Pour prendre en compte de manière sérieuse la cause de l’environnement, englobant la question du changement climatique, il faut d’abord s’emparer de la cause de la justice, soutient Brian K. Murphy.
« Les déterminants de l’inégalité socio-économique et de la santé entre pays pauvres et pays riches le sont aussi pour le changement climatique » Global health Watch (1)
…« Faire usage des calamités pour renforcer la richesse et les privilèges est précisément ce dont nous n’avons pas besoin pour surmonter la crise du changement climatique " Christian Parenti (2)
Alors que le mouvement global pour le climat fait l’inventaire des acquis, des avancées sont à célébrer. Le changement climatique est au programme de façon claire et indélébile. Les valeurs « vertes » décorent même les tribunes politiques de premier plan et habitent une partie de la conscience populaire dans le monde entier. Même le « marché » est touché par la lumière, avec les multinationales et les entreprises commerciales qui, un peu partout, peaufinent leur image afin de souligner les valeurs écologiques et leur responsabilité par rapport à l’environnement, même si nombreux sont ceux qui se démènent pour inventer une pléthore d’artifices pour profiter de la pollution de l’air au travers des échanges des émissions de carbone et d’autres programmes qui commencent à voir le jour. (3)
Mais derrière la façade publique des campagnes d’actions pour le changement climatique, un profond malaise subsiste et le débat dans la société civile (4) fait rage sur la profonde et irréductible absence de volonté politique qu’il y a, aux niveaux national et multilatéral, de commencer à aborder les questions du climat dans des termes concrets et substantiels.
Alors que ce débat stratégique se poursuit, il est de plus en plus important d’introduire des nuances dans le discours des mouvements de justice sociale sur l’environnement. Nous devons nous assurer que la façon dont nous parlons de ces questions et les accords politiques que nous concluons n’occultent pas d’autres éléments critiques et nous entraînent à capituler sur d’autres fronts où il n’y a pas si longtemps nous espérions progresser. En particulier la lutte pour l’équité économique et l’éradication de la pauvreté globale.
La majorité de la population du monde n’estime pas le changement climatique comme étant l’élément le plus important de leur vie quotidienne et de leur survie. Pour beaucoup trop de monde, les questions préoccupantes au quotidien restent le manque de moyens de subsistance et de revenus adéquats, les conditions de logements désastreuses, la malnutrition et la faim, une santé fragile et des maladies chroniques. Pour d’autres, survivre signifie endurer l’aliénation politique et sociale, la répression, des guerres persistantes et d’autres formes de violence. De nombreuses autres personnes subissent des déplacements, perdent leur foyer, quittent leur communauté et leur pays. Ces millions de personnes qui font l’expérience de problèmes environnementaux subissent des pénuries d’eau, vivent dans des eaux sales et dangereuses là où il en existe. Ils luttent contre l’air pollué et empoisonné, dans des foyers et des rues misérables. A quoi s’ajoute un paysage dégradé ou des terres volées dans le cadre de la ruée sur les terres (5) en partie due aux mécanismes verts multilatéraux subventionnés (6), qui font qu’ils ont de moins en moins de terre productive sur lesquelles produire de la nourriture et faire paitre leur troupeau. (7)
A quelques autres éléments près, telle est la réalité qui vivent les plus miséreux dont le nombre dépasse les 2 milliards sur la planète, selon les estimations les plus réservées, en plus de 2 milliards de travailleurs pauvres dont la vie se déroule comme une lutte en marge du progrès. Cette réalité a prévalu hier et pendant des décennies auparavant ; elle continuera à prévaloir jusqu’à ce que le monde agisse pour la changer, indépendamment des considérations sur le climat. Les propositions dominantes qui sont faites aujourd’hui pour agir sur le changement climatique ne changeront pas de façon significative cette réalité que vivent les pauvres. Pas plus que dans cent ans ou même dans mille ans.
Des actions sérieuses pour transformer la réalité de la pauvreté insidieuse et ses conditions sordides devront reposer sur des progrès considérables pour retourner les systèmes politiques et économiques globaux. Ceci pour que la société humaine retrouve un équilibre avec la planète et ses dynamiques climatiques complexes. En fait, si nous ne faisons pas face à ce défi, il ne sera guère possible même d’atteindre les objectifs minimaux décrits dans les rapports d’organisme comme le Intergouvernmental Panel on Climate Change(IPCC). (8)
Les pauvres, les sans pouvoir, les exclus et les plus marginaux de la planète sont les plus immédiatement vulnérables aux menaces de la pollution environnementale, aux paysages physiques et culturels dévastés, ainsi qu’aux changements climatiques. Tout comme ils sont vulnérables à la dévastation que le libre-échange globalisé a infligé aux économies locales et vulnérable aussi aux épidémies qui couvent dans des quartiers sordides, en compagnie d’une série d’autres calamités.
