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Le nouvel accaparement des terres africaines

Une ruée alarmante est en cours sur le continent

Agazit Abate

11 / 2011

Des multinationales achètent d’immenses surfaces de terre en Afrique au détriment des communautés locales. Agazit Abate met en garde contre cet accaparement qui met les pays au péril d’une plus grande insécurité alimentaire, va aggraver la dégradation de l’environnement, augmenter la dépendance à l’assistance et marginaliser les communautés des paysans et des bergers.

Le phénomène récent d’accaparement des terres, comme l’a montré une recherche extensive de l’Oakland Institute, a conduit à la vente d’immenses étendues de terre dans toute l’Afrique. Pour la seule année 2009, près de 60 millions d’hectares ont été cédées ou louées à travers le continent en vue d’une production de denrées alimentaires, de fleurs coupées et de cultures destinées à faire du biocarburant.

L’accaparement des terres a été partiellement généré par la crise financière et alimentaire de 2008, lorsque des organismes internationaux, des multinationales, des fonds d’investissement, de riches individus et des gouvernements ont commencé de nouveau à s’intéresser à l’agriculture et aux denrées alimentaires comme matières premières rentables. Comme le souligne le rapport cité plus haut, cet accaparement des terres conduit à une aggravation de l’insécurité alimentaire, à la dégradation de l’environnement, à l’oppression et aux déplacements des communautés, sans compter une plus grande dépendance à l’aide.

Qui sont les investisseurs

Les médias sont focalisés sur des pays comme l’Inde et la Chine dans cette course à l’acquisition de terres, mais l’enquête de l’Oakland Institute révèle une implication des firmes occidentales, de riches Européens et Américains et de fonds d’investissement liés à de grandes banques comme Goldman Sachs et JP Morgan. On retrouve également parmi ces investisseurs des firmes d’investissement alternatives comme Emergent, basée à Londres, qui travaillent à attirer vers ce secteur les spéculateurs et de nombreuses universités comme Harvard, Spelman et Vanderbilt.

Des intérêts financiers du Texas du Sud se sont associés à un accord portant sur 600 000 hectares dans le Sud Soudan, impliquant Kinyeti Development LLC, une firme basée à Austin (Texas) et impliquée dans le business global des partenariats pour le développement et des holdings. Elle est gérée par Eugène Douglas, un ancien ambassadeur américain et coordinateur aux affaires pour les réfugiés. Un acteur essentiel dans cet accaparement des terres en Tanzanie reste l’entrepreneur en agrobusiness de l’Iowa et pilier du Parti Républicain, Bruce Rastetter.

Les compagnies américaines sont souvent invisibles. Elles utilisent des filiales enregistrées dans d’autres pays comme Petrotech-ffn Agro Mali, filiale de Petrotech-ffn USA. De nombreux pays européens sont également impliqués à travers leurs ambassades installées dans des pays africains. Des compagnies suédoises et allemandes ont ainsi des intérêts dans la production du biocarburant en Tanzanie. La compagnie suisse Addax Bioenergy ou Quifel International Holding (QIH) du Portugal sont des investisseurs de taille en Sierra Leone. Dans ce pays, la Sierra Leone Agriculture (SLA) est une filiale de Crad-1 (CAPARO, Renewable Agriculture development LTD), compagnie basée en Grande Bretagne et associée à l’African governance initiative de Toni Blair. Comme l’ont rapporté les médias, des compagnies indiennes sont aussi impliquées dans l’accaparement des terres, particulièrement en Ethiopie. Des pays sans sécurité alimentaire comme ceux de la région du Golfe s’engagent aussi dans ces accords fonciers à des fins de production de nourriture pour leur propre pays.

Développement économique

Un des principaux arguments avancés par les gouvernements et les investisseurs consiste à dire que ces investissements génèreront du développement économique dans les pays qui cèdent ainsi leur foncier. Mais selon le rapport de l’Oakland Institute, ces transactions sont gratuites (comme dans le cas du Mali) ou faites à bon marché (comme en Ethiopie ou en Sierra Leone). Elles sont pour la plupart non réglementées, sans précisions ou garanties d’une aide à apporter aux populations locales ou une obligation de créer des infrastructures. Alors que les défenseurs de l’accaparement des terres africaines basent leur rhétorique sur l’investissement étranger direct, il n’y a rien qui prouve que ces fonds vont affluer de façon substantielle.

