujours confier une partie des prises à des amis avec lesquels ils voyageraient de concert. Par ailleurs, imposer une rémunération fixe ne constitue aucunement une solution car les pêcheurs n’accepteraient jamais de porter l’intégralité du risque de pertes en cas de pêche infructueuse.
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, Afrique subsaharienne, Sénégal, Togo, Maroc
Extrait de l’article "Etat, marché et pêcheurs marins artisanaux en Afrique francophone et lusophone".
Articles et dossiers
PLATTEAU, Jean Philippe in. AFRIQUE CONTEMPORAINE, 1990 (France), N°154
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