Le problème des accords et la détérioration de la démocratie aux Philippines - Partie 2
06 / 2010
4/ Quelques études de cas
Marcopper
Le 24 mars 1996, ce qui a été considéré comme la catastrophe minière la plus importante du siècle aux Philippines arriva sur l’île Marinduque où la Marcopper Mining Corporation(MMC) — détenue à 49 % par le gouvernement et 39,9 % par la compagnie canadienne Placer Dome — exploitait une des plus grandes mines de cuivre des Philippines. Au moment de la catastrophe, 1,6 million de mètres cube de résidus de broyage se déversèrent dans la rivière Boac, ce qui affecta environ 20 000 personnes. La nouvelle se répandit rapidement dans le monde et Placer Dome essaya d’expliquer à l’opinion internationale, sur son site et dans la presse, que la catastrophe n’était pas prévisible, seulement un malheureux accident(1) .
Il n’est pas facile de savoir si on pouvait ou non prévoir ce désastre mais en survenant, il prouva bien que même Placer Dome qui était reconnu comme l’un des groupes les mieux réglementés (2) n’était pas en mesure de protéger la vie des populations locales. Les investigations ont aussi montré que MMI n’avait pas créé une équipe de surveillance, alors que c’était une règle inscrite dans le dispositif du développement minier durable adopté par les Philippines, pour contrôler la gestion des risques et des réclamations à travers la participation des populations locales. En réalité, les agriculteurs et les pêcheurs ont émis de nombreuses remarques sur les dommages causés à leurs productions mais la plupart d’entre elles ont été négligées ou rejetées par MMI ou par les élites locales pendant la période d’exploitation. Après la catastrophe, MMI insistait encore pour continuer ses activités d’extraction en mettant en avant l’importance de leur apport à l’économie (3) comparée aux dommages du moment. Bien que MMI ait dépensé des sommes importantes pour la réhabilitation et le dédommagement, le mouvement anti-mines organisé par les ONG de l’environnement, l’église locale et les habitants du lieu firent valoir que la réhabilitation et les compensations n’étaient pas à la hauteur des dommages et les autorités locales prirent finalement la décision de refuser la reprise de l’exploitation de la mine à Marcopper.
Le projet Tampakan
Le projet Tampakan a démarré quand la Western Mining Corporation (WMC) s’est rendue propriétaire d’un gisement découvert dans les années 80. Ce gisement est situé à environ 40 kilomètres au nord-ouest de la ville de General Santos. L’exploration et les études de faisabilité ont commencé entre 1992 et 1994 et c’est alors que le gouvernement philippin et WMC ont passé un contrat de développement de la mine de type Accord d’assistance technique et financière (AATF) couvrant les provinces de Cotabato Sud, Sultan Kudarat et Davao del Sur ; c’était le premier contrat AATF entre le gouvernement et une transnationale minière sous le régime de la loi sur les mines.
Cependant, les mouvements d’opposition s’intensifièrent par la suite et le groupe communiste armé (NPA) se joignit à eux pour protéger les habitants contre les hommes de main des politiciens locaux et de l’armée. A ce moment-là, entre 1995 et 2001 le projet Tampakan devint le centre du mouvement d’opposition contre la loi minière à l’échelle nationale. De plus, parce que c’était un des premiers cas placé sous le régime de l’exploitation minière durable recommandé par les agences internationales, l’opinion étrangère à travers les ONG internationales surveilla aussi le projet. Du fait de cette surveillance nationale et internationale, les médias et les ONG purent faire état des soupçons qui pesaient sur la procédure légale d’accord avec la population locale ainsi que sur les conflits sanglants, jusqu’à forcer le gouvernement à exiger de la Western Mining Corporation une procédure réglementaire propre, spécialement avec la population locale, pour compléter l’accord AATF (4). Même si WMC faisait voir aux gens ce qui était peut-être les meilleures conditions de rémunération dans l’histoire minière des Philippines et bien qu’elle ait demandé au gouvernement de l’aider à négocier avec eux pour arriver à un accord, cela ne servit à rien d’autre qu’à mettre de l’huile sur le feu relativement aux opposants et aux violences, ce qui signifiait que le gouvernement n’était pas capable de contrôler l’intervention violente des politiciens locaux. Après plusieurs années d’effort de sa part et de celle du gouvernement, WMC décida de se retirer du projet.
La raison pour laquelle les ONG ont pu maintenir une opposition forte et efficace au projet Tampakan est qu’elles ont réussi à construire leur réseau comme réseau « glocal » qui fonctionne bien solidairement entre le niveau local, national et mondial pour l’envoi et la réception de matériaux comme l’information, les compétences, les forces humaines et l’argent. Au niveau local il y avait quatre ONG du lieu qui fonctionnaient comme base locale pour les relations avec les ONG nationales ou internationales. Ces ONG locales sont les suivantes :
a/ AGD, coordonnant les stratégies avec les autres ONG ;
b/ Cause-DS, organisation des paysans du Davao del Sur ;
c/ TAPCEP, une organisation de la zone de Tampakan animée par des paroissiens ;
d/ KALUHAKU, organisation indigène liée par un pacte traditionnel de paix avec à Sultan Kudarat ;
e/ L’association tribale Bugal-B’laan qui portait plainte contre l’accord pour violation de la constitution (5).