La plupart de ces accords sont accompagnés d’énormes réductions de taxes et autres incitations à l’investissement. Cela offre un excellent marché aux investisseurs, mais un moindre afflux financier pour le pays et donc moins de moyens à disposition pour l’amélioration des infrastructures ou des services sociaux. Par exemple, la Sierra Leone permet une possession à 100% étrangère, sans restriction sur le trafic des devises, le rapatriements de l’intégralité du profit, des dividendes et des royalties et sans aucune limites sur le nombre d’expatriés employés.

Une autre justification de ces accords fonciers repose sur l’idée sont laquelle ils vont permettre la création d’emplois dans les régions concernées. Là encore, le manque de stipulation dans les accords ainsi que l’enquête sur le terrain montrent que ces promesses sont au mieux exagérées ou, au pire, complètement fausses. Le projet d’investissement de Emvest Matuba, ainsi que le personnel d’Emergent et d’Emvest ont promis des créations d’emplois privilégiant le recrutement dans la communauté locale, mais un décompte récent au niveau d’Emergent révèle qu’actuellement seuls 17 postes permanents sont assurés sur 36. Au Mali, la région visée par un gros accords foncier portant sur une terre qui pourrait facilement accueillir 112 537 familles de paysans, soit plus d’un demi million de personnes (686 478) se trouve entre les mains d’un groupe de 22 investisseurs qui, au mieux, créeront quelques milliers d’emplois.

Pire encore, ces accords fonciers génèrent des emplois saisonniers à bas salaires et permettent aux investisseurs de profiter d’une main d’œuvre bon marché pour exploiter une terre obtenue pour une bouchée de pain.

Le déplacement de communautés

Dans les stratégies d’accaparement, il est prétendu que les communautés ne font pas l’objet de déplacements forcés loin de leurs terres et que ceux à qui il est demandé de s’en aller sont compensés pour la perte de leurs biens. En vérité, c’est le contraire qui est la norme. Les fonctionnaires du gouvernement éthiopien, par exemple, ont déclaré que les terres qui avaient été louées n’étaient pas utilisées et se trouvaient à l’abandon. Dans l’intervalle, un processus de villagisation est en cours, avec le déplacement de 700 000 autochtones qui vivaient sur une terre visée par les investisseurs.

En 2010, à Samana Dugu, au Mali, des bulldozers sont venus déblayer un terrain. Lorsque les villageois ont protesté, ils ont été confrontés à la police qui les a battus et arrêtés. En Tanzanie, les investisseurs de AgriSol Energy ont jeté leur dévolu sur les camps de réfugiés de Katumba et Mishamo. L’accord entre le gouvernement local et AfriSol Energy stipule que ces camps, qui abritent 162 000 personnes qui ont fui le Burundi en 1972 et qui ont cultivé la terre pendant 40 ans, doivent être fermés. En juin 2009, Amnesty International rapportait que les réfugiés étaient mis sous pression pour qu’ils s’en aillent. Certains d’entre eux ont perdu leur maison suite à un incendie causé par des individus agissant sur instructions du gouvernement tanzanien, en vue de forcer les réfugiés à quitter le camp. Des responsables dans les camps de réfugiés, qui ont tenté d’organiser les personnes affectées, ont été arrêtés et détenus.

Les sites d’investissement visités par l’Oakland Institute attestent d’une perte de terre agricole locale là où elle servait à divers usages et avait une valeur écologique et sociale. Une partie de ces terres dites abandonnées étaient à ce moment-là en jachère (en repos) et servaient des pâturages ou encore des terres communales. Des forêts et des réserves nationales qui ont abrité des variétés d’animaux, de poissons et de plantes permettant aux communautés de trouver de la nourriture dans les périodes de pénurie, ont été brûlées et défrichées. Ces terres sont détruites sans aucune compréhension de leur importance et sans aucune évaluation qui permettrait de comprendre comment leurs destructions vont affecter les communautés locales.

Lors d’entretiens, de nombreuses communautés ont déclaré qu’elles n’ont aucunement été informées avant ces investissements fonciers. Ils n’ont compris ce qui se passait que lorsque les bulldozers sont arrivés dans leur communauté.

