Les FTN minières au Nigeria et en République Démocratique du Congo
06 / 2010
« La dernière chose que l’on devrait souhaiter à un pays, pour sa prospérité et son bien-être, c’est que l’on y découvre une mine d’or. Presque rien ne peut plus certainement réprimer l’industrie, le travail productif, l’épargne et l’amélioration sociale en général. Les sols miniers les plus riches sont peuplés par les communautés les plus pauvres » - Boston Courier, 1848 (1)
Introduction
Les relations entre les firmes transnationales du secteur minier et les communautés ou les pays qui hébergent leurs activités extractives ont toujours constitué une question épineuse. Les difficultés proviennent principalement des pratiques nuisibles de l’industrie. L’exploitation minière est, par nature, une activité néfaste pour l’environnement. Elle a pour but d’extraire les minéraux, jusqu’à épuisement de la ressource. Les communautés locales sont en général contre l’épuisement de leurs terres et ce, pour diverses raisons, mais principalement à cause de l’impact dévastateur de ces activités sur l’environnement et, également, car la plupart de temps elles ne tirent aucun profit de ces exploitations minières. Plutôt que richesse économique et développement du pays et des communautés locales, la norme pour ces derniers réside généralement dans les maux décrits dans la citation ci-dessus.
En utilisant comme sujets d’étude des pays africains dont l’industrie est dominée par le secteur minier, la République Démocratique du Congo (RDC) et le Nigeria, cet article analysera les différents types d’industrie minière ainsi que les principaux facteurs qui réduisent à néant les efforts que fournissent les peuples de ces pays riches en ressources pour atteindre des objectifs environnementaux et socio-économiques. Les facteurs qui freinent le développement de ces pays sont souvent intimement et directement liés à l’industrie extractive.
Cet article examinera aussi la manière dont les activités des firmes transnationales des secteurs minier et pétrolier interagissent entre elles et souvent exacerbent ces facteurs. Pour finir, il démontrera que la situation est critique et qu’il est peut-être déjà trop tard pour qu’une solution significative sorte ces pays de la spirale descendante dans laquelle ils sont entraînés, et qui les conduit vers de graves difficultés économiques et une dissolution politique.
Si on prend les pays de la région subsaharienne comme cas d’étude, on se rend compte que les pays dits « riches » de cette région sont en réalité ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés socio-économiques et environnementales. Il est communément admis que la présence de ressources naturelles dans ces pays les conduit souvent à des situations désastreuses : troubles sociaux et parfois même, guerres (2).
Dans ce tableau, on observe que ce sont les pays possédant de grandes ressources naturelles, notamment minières, qui ont été, ou qui sont encore, le théâtre des plus importants conflits civils et militaires de ces dernières décennies. Ces conflits peuvent être directement liés à la présence de ressources naturelles dans ce pays. Cependant, comme Michael Ross l’a remarqué avec raison :
« Les ressources naturelles ne sont jamais les seules sources d’un conflit. N’importe quel conflit est dû à un ensemble complexe d’évènements ; souvent la pauvreté, des griefs ethniques ou religieux, et des gouvernements instables jouent des rôles majeurs. Mais même après que ces facteurs aient été pris en considération, des études aboutissent à une conclusion constante : les ressources naturelles augmentent le danger qu’une guerre civile éclate et, qu’une fois qu’elle a éclaté, que le conflit soit plus difficile à résoudre » (3).
Les deux cas que nous allons utiliser dans cet article, le cas du Nigeria et le cas de la République Démocratique du Congo, sont des cas d’école de ce phénomène en Afrique subsaharienne. Pour ces deux pays, on peut constater que la présence de gisements miniers est le principal facteur d’apparition et d’alimentation de conflits. Cependant, il y a des différences entre ces deux pays. Les étudier nous aidera à mieux comprendre les particularités de leurs problèmes respectifs.