Après le retrait de WMC, le projet de Tampakan fut repris par Sagittarius Mines Inc. (SMI), qui était une filiale du groupe suisse Xstrata. SMI a encore fait des études de faisabilité et la société est actuellement en discussion avec la population locale pour un accord. Dans ce processus SMI semble avancer dans le cadre de la procédure légale prévue par le dispositif du développement durable pour le secteur minier.
Toutefois, Sagittarius n’arrête pas ou ne peut pas obtenir l’arrêt de l’intervention politique avec violations des droits de l’homme qui pourrait aider à établir rapidement un accord avec les populations locales. 2001, date commémorative de la victoire des opposants au projet, fut aussi l’année où commencèrent les exécutions extra judiciaires et cela transforma un bon souvenir en cauchemar. La militarisation et autant de harcèlements par l’armée et la police dans le secteur atteignirent des sommets. Les activistes et tout particulièrement les leaders des ONG mentionnées ci-dessus ont été la cible des exécutions sans jugement et ont été tués l’un après l’autre. Le chef de la Bugal-B’Laan fut tué, les responsables de Cause-DS furent tués, et puis fut tué aussi celui qui coordonnait le mouvement anti-Tampakan. Cela veut dire que tous les organisateurs énergiques et compétents du mouvement anti-Tampakatan trouvèrent la mort. Il en fut de même pour d’autres militants ou pour leur famille et nombreux sont aussi ceux qui ont été soumis à des dénonciations, l’emprisonnement et des interrogatoires, comme des terroristes. Par ailleurs, l’ex-général Palparan, suspecté d’être le cerveau de ces exécutions sommaires est devenu, en 2009, consultant en sécurité de Sagittarius et les habitants de la zone ont vécu sous la pression constante de ne pas critiquer le projet.
De plus, beaucoup de désaccords et de conflits se sont intensifiés non seulement entre l’armée et la guérilla mais aussi dans la population, particulièrement entre autochtones et non- autochtones ou entre pro et anti-projet. L’écart des indemnités entre autochtones et non- autochtones est un des plus importants facteurs de conflit (6).
J’aimerais terminer l’étude de ce cas par une référence aux paroles d’un chef traditionnel de la zone.
« Avant le projet, nous, indigènes et non-indigènes nous nous aidions les uns les autres mais le projet a tout changé. D’abord [dans la période d’intervention de WMC, Note de l’auteur], les partisans du projet ont commencé à tuer à coups de fusil les adversaires du projet. Ils trouvaient des fusils auprès de la garde d’Escobillio [une des élites locales, Note de l’auteur]. Et maintenant nous ne pouvons plus parler, les gens se méfient les uns des autres parce qu’un ami ou quelqu’un pourrait dire du mal de lui aux militaires et nous pourrions être soupçonnés d’appartenir à la guérilla. Et alors nous serons harcelés et même tués. SMI pourrait supprimer la bourse d’étude de mon fils ou de celui de parents à moi, ou nous pourrions nous voir refuser une indemnisation ou un travail dans la zone de la mine (7).
Les projets de Canatuan
Les mines de Canatuan se trouvent dans le Zamboanga du Nord ; on y extrait de l’or, du cuivre, de l’argent et du zinc. La société Tronto Ventures Inc. Resource Development (TVIRD), gérée la transnationale canadienne TVI a conclu en 1996, avec le gouvernement, un contrat de type partage de la production et a démarré les opérations en 2009.
Depuis le premier stade des négociations entre TVIRD et le gouvernement, en 1994, jusqu’à aujourd’hui, l’accord avec les Subanon (des indigènes) et avec les mineurs artisanaux (des exploitations minières à petite échelle) a été l’objet d’une forte contestation. Le gouvernement était intervenu auprès du Comité national des peuples indigènes pour qu’un groupe de Subanon qui étaient favorables au projet soit l’interlocuteur dans la négociation, ce qui avait facilité la conclusion de l’accord. Cependant nombre d’ONG et d’autres Subanon ont mis en question sa légitimité et ont réclamé que le gouvernement et TVIRD renégocient avec les véritables chefs des Subanon pour un accord convenable. De plus, même si beaucoup de mineurs artisanaux abandonnèrent leur activité pour aller à la mine de Canatuan, un bon nombre aussi sont restés et se sont opposés au projet qui leur faisait perdre leurs propres mines. Ils ont aussi dénoncé un accord insatisfaisant entre les mineurs indépendants et TVIRD.
