Association Raconte-nous ton histoire
01 / 2011
L’objectif du projet DiverCité était de constituer des espace des rencontre et de dialogue libre autour des malentendus et conflits interculturels au niveau du quartier de Belleville à Paris. Cette démarche a pris la forme de rencontres et de débats entre habitants, principalement issus de l’immigration, et professionnels intervenant sur le quartier au titre de diverses institutions (services sociaux, Éducation nationale, associations…).
Les questions de rapports hommes-femmes étant l’un des principaux lieux de cristallisation des tensions et incompréhensions interculturelles, il n’est pas fortuit de souligner que les professionnels en question sont dans leur immense majorité des professionnelles. Les clichés ont la vie dure, et les assistantes sociales, et dans une moindre mesure les enseignantes de maternelle et de primaire, restent généralement des femmes. Cet état de choses correspond à une tendance lourde des dispositifs d’aide sociale dans nos sociétés (cf. les bonnes œuvres des grandes bourgeoises, les bonnes sœurs et les infirmières d’antan), peut-être sous prétexte qu’ils requérraient des vertus « féminines » d’écoute et de dévotion. En tout état de cause, la différence de sexe vient donc se superposer aux oppositions déjà existantes – migrants contre Français, habitants contre institutions, ruraux contre urbains, personnes du quartier contre personne qui viennent d’ailleurs – et compliquer encore les relations par certains aspects.
Quel est donc l’impact sur les relations entre habitants et institutions, au niveau du quartier, du fait que ces institutions soient très largement représentées par des femmes ?
À l’évidence, c’est un facteur supplémentaire de conflictualité en ce qui concerne l’un des principaux différends entre les migrants et les institutions françaises : la manière dont ces dernières sont perçues comme s’immisçant à des degrés divers dans le cercle familial et la vie privée des familles migrantes. Un état de fait particulièrement mal vécu par les maris et pères qui y voient une remise en cause de leur pouvoir et de leur position et qui ont le sentiment d’être défavorisés par le système (« La loi est faite pour les femmes ! »), et d’autant plus mal ressenti que ce sont des femmes à qui ils se retrouvent confrontés, et que le rapport de forces n’est pas en leur faveur. On observait d’ailleurs exactement la même réaction chez les hommes français des classes populaires il y a quelques décennies. Le simple fait que les institutions contrôlent les revenus du ménage, qui le compose, qui travaille, etc., pour vérifier les droits à faire valoir constitue déjà un regard extérieur. Les choses sont évidemment bien pires quand les services sociaux informent les femmes de leurs droits, interviennent pour protéger une femme battue, ou lui donnent les moyens de quitter son mari. Certains hommes peuvent avoir le sentiment que les assistantes sociales conspirent délibérément à briser leur ménage. D’un autre côté, lorsque c’est leur intérêt réel ou perçu, ils n’hésitent jamais à envoyer leur femme voir les services sociaux. Le fait que les représentantes des services sociaux soient des femmes rend aussi parfois plus difficile pour des hommes d’aborder certains de leurs problèmes de sexualité, de sida, de prostitution… voire dans certains cas d’avouer que c’est leur femme qui les bat (comme cela arrive parfois tout de même) !
À l’inverse, le fait que les migrants proviennent de pays à culture « macho », peu encline à respecter les demandes et les instructions de femmes, peut aussi rendre plus difficiles les relations entre usagers et professionnelle, voire entre enfant (garçon) et enseignante. Ils seront d’autant moins disposés à leur reconnaître une quelconque « autorité ».
Si les professionnelles qui travaillent sur le quartier sont majoritairement des femmes, c’est aussi le cas des interlocuteurs auxquels elles ont affaire sur le quartier. Aller chez l’assistante sociale est généralement une tâche féminine. La seule tendance contraire est le préjugé qui veut que ce soit plutôt l’homme qui s’occupe des affaires d’argent. Cette surreprésentation des femmes reflète d’une part une certaine répartition des tâches au sein des familles, mais aussi malheureusement le nombre croissant de femmes se retrouvant seules avec leurs enfants.
On peut d’ailleurs se demander si, par une logique quelque peu tordue, les hommes qui abandonnent ainsi leur femme ne se sentent pas d’autant plus autorisés à le faire qu’ils pensent que l’État et l’assistante sociale seront là pour prendre soin d’elle. Dans les sociétés africaines traditionnelles, par exemple, la règle est plutôt, en cas de départ du mari et de séparation d’un couple, que la femme retourne avec ses enfants dans sa famille, laquelle aura la responsabilité de pourvoir à leurs dépenses et à leurs besoins. Dans un contexte africain, l’abandon de famille a donc un caractère un peu moins brutal que ce n’est le cas lorsqu’il s’agit d’un couple en France, où la femme est dépourvue de soutiens et parfois même en situation irrégulière (remarque qui ne vise pas à excuser le mari, ni en France ni en Afrique). Mais l’homme reproduit les comportements « traditionnels », d’autant plus facilement qu’il a davantage de mal à trouver sa place dans un foyer en France, où sa femme gagne en émancipation, et qu’il peut avoir l’impression que d’une certaine manière en France c’est l’État qui se substitue au « clan » de la femme.
Une autre impression des assistantes sociales est dans les familles de migrants, ce sont aussi les femmes davantage que les hommes qui vont travailler à l’extérieur pour gagner l’argent du ménage. Les hommes auxquels les services sociaux auraient affaire seraient moins prêts que les femmes à aller faire des ménages. Force est d’observer que les métiers traditionnellement associés aux migrants ne sont plus aujourd’hui les métiers masculins – l’usine et le bâtiment –, mais des métiers plutôt féminins comme l’entretien ou les services à la personne. Cette situation refléterait donc une problématique plus générale propre à la société française et européenne en général, à savoir la désindustrialisation et la réduction des possibilités d’emplois non qualifiés en particulier pour les hommes. On peut même se demander si ce n’est pas parce que les politiques publiques ont cherché à développer le secteur des services à la personne pour remédier au problème du chômage, et donc multiplié les dispositifs en ce sens, que l’impression prévaut aujourd’hui les femmes sont plus actives et plus présentes que les hommes.
dialogue interculturel, genre
, France
Ce texte fait partie du dossier « Migrations, interculturalité et citoyenneté », issu d’un ensemble de débats et de rencontres organisées dans le quartier de Belleville à Paris entre 2004 et 2009, avec des habitants (issus des migrations ou non) et des représentants de diverses institutions présentes sur le quartier. Les textes proposés dans le dossier reprennent les principaux points saillants de ces discussions, dans le but d’en partager les leçons.