Sociétés Transnationales Traditionnelles (STT) vs Sociétés Transnationales Virtuelles (CTV)
Au Nigeria, les sociétés transnationales sont principalement basées dans le secteur pétrolier. Il s’agit de ce que j’appellerai les «sociétés transnationales traditionnelles » (STT), par opposition aux «sociétés transnationales virtuelles » (STV). Les premières, les STT, ont un mode de fonctionnement traditionnel : elles ont des bureaux au Nigeria, elles emploient des personnes directement, elles établissent des infrastructures, organisent des opérations sur le terrain et on peut les rencontrer et leur parler, si le besoin s’en fait sentir. La plupart du temps, leurs opérations sont cadrées par des contrats bilatéraux les engageant auprès de l’État nigérian, à qui elles paient des royalties. En RDC, au contraire, les deux types de corporations existent : les STT d’une part, et les STV de l’autre. Pour ces dernières, les sociétés transnationales virtuelles, il s’agit d’entreprises minières qui emploient rarement du personnel local directement, qui ne possèdent pas d’infrastructures, ni d’installations, mais qui sont impliquées dans l’acquisition de grosses quantités de minéraux, issus des mines contrôlées par des rebelles ou par des forces armées. Que ce soit dans l’un ou l’autre des deux pays, les activités des STT et des STV sont souvent néfastes pour les communautés locales et leur environnement.
L’industrie minière en République Démocratique du Congo
« On estime à 5,4 millions le nombre de morts causées depuis 1998 par les conflits et la crise humanitaire en République Démocratique du Congo. La plupart ont péri de maladies et de malnutrition. Dans les Kivus, la violence continue de faire rage, des femmes et des jeunes filles souffrent d’attaques de plus en plus brutales » (4).
Il s’agit là d’observations publiées en 2007 par l’International Rescue Committee, dans un rapport. Trois années plus tard, la situation n’a pas beaucoup évolué. Les gens ordinaires continuent de souffrir de violences dans cette région. Cela affecte principalement les femmes, les jeunes filles et les enfants. Margot Wellstrom, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée de la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits a qualifié la République Démocratique du Congo de « Capitale Mondiale du Viol » (5). Cette violence est due aux activités des différents acteurs du secteur minier congolais, en particulier les militaires, les rebelles et les sociétés transnationales. Elle éclata au grand jour entre la fin des années 90 et le début des années 2000, avec la controverse des « diamants de sang », qui aboutit au processus de Kimberley. Cependant, la principale activité qui alimente le conflit dans la région est moins l’exploitation de mines de diamants, que celle de ce que l’on appelle maintenant les 3T (6) (Tin, Tungsten et Tantalite), en français : étain, tungstène et colombium tantalite, plus communément appelé Coltan. Ces minéraux sont utilisés dans la production d’appareils électroniques modernes (ordinateurs, téléphones portables, etc.) et font l’objet d’une grosse demande provenant des industries hi-tech en Occident et en Asie du Sud-Est. Les profits issus de l’exploitation des 3T financent des armes qui viennent alimenter les guerres, endémiques dans la région. Ces dernières continuent de causer des milliers de morts en RDC et dans les pays limitrophes. Ces maux illustrent les sentiments de Nicholas D. Christof, du New York Times, exprimés dans son article sur ce terrible conflit :
« Parfois, je voudrais que l’Est-Congo puisse subir un tremblement de terre ou un tsunami, pour qu’enfin il reçoive l’attention qu’il mérite. La guerre civile barbare qui s’y mène est le conflit le plus mortel depuis la seconde guerre mondiale, elle a causé au moins 30 fois plus de morts que le tremblement de terre en Haïti. Pourtant, aucune crise humanitaire ne génère aussi peu d’attention proportionnellement aux millions de cadavres, ni ne suscite de réponse internationale aussi pathétique » (7).
Le point le plus intéressant de l’activité minière dans cette région réside dans la nouvelle manière de fonctionner des corporations transnationales, en majorité des STV, à l’origine du conflit. Contrairement à celles qui sont implantées au Nigeria et dans d’autres pays, qui sont présentes physiquement et que l’on peut localiser et même rencontrer, les sociétés transnationales virtuelles en RDC ont élaboré un fonctionnement quasi parfait qui leur permet de mener à bien leurs activités sans tracas et parfois sans même être directement liées à l’extraction des minerais. Ce fonctionnement est peut-être le nouveau moyen pour ces corporations de faire des affaires dans un monde qui s’ouvre de plus en plus grâce aux nouveaux médias et systèmes de communication (téléphones portables, Internet, etc.). Ainsi, ils utilisent des personnes de la région comme intermédiaires et prête-noms pour extraire les précieux minerais par procuration. Ces locaux, issus des pays avoisinants, pour la plupart réfugiés économiques ou fuyant la guerre, sont souvent aux ordres de différents acteurs dont les motivations varient, comme on peut le constater dans le tableau ci-dessous. Il montre les facteurs-clés de l’exploitation et de la vente de coltan, ainsi que les protagonistes impliqués.