Le groupe armé de la guérilla, Abu Sayyaf, le MILF et le MNLF sont actifs dans cette région et de nombreux accrochages ont eu lieu entre ces groupes et l’armée. Tout spécialement après le massacre de 13 ouvriers de TVIRD dans une embuscade du groupe armé qui en blessa 11, en 2002, la militarisation de la zone s’intensifia, provoquant beaucoup d’exécutions sommaires y compris le meurtre des leaders anti-projet. Par ailleurs, beaucoup de réactions contre TVIRD ont été bloquées en raison d’obstacles physiques comme les barricades dressées par les gardiens ou par l’armée, ou d’obstacles psychologiques comme la surveillance mutuelle entre résidents, à l’instar de ce qui se passait à Tampakan (8).
Les mines de nickel
Le boom du nickel fit flamber non seulement le développement des mines mais aussi la construction des raffineries. Aux Philippines, les mines et également les raffineries sont étroitement tenues par Sumitomo Metal Mining Co, une transnationale minière japonaise. SMM construisit une première raffinerie en 2004 à Palawan où fonctionnait la mine de Rio Tuba, elle installa une seconde usine en 2008 dans la même zone et une troisième raffinerie est envisagée à Surigao del Norte, tout près de la mine de Taganito.
Depuis la loi de 1997 sur les droits des peuples indigènes, toute société qui exploite une mine doit verser 1 % des recettes brutes à la communauté indigène. La société de la mine de Taganito ne se préoccupait guère de la communauté indigène avant la loi et commença la négociation avec une communauté qui avait été négligée et qu’elle avait déplacée plusieurs fois. D’abord TMC trompa la communauté en lui proposant une somme d’argent inférieure à ce que la loi exigeait. Lorsque la communauté eu vent de la tromperie, une renégociation commença avec une forte intervention des élites locales. Dans la discussion, deux de ces personnes se firent concurrence pour contrôler tout l’argent et obtenir le leadership local ; le Comité national des peuples indigènes intervint alors pour arranger l’accord entre la communauté et TMC. Cependant certains des chefs traditionnels que le Comité choisit comme délégués n’avaient pas été choisis selon la procédure exigée par la loi. Il s’en suivit un conflit violent et certains des chefs durent se cacher, craignant pour leur vie (9).
Rio Tuba (de Rio Tuba Nickel Mine Corporation) était entrée en fonctionnement en 1977 mais jusqu’ici la plupart des indigènes n’ont pas été considérés comme bénéficiaires. Quoique beaucoup de gens autour de la mine se soient plaints très souvent au sujet de la pollution, des problèmes de santé et des dommages subis par les récoltes, la compagnie n’a jamais réagi.
Deux usines de raffinage à Palawan ont connu aussi de sérieux conflits spécialement sur la procédure d’accord. Plusieurs études faites par FoE Japon et l’auteur au cours de 2008-2009 montrent que :
a/ une grande partie de la population n’a pas participé à la consultation publique ;
b/ la communauté s’est divisée du fait d’une répartition injuste des bénéfices ;
c/ beaucoup des gens ont été exclus de l’indemnisation ;
d/ une partie des chefs qui ont signé l’accord a été choisie par le Comité national des peuples indigènes et non par les voies traditionnelles ;
e/ les plaintes contre la pollution et dommages à la santé n’ont pas été prises en compte (10).
Palawan est renommé pour la beauté et la richesse de ses ressources naturelles si bien qu’une grande partie de son territoire est une zone protégée comme sanctuaire. Le récent boom du nickel a cependant donné à beaucoup de politiciens de fortes incitations à diminuer les restrictions. Certains endroits de la zone protégée où on trouve du minerai de nickel ont été ouvertes aux géologues sans autorisation préalable.
Conclusion
Même si une transnationale minière possède une technologie avancée et d’énormes capitaux, même si elle met en œuvre une réglementation interne stricte, bien des exemples aux Philippines nous laissent peu d’espoir de transformer les mines d’une malédiction en une bénédiction. Certains cas révèlent une attitude hostile à la réglementation mais d’autres montrent aussi qu’un simple effort pour accepter une procédure définie par la loi ou choisie en interne ne suffit pas. Encore un effort, même limité, rend-il possible l’intervention des élites locales et des agences gouvernementales spécialement dans le processus de négociation et la répartition des bénéfices. C’est pourquoi l’intervention soutenue du gouvernement et des élites locales dans les affaires minières a précipité tout le pays dans la violence.
Dans ces conditions les transnationales minières doivent-elles s’efforcer d’éviter de telles interventions ? Ces firmes se trouvent face à un dilemme. Sans l’intervention musclée du gouvernement et des élites, au mépris de la démocratie, elles ne peuvent parvenir à un accord assez favorable à la gestion de leurs intérêts. Ainsi, une mauvaise expérience du secteur, une forte densité de population, de la cupidité et des injustices ont inévitablement provoqué une forte opposition et des conflits dans la négociation des accords, et de fait une détérioration du système démocratique aux Philippines.
ressources naturelles, gestion des ressources naturelles, droits humains, violation des droits humains, industrie minière, libéralisme, gouvernance
, Philippines
Revue Informations et Commentaires : le développement en questions
Kurita Hideyuki est professeur associé, Université Ehime, Matsuyama, Japon.
Informations et Commentaires, n° 151, avril – juin 2010
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