Accaparement des ressources et surconsommation
2011
Si l’ensemble de la population mondiale consommait autant de ressources naturelles que les Européens, son empreinte écologique serait trois fois supérieure à ce que la planète peut supporter. Alors que la majorité de l’Humanité ne parvient pas à satisfaire ses besoins fondamentaux, une minorité s’est accaparée au cours des siècles la quasi-intégralité des ressources naturelles de la planète. La course aux matières premières, qu’elles soient énergétiques, minérales ou agricoles, perdure, s’étend jusqu’aux limites de la planète et ne cesse de s’intensifier, avec son lot de guerres et de désastres sociaux, environnementaux et démocratiques. Les pays industrialisés et leurs populations, suivis aujourd’hui par les populations riches des pays en développement et émergents, ont ainsi contracté une immense dette écologique auprès du reste de la population mondiale.
Du fait de la raréfaction de certaines ressources, l’Union européenne (UE) essaie de maintenir l’approvisionnement de ses entreprises en matières premières nécessaires à son niveau de production et de (sur)consommation. Extrêmement dépendante des importations de matières premières, l’UE a adopté en 2008 une stratégie nommée Initiative sur les Matières Premières (Raw Materials Initiative) afin d’assurer la sécurité de son approvisionnement. A cet effet, elle utilise toute une panoplie de pressions politiques et d’outils commerciaux visant à supprimer toutes les mesures qui entravent ou limitent l’accès des entreprises européennes à ces ressources. Les restrictions au commerce, telles que les taxes à l’exportation et les réglementations sur les investissements mises en place par certains pays du Sud, sont dans le viseur de l’UE. A la place, l’UE préconise de dérèglementer et de libéraliser les marchés des matières premières et les investissements dans ce secteur, sans tenir compte des conséquences sociales, écologiques et démocratiques causées dans le pays d’origine.
Dérèglementer et libéraliser les marchés des matières premières fait courir le risque d’accroître la dépendance des pays concernés à l’exportation de matières premières, de réduire et d’insécuriser leurs finances publiques, d’entraver le développement d’activités profitables aux populations locales et de les priver des mesures visant à protéger leurs ressources. Par son action, l’UE sape tout idéal démocratique et d’autodétermination des populations disposant de ressources naturelles, faisant perdurer une forme de « malédiction des matières premières » qui n’a pourtant rien d’inéluctable. Alors que des crises mondiales multiples s’interpénètrent – crise économique, énergétique, climatique et alimentaire notamment – il est temps d’explorer d’autres modèles, moins consommateurs de matières premières, plus égalitaires et solidaires.
L’UE dépend fortement des importations de ressources naturelles
Avec trois tonnes de matières premières importées par an et par habitant, l’Europe est le continent qui dépend le plus des marchés internationaux pour s’approvisionner. Ainsi, les pays de l’UE importent 23 % des matières premières échangées au niveau mondial. Leur degré de dépendance vis-à-vis des minéraux va de 48 % pour le minerai de cuivre à 64 % pour la bauxite et jusqu’à 100 % pour le cobalt, le platine, le titane et le vanadium (1). Cette dépendance n’est pas nouvelle. Conté par Eduardo Galeano dans Les veines ouvertes de l’Amérique Latine, histoire implacable du pillage des ressources naturelles et humaines d’un continent pendant presque cinq siècles, l’approvisionnement en matières premières des pays de l’Union européenne a toujours dépendu pour une bonne part des pays du Sud. Des mines d’or et d’argent de Guanajuato, Zacatecas ou Potosi au Mexique et en Bolivie, à l’uranium du Niger, au cuivre de Zambie ou au cacao de Côte d’Ivoire, l’objectif est resté le même au cours des siècles : fournir aux pays de l’UE, au meilleur prix, les matières premières nécessaires à leur modèle de production et de consommation.
Grands consommateurs de matières premières dont ils sont faiblement pourvus, les pays de l’UE sont aujourd’hui confrontés à un accroissement majeur de la consommation mondiale de ressources naturelles. En trente ans, celle-ci a augmenté de 50 % pour atteindre aujourd’hui 60 milliards de tonnes par an, les habitants des pays riches consommant jusqu’à 10 fois plus de ressources que ceux des pays pauvres[<2]. L’Europe doit compter sur un fait nouveau: l’émergence de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, dont la consommation et les besoins en matières premières s’accroissent, ce qui attise la compétition mondiale. En outre, le développement des technologies dites « vertes » et hautes technologies implique l’utilisation de certaines ressources qui suscitent d’autant plus de convoitises que leurs réserves sont rares : le lithium pour les batteries, certaines terres rares (3) pour les industries photovoltaïques, électroniques et informatiques, etc.
L’Initiative sur les matières premières, une stratégie insoutenable et inacceptable
Consciente de sa forte dépendance à l’importation de ces matières premières, l’Union européenne a adopté en 2008, sous la pression des lobbies industriels et miniers (6), une stratégie dénommée « Initiative sur les matières premières » (7) visant à sécuriser l’approvisionnement des entreprises européennes en matières premières à moindre coût. Partie intégrante de la stratégie « Europe 2020 » destinée à relancer l’économie européenne dans les dix prochaines années, cette Initiative comporte officiellement trois piliers : sécuriser l’accès aux matières premières sur les marchés mondiaux, encourager l’offre de matières premières en provenance des pays européens et réduire la consommation de matières premières propre aux pays de l’UE. Dans les faits, seul le premier pilier est véritablement suivi de volonté et d’outils politiques dont l’inspiration est clairement néolibérale. Plutôt que de promouvoir une diminution de sa consommation et une répartition égalitaire des ressources limitées de la planète, l’UE s’engage dans une compétition sans merci pour l’accaparement des ressources sur les marchés mondiaux. A cet effet, tous les coups sont permis afin d’obtenir « un accès sûr et non discriminatoire aux intrants stratégiques pour l’économie de l’UE » (8).