Dans leur étude intitulée “Coltan Exploitation in the Eastern Democratic Republic of Congo”, Celine Moyroud et John Katunga résument ainsi les cinq étapes de cette nouvelle forme d’exploitation minière :
Phase 1 : Exploration
Phase 2 : Détection
Phase 3 : Extraction
Phase 4 : Transport
Phase 5 : Traitement (transformation-commercialisation)
Ils ont remarqué que les sociétés transnationales intervenaient principalement aux phases 1, 2 et 5. Pour les deux premières phases, en collaboration avec les autorités congolaises, elles fournissent les équipements sophistiqués utilisés dans la localisation et la détection de gisements de coltan et dans l’évaluation de la qualité du minerai. Les phases 3 et 4 sont laissées aux locaux, qui utilisent des outils rudimentaires (houes, pelles, barres de fer, tridents…) pour creuser et extraire les minéraux du sol. Ensuite, les militaires interviennent pour assurer le transport des minéraux vers deux pays voisins, l’Ouganda et le Rwanda. Ce transport est la plupart du temps effectué par avion, grâce aux appareils militaires de ces deux pays. Les sociétés transnationales interviennent enfin pour la dernière phase du cycle. Ces entreprises participent à l’organisation et à la préparation logistiques du transport des produits vers des usines de traitement et de transformation en Europe, aux Etats-Unis et en Asie du sud-est, avant de les envoyer à des usines du monde entier. Il est important de souligner le fait que seules huit entreprises au monde sont équipées pour transformer le coltan en tantale. Elles se trouvent en Thaïlande, en Allemagne et aux États-Unis (8). Cette information devrait faciliter le contrôle des produits exportés, si les gouvernements en manifestaient la moindre volonté politique.
Divers rapports, publiés par des commissions d’experts des Nations Unies (9) et par plusieurs Organisations Non Gouvernementales (10), ont identifié certaines de ces « nouvelles » corporations transnationales qui exploitent et commercialisent le coltan et l’oxyde d’étain issus de zones de conflits :
Les entreprises citées ci-dessus sont quelques-unes des entreprises soupçonnées de faire des affaires avec des minéraux extraits des zones de conflits en RDC. Les 3T congolais, à l’instar des autres minerais de RDC, sont vendus à des spécialistes en mines et à des businessmen de Belgique, d’Allemagne, du Sud-Est Asiatique et des États-Unis. Ces personnes sont suspectées, de part l’argent qu’elles injectent dans le système, d’être à la source du trafic de minerais.
De même que les corporations transnationales traditionnelles sont impliquées dans des activités illégales telles que corruption, pollution environnementale et violation du droit du travail, les CTV, de part leurs activités, entravent directement les efforts de résolution des conflits. Cela les met sur un pied d’égalité avec les militaires locaux et les dirigeants rebelles qui commettent les crimes odieux dont le Congo est le théâtre aujourd’hui.
Le commerce lié à l’exploitation minière est très dangereux pour les personnes qui y travaillent au niveau local. L’une de ses conséquences les plus dévastatrices est le violent conflit que cela génère et entretient. Comme nous l’avons vu plus haut, des millions de personnes sont mortes, et ce chiffre continue d’augmenter, des milliers d’autres ont été délibérément mutilées par les rebelles ou les militaires, des femmes et des jeunes filles sont violées et des enfants sont enrôlés de force dans les rangs rebelles, en particulier dans le Nord et le Sud Kivus. Ces atrocités sont toutes alimentées par l’argent des mines, versé par les corporations transnationales. Un rapport de Global Witness observe que : « Le lien entre les ressources naturelles et le conflit dépend de manière critique de la capacité des exploitants à accéder à des marchés externes. Enlevez la possibilité de tirer des bénéfices de l’extraction des ressources et leur valeur, aux yeux des promoteurs du conflit, tombera parfois de manière spectaculaire » (11).