Insécurité alimentaire

Alors que la plupart des pays et des régions visés souffrent d’insécurité alimentaire, les accords fonciers se concentrent sur la production de produits exportables, y compris des denrées alimentaires, des biocarburants et des fleurs coupées destinés à la consommation étrangère. Au Mali, la moitié des investisseurs qui ont accaparé de grandes étendues dans l’Office du Niger ont l’intention de faire croître des plantes produisant des biocarburants comme la canne à sucre, le jatropha et d‘autres cultures oléagineuses. Au Mozambique, la majeure partie de l’exploitation concerne l’industrie du bois et les biocarburants plutôt que des produits comestibles. Les denrées alimentaires ne sont cultivées que sur 32 000 des 433 000 hectares approuvées pour un investissement agricole entre 2007 et 2009.

En Ethiopie, une grande partie de ces gros accords fonciers a été consacrée à des produits alimentaires destinés aux marchés étrangers. L’accaparement des terres dans ce pays a conduit au déblayage de terres communautaires et de parcelles pour la culture par rotation, ainsi que de forêts, principales sources de subsistance des communautés. De même, leurs zones tampons sont menacées, sans compter que l’agriculture commerciale sur ces terres va affecter l’habitat des poissons et d’autres spécimens de la faune sauvage qui faisaient l’objet de chasse durant les périodes de pénurie alimentaire. La perte et la dégradation des pâturages vont également aggraver l’insécurité alimentaire.

Le problème de l’eau reste lancinant en raison des effluents des fermes industrielles qui entraînent des pollutions et des pénuries d’eau. La construction de barrages dans les zones d’investissement, comme le barrage proposé sur Alwero River, génère des préoccupations additionnelles liées aux conséquences imprévisibles. Aucune clause n’a été trouvé dans les contrats de bail concernant l’utilisation de l’eau, pas plus qu’il n’y a de signes que l’usage de l’eau par les fermes commerciales sera géré, surveillé ou régulé.

En Ethiopie, non seulement il n’y a aucune clause dans les contrats qui fasse obligation aux investisseurs d’améliorer la sécurité alimentaire locale ou de rendre disponible de la nourriture pour la population, mais le gouvernement fédéral a accordé des incitations à ces investisseurs qui s‘adonnent à la culture de rente pour les marchés étrangers. Abera Deressa, le ministre fédéral de l’Agriculture a déclaré : « Si nous obtenons de l’argent, nous pouvons acheter de la nourriture n’importe où et nous pourrons résoudre la question alimentaire ». Au niveau des communautés interviewées on voit à travers leurs préoccupations qu’ils croient que le gouvernement crée cette situation de manière intentionnelle afin que les communautés deviennent dépendantes de l’autorité centrale pour leur nourriture et avoir ainsi la possibilité de les marginaliser et les destituer.

Le facteur écologique

La dégradation de l’environnement est un souci principal par rapport à ces accords fonciers, dépourvus de transparence et de règlementations en matière d’impact sur l’environnement. Les forêts ont de nombreux usages pour les communautés locales. Elles fournissent de la nourriture, des médicaments, du bois de feux et du matériel de construction. Les forêts sont aussi des hauts lieux culturels et historiques. Les conséquences défrichage de ces terres et forêts incluent par ailleurs la perte et la dégradation des zones humides, la diminution de la faune sauvage et de son habitat, ainsi que la prolifération d’espèces invasives et la perte de biodiversité.

Ces préoccupations environnementales sont illustrées en Ethiopie dans le parc national de Gambela où l’Ethiopian Wildlife Conservation Authority (EWCA) estime que 438 000 hectares de terre ont été loués à proximité du parc. Alors que les limites du parc ne sont pas déterminées, des terres que la population locale considère comme faisant partie intégrante du parc ont été défichées sur une large échelle par des investisseurs, y compris la Karuturi et Saudi Star. Des zones humides ont été altérées et des forêts ont été abattues. Selon une évaluation récente, le parc national de Gambela abrite 69 espèces de mammifères, une zone humide de grande valeur, des centaines d’espèces d’oiseaux et 92 espèces de poissons.

