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Normes volontaires et renforcement de capacités

ISF - Ingénieurs sans frontières

07 / 2011

L’un des objectifs des normes volontaires éthiques et liées au commerce équitable est le renforcement de capacités des acteurs locaux et surtout des producteurs. Il s’agit donc ici d’expliciter les effets perçus de ces normes en la matière.

1 - Renforcement de la structuration en Organisations de Producteurs (OP)

Un constat général fait état d’un renforcement de la structuration des producteurs en organisations collectives.

Par exemple, au Bénin, les producteurs se regroupent pour atteindre les volumes imposés par l’exportation et permettre les négociations nécessaires. Ces organisations disposent de ce fait d’une capacité financière qui leur permet de supporter les coûts logistiques engendrés.

Les normes d’exportation et celles liées au commerce équitable renforcent donc la coopération entre les producteurs. Pour exporter, ils s’organisent en effet en OP. Il ressort des entretiens une certaine solidarité entre les membres, notamment pour aider les analphabètes à la réalisation des opérations nécessaires pour valider la traçabilité.

Dans le cas plus précis du commerce équitable, quelques initiatives intéressantes ont été relevées, comme la mise en place d’un programme d’alphabétisation en langue locale. De plus, la structure semble fonctionnelle, transparente et démocratique. Le niveau d’empowerment est en effet plus important chez les enquêtés appartenant à ce type de coopérative.

Pour la production biologique par contre, il y a moins de coopération entre les acteurs. Le client prend en charge un certain nombre de tâches pour le respect de la norme biologique (concernant la traçabilité et le paiement du coût de la certification), mais aussi tous les problèmes de gestion administrative et de formation. Les contraintes qui ont entraîné les producteurs en conventionnel ou en commerce équitable à s’organiser, sont donc ici beaucoup moins fortes. Cette relation, imputable à la norme, renforce le pouvoir du client sur la filière biologique par rapport à une filière conventionnelle ou équitable.

Les avantages d’une structuration en OP pour les producteurs engagés dans des productions normalisées :

La structuration en OP permet tout d’abord de partager les coûts des certifications.

De nombreux éléments peuvent être apportés concernant les relations des producteurs avec leur environnement. Dans tous les cas de figures rencontrés en Afrique de l’Ouest, les normes renforcent la coopération entre les producteurs et leurs clients

Exemple de la filière ananas au Bénin et au Togo

Les responsables des OP sont en contact permanent avec les exportateurs, ce qui leur permet de suivre l’évolution des ventes. Les prix sont fixés lors de tables de négociations entre les représentants des producteurs et les clients.

En ce qui concerne le commerce équitable, les importateurs viennent visiter l’OP une fois par an. Les agriculteurs considèrent que les rapports qu’ils entretiennent avec leurs clients sont meilleurs qu’avec les exportateurs conventionnels.

Ceci est d’autant plus valable pour l’agriculture biologique où le suivi est beaucoup plus dense. Des encadreurs sont mobilisés sur les lieux de production, de deux à quatre fois par mois. Ceux-ci sont responsables de la planification et du suivi des parcelles. Ils assurent également les formations jugées nécessaires. Enfin le coût de certification, connu des producteurs, est assuré par le client.

Cette organisation leur donne également un pouvoir plus important sur les marchés, en termes de volumes (et de qualité) d’ananas produit :

Ainsi, au Bénin, un réseau d’OP a réussi à faire augmenter fortement les prix de vente auprès des exportateurs. Ces derniers, jusqu’alors en position de force, mettant les agriculteurs ou les OP en concurrence, sont passés en position de faiblesse face à une majorité de producteurs réunis dans une même structure.

Les producteurs ont donc modifié à leur avantage les relations avec leurs clients. La norme semble donc renforcer le pouvoir de l’amont des filières, soit des producteurs. C’est le cas pour les normes d’exportation, et le commerce équitable au Bénin et au Togo.

La moitié des enquêtés a connaissance des négociations entre l’OP et les clients, pour la fixation du prix. Ils considèrent que l’augmentation obtenue récemment a été possible grâce au renforcement de l’OP. Le déroulement des commandes et la fixation des prix sont similaires pour les producteurs équitables et les producteurs conventionnels.

Le regroupement en OP peut être une stratégie des producteurs pour répondre aux contraintes de l’export, mais c’est une condition pour obtenir une certification en commerce équitable. Condition qui aboutit à une meilleure maîtrise de la commercialisation et de la production.

Cependant, concernant les OP, plus qu’un impact économique, il faut envisager l’émergence de forces politiques en capacité de négocier pour que les producteurs puissent mieux se défendre. Une implication plus politique, dans des négociations avec l’État serait souhaitable. L’objectif serait de jouer sur les orientations économiques, pour qu’elles n’anéantissent pas les filières.

Une vraie question émerge néanmoins. Les normes liées à des préoccupations environnementales sont très en vogues, or il apparaît que les démarches de certification sont beaucoup plus intégrées, laissant une implication et un contrôle moindres aux producteurs. Le mode de culture biologique, contrairement au commerce équitable, est plus intrusif dans les exploitations. Il induit une implication forte dans le quotidien des producteurs. Même s’il présente certains avantages, notamment pour les relations producteurs-clients, il faudrait veiller à ne pas déposséder les agriculteurs de la maîtrise de ces normes.