Pour leur subsistance et pour acheter armes et munitions, les rebelles sont dépendants de l’argent qu’ils obtiennent des rackets et des « protections » qu’ils imposent à la population travaillant dans les mines. Sans l’accès aux marchés internationaux que permettent les sociétés transnationales dans le secteur minier, les fonds alimentant les conflits se tariront. Dans le cas de la RDC, la perte de ces revenus aura un impact très important sur le conflit, étant donné que la RDC ne fait aucune utilisation domestique des minerais exploités dans ses sols, 3T ou autres, et que l’Afrique ne compte pas d’industriels intéressés par ces minerais. Ces derniers seront inutilisables s’ils ne rencontrent pas des marchés extérieurs à l’Afrique.
Une autre conséquence directe de cette exploitation minière des 3T se fait sentir sur la santé et le bien-être des communautés locales. Cette industrie non réglementée rejette de dangereuses particules, dont certaines sont radioactives. Cela représente d’importants risques pour la santé des habitants de la région, en particulier pour les jeunes enfants. Par ailleurs, comme dans toute autre industrie extractive, l’environnement subit une grande pollution.
Le fait que les sociétés transnationales virtuelles (STV) élaborent de nouveaux moyens de faire des affaires dans les zones de conflit de la RDC ne signifie pas que les corporations transnationales traditionnelles (STT) restent passives et n’innovent pas. Elles s’investissent au contraire dans des affaires plus sérieuses. Des ONG, des rapports de la Banque Mondiale ainsi que la Commission congolaise sur le pillage de ressources minérales en temps de guerre, dirigée par Lutunda (12), ont pointé du doigt des sociétés immatriculées au Canada (Emaxon, Kinross Gold et VIN MART) et d’autres, comme Bayer, FTS Worldwide (immatriculée au Panama), les accusant du pillage systématique des ressources du pays dans des temps de guerre (13). Ces entreprises signent des accords avec des seigneurs de guerre, actuels ou reconvertis, pour que ces derniers leur confient des contrats extrêmement lucratifs lorsqu’ils seront au pouvoir. En d’autres mots, elles parient sur le meilleur cheval. Après la signature de ces contrats, obtenus de seigneurs de guerre affamés de pouvoir et en grand manque d’argent, ces sociétés, au lieu d’investir dans les mines et de faire en sorte de lancer la production, se tournent immanquablement vers les marchés boursiers pour spéculer sur les mines, faisant ainsi des millions de dollars de bénéfices sans travailler. Dans son article (14), Alain Deneault cite la conclusion d’un audit accrédité par la Banque Mondiale, qui affirme que : «Les accords tels que celui entre Kinross-Forrest et la Gécamines[>15] « contiennent de nombreuses anomalies qui sont toutes au détriment de la Gécamines. […] Ils visaient principalement à générer rapidement du numéraire, plutôt qu’un développement durable et rationnel du patrimoine de la Gécamines » (16).
Cette manière de faire des affaires nuit à l’économie de la RDC et au-delà, nuit à sa population, qui dépend du travail et des revenus générés par les mines pour se remettre d’années de guerre. Cela est en droite ligne de la pratique observée par Michael Ross, la vente anticipée des droits d’exploitation des mines considérées comme futurs butins de guerres (booty futures) (17).
Les effets endémiques de la corruption, institutionnalisée en RDC, se font toujours sentir. La corruption systématique permet aux sociétés de signer des contrats juteux, que ce soit avec le gouvernement ou avec les rebelles, sans se soucier de la population locale, de plus en plus pauvre. Comme d’habitude, leur seul objectif reste leur chiffre d’affaires et la réalisation d’un maximum de profits.
Mais de tous les dangers inhérents à l’exploitation minière, le plus dangereux est sans doute le risque d’épuisement. Personne ne connait vraiment l’état des réserves, ni la quantité de minerai qui reste. Pourtant, des milliers de tonnes de minerai sont extraites et transférées à l’étranger chaque année. Le rythme actuel de l’extraction est déjà très élevé, mais la demande mondiale croissante en coltan mènera rapidement à l’épuisement irréversible des réserves, ne laissant derrière elle qu’un environnement pollué et une région ravagée par les conflits comme ce qui se voit déjà au Nigeria.
Lire la partie 2.
industrie minière, surexploitation des ressources
, Nigéria, République Démocratique du Congo
Revue Informations et Commentaires : le développement en questions
Peterson Nnajiofor est professeur à l’Université Montpellier 1. Auteur de l’article « La dégradation économique dans le delta du Niger et les activités de l’industrie pétrolière au Nigéria », Informations et Commentaires, n° 127, avril – juin 2004, p. 20-27.
Informations et Commentaires, n° 151, avril – juin 2010
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