Autre facteur aggravant, la pratique de l’agriculture industrielle va augmenter la toxicité, la perturbation des systèmes naturels de contrôle des parasites et va créer de nouvelles mauvaises herbes ainsi que des souches de virus, sans compter une perte de la biodiversité en plus de contaminer les plantes autochtones par des gènes manipulés. De plus, ces pays vont se retrouver dans une situation de faiblesse face à la question de l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques. Pour beaucoup de ces accords fonciers, une évaluation de l’impact sur l’environnement n’a que rarement lieu ou n’est pas pris en compte, rendant la situation encore plus alarmante.

Le verdict et comment avancer ?

L’investissement dans l’agriculture est crucial dans le combat contre la faim et le changement climatique, et pour garantir des moyens de subsistance aux paysans. Toutefois, comme l’a souligné Olivier de Schutter, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, le problème n’est pas seulement d’augmenter les allocations budgétaires à l’agriculture, mais plutôt " de choisir entre différents modèles de développement agricole qui peuvent avoir des impacts différents et bénéficier à divers groupes différemment ».

En novembre 2010, les Nations Unies ont publié un rapport qui déclare que les bénéfices de l’agro-industrie sont largement supérieurs aux techniques d’agriculture industrielle. Il a ajouté que nous pouvons doubler la production des denrées alimentaires si nous soutenons les petits paysans. Les recherches de l’Oakland Institute corroborent ces conclusions. Par exemple, au Mali, avec l’intensification de la culture du riz le long du Niger, près de Tombouctou, les paysans ont réussi à produire des récoltes entre 5 et 15 tonnes par hectares, pour une moyenne de 9 tonnes par hectares. Ceci représente plus de deux fois la récolte du riz irrigué conventionnel de la région et plus que les prévisions de Moulin Moderne du Mali, l’un des principaux investisseurs. Le système d’irrigation comprend des parcelles de 35 hectares, partagées par des populations allant jusqu’à cent familles. Ce qui signifie que chaque famille a accès à seulement un tiers d’hectare. Mais même avec cette parcelle de terre, ils ont réussi à gagner 1879 dollars, soit plus du double de la moyenne nationale de revenu qui est de 676 dollars.

Aujourd’hui, les gouvernements et les investisseurs font l’exact contraire de ce que la recherche montre. Au lieu de soutenir les petits paysans, ces accords fonciers favorisent l’agriculture industrielle tout en déplaçant des populations, destituant les gens qui, précisément, ont la capacité de faire évoluer leur communauté de l’insécurité vers un environnement viable pour tous. L’accaparement des terres met ces pays en danger d’aggravation de l’insécurité alimentaire, la dégradation de l’environnement, l’augmentation de la dépendance à l’assistance alimentaire et la marginalisation des communautés de paysans et de bergers. En ce qui concerne l’alimentation, l’enjeu ne consiste pas uniquement en une augmentation de l’insécurité alimentaire, mais c’est aussi une attaque contre la souveraineté alimentaire et le droit des populations à produire leur propre nourriture.

L’accaparement des terres est au mieux irrationnel, au pire violent. C’est un acte de violence que de retirer aux gens leur droit à la nourriture et à l’accès aux terres ancestrales, de casser leurs liens historiques et sociaux et de les priver de leur droit inaliénable à la dignité. C’est un acte de violence que de les dépouiller de leur futur et dépouiller la terre de sa fertilité.

Alors que des accords fonciers se concluent derrière des portes closes, les communautés résistent. Les rébellions « alimentaires » de 2008, la révolte à Madagascar contre l’accaparement de terre et les récentes protestations en Guinée montrent que partout des communautés se lèvent pour défendre leurs droits à la souveraineté alimentaire. En fait, dans tous les pays visités, les accords fonciers ont été contrés par des organisations communautaires. Au vu de ce que nous en savons, résister sur tous les fronts à ces accords d’accaparement de terre et travailler pour des investissements dans une agriculture viable, rendre aux populations locales leur pouvoir, reste la seule façon rationnelle et humaine d’avancer .

Mots-clés

multinationale, dépendance économique, agriculture, agrocarburant, droits des peuples, gestion du foncier, politique foncière

dossier

Retours sur la COP 17- Changement climatique et luttes populaires

Commentaire

Cet article de Agazit Abate, stagiaire entre 2010 et 2011 à l’Oakland Institute, est basé sur la recherche et la publication faites par cette institution. Pour en savoir plus sur les investissements financiers en Afrique, visitez le site web de l’Oakland Institute.

Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger.

L’article est disponible en anglais The new land grab in Africa

Notes

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