Mêmes dans les centres du pouvoir global il est maintenant reconnu - quoique avec réticence - que les stratégies pour résoudre les problèmes environnementaux planétaires ne pourront aboutir que de concert avec des efforts sérieux pour mettre un terme à la pauvreté et garantir la justice et la dignité pour tous, y compris le respect pour des modes de vie traditionnels et la sagesse écologique. (9)
L’iniquité historique à l’intérieur des nations et entre nations a persisté dans le monde en dépit des « Décennies du développement " successives promues par les Nations Unies et les pays donateurs de l’OCDE, en compagnie de la communauté bourgeonnante d’ONG nationales et internationales. Les inégalités se sont creusées avec l’hégémonie de l’économie globalisée véhiculée à travers le libre-échange qui annonce de la prospérité pour tous alors qu’elle ne fait que concentrer la richesse dans les mains d’une minorité.
La réalité qui est devenue centrale grâce à l’attention portée à l’environnement global et, en particulier, au changement climatique, reste que les inégalités et les calamités, qui vont de pair pour des milliards et des milliards de personnes au cours de ces décennies, vont se creuser et s’aggraver au cours des années à venir en raison de conditions existantes auxquelles il n’est pas possible de remédier rapidement. La transformation de la réalité fatale que vivent les pauvres exige des actions qui donnent une priorité claire aux besoins des plus vulnérables, dans des termes viables permettant aux populations, aux communautés, à l’environnement dont elles font parties et à la planète toute entière de récupérer. La plupart des mesures requises sont d’ordre social, économique et politique et non technologique.
Il y a quelques années, j’ai rencontré un prêtre italien laconique, qui avait passé des années à s’occuper des communautés marginales de populations déplacées dans la ville frontière colombienne de Cucuta. Il m’avait dit :« C’est une insulte d’annoncer l’Apocalypse à ceux qui vivent déjà la fin de monde ». Effectivement.
Si nous devons avoir la volonté de prendre les mesures radicales nécessaires, il faut ouvertement mettre l’accent sur le fait que même si nous commençons à agir de la façon requise, concertée et sans compromissions, d’innombrables personnes vont continuer à souffrir, bon an mal an, dans le Sud global, en raison des structures inégalitaires qui font partie intégrante des systèmes nationaux et globaux. Une souffrance qui provient de leur immense vulnérabilité face aux désastres naturels et du fait de l’homme. Entre aujourd’hui et l’échéance impossible à tenir de 2015 pour réaliser les Objectifs de Développement du Millénaire, des dizaines de millions de personnes vont mourrir de causes évitables et dans des circonstances déplorables. (10)
Afin d’agir pour le futur, il est nécessaire de reconnaître et d’assumer la responsabilité des conséquences du passé et des actions et inactions présentes. La focalisation sur le climat et l’environnement ne peut être isolée d’autres éléments cruciaux relatifs à la justice globale. Un autre élément intrinsèque de ces questions environnementales est la façon dont la planète est gérée et dans l’intérêt de qui. La justice environnementale ne consiste pas seulement à prévenir ce qui peut se produire à l’avenir. Elle implique la transformation de ce qui s’est produit pendant des décennies, ce qui se produit aujourd’hui et ne peut qu’empirer dans le futur immédiat en raison des actions du passé. Cela signifie qu’il faut mettre un terme à ce que nous faisons, réparer les torts qui découlent de nos actions passées et créer de nouvelles façons de faire les choses. Ceci concerne la justice économique aux niveaux local et global, l’universelle dignité humaine, ainsi qu’une démocratie authentique et inclusive qui garantit que chacun ait une voix dans les choix et décisions à propos du futur qu’ils habiteront.
Dans l’évaluation du changement climatique global, les différentiels et les effets inégaux sur la société humaine sont aussi importants que les effets eux-mêmes. Comme l’a déclaré Tom Athanasiou :
« (…) L’élément critique ici, je vous prie de noter, n’est pas l’incertitude scientifique. Plus précisément, les dangers climatiques dépendent grandement de la richesse et de votre lieu de vie. Il n’est pas possible de faire une moyenne nationale, parce que ces populations sont elles-mêmes divisées, essentiellement par l’argent. En règle générale, les riches réussissent à s’isoler de la souffrance et de la douleur, tout au moins la plupart d’entre eux, au moins pour un temps. Les pauvres, bien que largement innocents et sans responsabilité pour le réchauffement, auront à subir la majeure part de l’impact » (11)
Pour considérer sérieusement la cause de l’environnement, y compris le changement climatique, il est requis d’abord de prendre en compte sérieusement la justice elle-même. C’est seulement alors que nous aurons des raisons d’espérer que les autres défis qui sont devant l’humanité et la planète, y compris le changement climatique, pourront être relevés.
droits des peuples, changement climatique, inégalité sociale, politique de l’environnement
Retours sur la COP 17- Changement climatique et luttes populaires
Brian K. Murphy est un analyste politique et un organisateur. Aussi un ancien membre de l’équipe de la Canadian international social justice organisation, Inter Pares. Il est l’auteur de Transforming ourselves, transforming the world: an open conspiracy to change the world (Zed books, London 1999)
Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger.
La version anglaise est disponible Environmental justice: Putting the poor first
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Borras, Jun and Jennifer Franco, Towards a Broader View of the Politics of Global Land-grabbing: Rethinking Land Issues, Reframing Resistance, Transnational Institute-TNI, June 2010; available at : tinyurl.com/cxxbu5m ; GRAIN, World Bank report on land grabbing: beyond the smoke and mirrors, September 2010; available at :www.grain.org/articles/?id=70 .
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