2 - Amélioration de la qualité et des pratiques culturales

En ce qui concerne le café, qu’il soit bolivien ou péruvien, les normes liées au commerce équitable et à la certification biologique ont indéniablement eu un impact sur la qualité du café. Elles ont imposé ou permis l’engagement d’une démarche qualité et l’amélioration des standards. Dans les OP, c’est le meilleur café qui part à l’export pour les certifications équitable et biologique. Les volumes certifiés exportés ont augmenté.

Les normes, même si elles représentent au départ une contrainte, se transforment en outil technique lorsqu’elles sont appliquées par les producteurs.

La certification biologique semble permettre l’amélioration de la productivité et la qualité du café, tout comme la durabilité des exploitations. Dans ce sens, elle est un tremplin d’accès aux marchés internationaux.

Beaucoup de producteurs considèrent les normes comme une aide pour la production, le maintien des sols, etc. Dans ce cas, les normes volontaires correspondent à des modèles de gestion d’exploitation.

L’administration des organisations est améliorée, des éléments sont donnés pour la conduite des caféiers grâce au commerce équitable. De nombreux outils sont fournis pour la gestion de l’exploitation agricole grâce à la certification biologique.

Cependant, les cafés spéciaux andins parviennent autant à ces marchés. Il apparaît donc que jouer la carte de la qualité (qu’elle soit gustative, ou physique) pour commercialiser leur production est une vraie préoccupation des producteurs. Des normes qualitatives et d’origine se développent, pour prévenir une éventuelle saturation des marchés de cafés « durables ».Certains caféiculteurs accusent en effet les certifications équitables de ne pas valoriser la qualité du café en tant que telle. Ils se tournent donc vers des labels la valorisant au mieux, type « cafés spéciaux ».

3 - Professionnalisation des filières concernées

Les éléments précités ont permis de déboucher sur une professionnalisation des filières concernées.

De tous les terrains, il ressort que la formation a considérablement augmenté avec les normes, qu’elle vienne de techniciens, de certificateurs ou de clients exportateurs.

Les normes volontaires en zone andine constituent une réelle aide technique pour les producteurs. Ils trouvent ainsi des modèles de systèmes de production et une assurance de bonne conduite des cultures lors des contrôles. La période de contrôle de la certification devient une vérification de leur production avec un conseil technique à la clef.

Les certificateurs paraissent jouer un rôle qui va bien au-delà du contrôle du respect des cahiers des charges. Ils forment, conseillent les producteurs, les accompagnent dans leurs efforts de mise en conformité. Ce rôle semble particulièrement apprécié des producteurs dans un contexte de retrait de l’État des fonctions de vulgarisation qu’il assurait autrefois. Mais ce rôle de conseiller est, en principe, contradictoire avec la fonction de certification.

Les certificateurs aimeraient voir leur rôle redéfini, compte-tenu de la déviance de leur fonction assimilée par les producteurs. Le certificateur doit avoir un rôle d’audit, et non de conseil.

Pour l’Afrique de l’Ouest, cet apport technique est également relevé. Des aspects positifs quant à la commercialisation des produits sont également évoqués par les agriculteurs. Les mêmes remarques que précédemment concernant la production biologique d’ananas sont cependant valables. Il n’y a que peu de transfert de la maîtrise technique au producteur.

Pour compléter ce point, il faut considérer l’effet des normes quant au risque engendré par celles-ci sur l’activité des producteurs, qui a particulièrement été étudié au Bénin et au Togo.

C’est la récurrence des refus, et le risque lié aux possibilités de commercialiser ces marchandises refusées qui ont été pris en compte.

Précisons qu’au Bénin et au Togo, la majorité des producteurs vendent à la fois en commerce équitable et en conventionnel. Un producteur biologique, étant données les caractéristiques de ses fruits (non colorés), ne peut pas, lui, exporter en conventionnel. Tous vendent sur le marché local.

Les normes d’exportation conventionnelles engendrent des refus de la production par les exportateurs de 5 à 50% (calibres ou couronnes non-conformes, pédoncules mal tranchés, in-homogénéité d’aspect dans un lot de fruits et maturité). Ce risque est connu et diminue avec l’augmentation de la maîtrise technique. Ces producteurs se sont diversifiés sur d’autres productions pour limiter le risque. Ils insistent plus sur le risque qu’ils encourent avec la culture de l’ananas commercialisé sur le marché local.

Au contraire, le commerce équitable rend l’activité moins risquée. Quelques personnes ont déclaré que cela permettait aux plus petits producteurs de vendre sur un marché rémunérateur, comparativement au marché local, sans subir les aléas des commandes avec les exportateurs conventionnels.

C’est aussi le cas pour l’agriculture biologique. Les refus par les différents clients varient de 2 à 10% de la production, ce qui est moins important que pour l’export conventionnel. Les calibres produits par l’agriculture biologique sont plus petits mais il existe des clients particuliers qui prennent les gros calibres ce qui n’existe pas sur la filière conventionnelle.

Cependant, dans un cas de refus de marchandise, le marché local peut être très fluctuant, s’il est éloigné d’une grande ville et s’il n’y a pas d’unité de transformation à proximité (qui assure un débouché stable pour la production et permet de stabiliser le produit rapidement).

1 L’empowerment est la capacité d’une population à prendre part aux négociations, d’augmenter son pouvoir vis-à-vis de celles-ci et de la prise de décision.  
2 Cependant, il faut préciser que, bien évidemment, les négociations n’aboutissent pas toujours en faveur des producteurs parce qu’ils sont organisés.
3 Ou cafés différenciés, qui obtiennent un surprix par rapport aux autres cafés.
4 Les refus concernant 50% de la production sont toujours le fait d’un exportateur très exigeant sur la teneur en sucre.
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