Pour l’UE, l’un des obstacles majeurs pour accéder à ces matières premières est « la prolifération de mesures gouvernementales » mises en place par les pays en développement et émergents pour contrôler l’accès à leurs ressources. Ces dispositifs sont perçus par la Commission européenne comme des « restrictions d’exportations » et des « distorsions au commerce mises en place par les pays du Sud » qu’il faut supprimer. Elle a identifié plus de 450 mesures portant sur 400 matières premières différentes, telles que les métaux, les essences de bois, les produits chimiques, les cuirs et peaux (9). Les pays émergents comme la Chine, la Russie, l’Inde, l’Ukraine et l’Argentine sont les principaux pays visés par la Commission européenne. Mais les pays en développement, notamment ceux du continent africain riches en matières premières, sont également dans le collimateur de la stratégie « Initiative sur les matières premières ».
Or, ces mesures de « restrictions aux exportations » sont des instruments de régulation nécessaires auxquels ont recours les gouvernements du Sud pour mettre en place leur propre politique de développement et contrôler l’exploitation de leurs ressources. Qu’elles prennent la forme de taxes ou de réglementations, ces mesures peuvent avoir pour objectif d’accroître l’entrée de devises, augmenter les revenus publics, assurer le développement d’industries locales, réduire la dépendance du pays aux exportations, développer des marchés nationaux et régionaux ou encore établir des réglementations environnementales. Ces outils de politiques économiques, sociales ou environnementales ne sont d’ailleurs pas nouveaux. Pour assurer leur industrialisation, les pays européens ou les États-Unis ne se sont jamais empêchés de moduler leur fiscalité et leurs droits de douane afin de protéger et développer un secteur avant de l’insérer dans la concurrence internationale.
Si l’UE reconnaît des cas exceptionnels où les pays en développement pourraient appliquer des restrictions aux exportations, dans les faits, elle fait tout pour imposer à ces pays leur suppression. Ainsi, le Conseil des ministres européens a expressément demandé à la Commission européenne et aux États membres d’utiliser leurs programmes d’aide au développement pour promouvoir une « diplomatie des matières premières » (10). En clair, cela revient à conditionner l’aide au développement à la suppression par les pays de toutes taxes ou restrictions à l’exportation sur leurs matières premières. Dans le même esprit, l’UE pourrait réduire ou supprimer les accords préférentiels dont disposent certains pays pauvres pour accéder au marché européen, si ceux-ci maintenaient des restrictions à l’exportation jugées illégitimes (11). Enfin, plus généralement, l’UE menace tous les pays en développement appliquant des mesures de restrictions aux exportations de couper l’accès de leurs productions aux marchés européens, envisageant de recourir aux Instruments de Défense Commerciale (12). L’UE essaie ainsi d’obtenir une plus grande libéralisation des marchés des matières premières qu’elle n’a pas obtenue dans le cadre de l’OMC malgré ses demandes et pressions réitérées.
Les accords de libre-échange et sur les investissements, outils d’une stratégie malveillante
Pour promouvoir sa stratégie de sécurisation de l’accès aux matières premières et dépasser les blocages rencontrés au sein des négociations multilatérales de l’OMC, l’UE a recours à la négociation d’accords de libre-échange (13) (ALE) et de partenariat (14) économique (APE) avec différents pays en développement (15). A travers ces accords bilatéraux (voir encadré 2), l’UE exige de la part de ces pays qu’ils s’engagent à abandonner ou à limiter drastiquement toute mesure de « restriction aux exportations », y compris les taxes à l’exportation qui sont, elles, autorisées par les réglementations de l’OMC.
Outre la libéralisation du commerce des biens, la négociation de ces accords de libre-échange est également un des vecteurs dont s’est saisie l’UE pour libéraliser d’autres secteurs, tels que celui des investissements. En charge depuis le Traité de Lisbonne de cette nouvelle compétence, la Commission européenne s’est donnée pour objectif d’obtenir une libéralisation totale des investissements tout en exigeant « une sécurité juridique et une protection maximale pour ses investisseurs » (16), reprenant là les exigences de Business Europe, le principal lobby des industries européennes. A travers l’intégration de clauses sur les investissements au sein des accords de libre-échange ou la négociation de Traités bilatéraux d’investissement (TBI), l’Union européenne demande aux pays en développement que ses investisseurs puissent accéder à trois mesures phares :
le « traitement national », à partir duquel les investisseurs étrangers se voient garantir les mêmes droits et avantages que les investisseurs locaux et régionaux ;
la « protection des investisseurs » qui instaure des garanties minimales pour le traitement des investisseurs étrangers. Cette clause est généralement associée à un mécanisme d’arbitrage « investisseur - Etat » permettant aux investisseurs étrangers de porter plainte auprès d’un tribunal d’arbitrage si un État venait à prendre une mesure remettant en cause les avantages accordés à l’investisseur ;
la « libre circulation des flux de capitaux entre les pays » qui permet aux investisseurs de rapatrier leurs investissements sans contrainte.
Chacun de ces principes limite considérablement la capacité des pays en développement d’imposer des contrôles sur les entrées et sorties de capitaux. Alors qu’un pays peut avoir intérêt à conditionner de nouveaux investissements à des règles sociales ou environnementales, ou à exiger un dépôt de garantie pour réduire leur volatilité, ces règles voulues par l’UE tendent à rendre ces objectifs impossibles ou extrêmement difficiles.
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