Les Japonais ont été très conscients du danger des armes nucléaires mais ils ont peu soutenu les campagnes contre l’énergie nucléaire. De la même manière que la remarquable Constitution de la Paix du Japon est née des ruines de la Seconde Guerre Mondiale, la catastrophe de Fukushima pourrait initier une société nouvelle, pacifique et respectueuse de l’environnement.
Le tremblement de terre dévastateur évalué à 9 sur l’échelle de Richter qui a frappé le Japon le 11 mars 2011 et le tsunami gigantesque qui l’a accompagné, ont complètement détruit la côte nord-est pittoresque de l’île principale du Japon, emportant des dizaines de milliers de vies et créant des centaines de milliers de réfugiés.
Dans une zone de 200 km autour le long de cette étendue totalement détruite, se trouvent quatre centrales nucléaires comprenant au total 15 réacteurs. La plus grande parmi elles est la centrale nucléaire de Fukushima 1, comprenant six réacteurs nucléaires et gérée par Tokyo Electric Power Company (TEPCO). Jusqu’à présent, TEPCO était fière de la solidité des enceintes de confinement de ses réacteurs. Elle affirmait qu’elles avaient été fabriquées en utilisant la technologie de pointe développée pour produire la batterie principale de la plus grande artillerie navale jamais produite, montée sur le gigantesque navire de guerre Yamato de la marine impériale japonaise, que les forces des États-Unis ont détruit à la fin de la guerre du Pacifique. TEPCO affirmait qu’en cas de séisme, les réacteurs nucléaires s’arrêteraient en toute sécurité, puis se refroidiraient automatiquement et contiendraient les radiations et qu’il n’y avait donc aucun risque qu’un tremblement de terre entraîne un grave accident nucléaire. La vulnérabilité des réacteurs nucléaires aux séismes était pourtant déjà évidente quand la centrale Kashiwazaki-Kariwa de TEPCO, sur la côte nord-ouest du Japon, a connu plusieurs dysfonctionnements, dont un incendie dans un transformateur et des fuites légèrement radioactives dans l’océan et l’atmosphère suite au tremblement de terre de magnitude 6,8 qui a frappé la région en juillet 2007. Malgré ce grave accident, TEPCO vantait toujours avec arrogance sa « technologie nucléaire civile la meilleure du monde ».
Mais, après que le tremblement de terre du 11 mars a secoué violemment ses réacteurs et que les vagues gigantesques du tsunami ont surgi et abîmé de nombreux bâtiments de la centrale électrique, le mythe du « réacteur sûr et durable » propagé par TEPCO s’est immédiatement effondré. Alors que nous écrivons ces lignes (mi-mars), la moitié des six réacteurs semble près de fondre et l’un des bâtiments de confinement a pris feu. Le niveau de radiation dans les environs de la centrale électrique est extrêmement élevé et il s’étend jusqu’à Tokyo et Yokohama. Ainsi, avec chaque jour qui passe, une catastrophe nucléaire d’une échelle sans précédent se déroule, rendant de plus en plus difficile l’arrêt des multiples problèmes de la radioactivité.
Que s’est-il passé avec l’industrie nucléaire du Japon ? On dit souvent que les Japonais sont hypersensibles sur les questions nucléaires en raison de l’expérience de l’holocauste nucléaire d’août 1945. Le matin du 6 août 1945, une bombe atomique tuait instantanément 70.000 à 80.000 civils habitant la ville de Hiroshima. A la fin de l’année 1945, 140.000 habitants de cette ville étaient décédés des suites du bombardement. Trois jours plus tard, une autre bombe atomique tuait environ 40.000 civils à Nagasaki, chiffre qui s’élevait à 70.000 à la fin de l’année. De nombreuses autres personnes sont décédées par la suite après avoir vécu de terribles souffrances ou bien souffrent toujours de maladies diverses résultant de l’explosion, du feu et des radiations.
Il est vrai que les Japonais, en particulier les citoyens de Hiroshima et Nagasaki, sont très conscients du danger de l’arme nucléaire, arme de destruction massive la plus meurtrière. Les survivants de la bombe A, qui connaissent bien la terreur de la bombe et craignent les effets à long terme des radiations, ont donc été à l’avant-garde de la campagne contre les armes nucléaires. Pourtant, de nombreux survivants de la bombe A et des militants opposés à l’arme nucléaire ont été jusqu’à présent indifférents à la question de l’énergie nucléaire civile. Les campagnes contre l’énergie nucléaire ont longtemps été marginalisées au Japon.
Par exemple, à Hiroshima, un petit groupe de militants anti-énergie nucléaire s’est activement engagé dans un mouvement contre le projet de CEPCO (Chugoku Electric Power Company) visant à construire une centrale nucléaire près de Kaminoseki, un beau village de pêcheurs sur la mer intérieure du Japon, à 80 km de la ville de Hirochima. Ces militants n’ont cependant reçu pratiquement aucun soutien des organisations de survivants de la bombe A. Les maires précédents et actuels de Hiroshima, connus pour plaider en faveur de l’abolition des armes nucléaires, n’ont pas soutenu ce mouvement local anti-énergie nucléaire. Malgré la forte opposition de ce groupe de militants solidaires des pêcheurs de Kaminoseki, CEPCO a commencé ses travaux de construction au début de l’année. (CEPCO a arrêté temporairement les travaux sur le site le jour du tremblement de terre, ce qui indique peut-être qu’il sera difficile pour l’industrie de l’énergie nucléaire et le gouvernement de reprendre les travaux sur les centrales nucléaires après la catastrophe.)
Il y a de nombreuses raisons à cette dichotomie particulière du mouvement anti-nucléaire au Japon. L’un d’elle est que la science nucléaire a été fortement encouragée dans le Japon d’après-guerre, en particulier après que la nouvelle politique américaine d’un « usage pacifique de l’énergie nucléaire » a été initiée par le Président Eisenhower en 1953. Cela était principalement dû à la réflexion des Japonais qui estimaient avoir négligé la recherche scientifique pendant la guerre. Les hommes politiques et les scientifiques japonais de l’époque pensaient fortement que leur nation avait été défaite pendant la Seconde Guerre Mondiale par la science technologique américaine, dont la physique nucléaire était l’illustration.
Cette attitude, mêlée à une profonde angoisse sur le manque de ressources énergétiques naturelles dans un pays qui repose à 100% sur les importations de pétrole et est le plus grand importateur mondial de charbon, a ouvertement encouragé l’adoption, par les Japonais, de l’énergie nucléaire. En particulier, à partir de la fin des années 60, le gouvernement japonais a essayé de s’assurer l’accord de communautés locales vivant dans des régions isolées pour la construction de centrales nucléaires dans ces zones. Le gouvernement a alloué des sommes importantes pour la construction d’infrastructures publiques telles que des bibliothèques, des hôpitaux, des centres de récréation, des gymnases et des piscines dans les régions où les conseils locaux acceptaient une centrale nucléaire. Les compagnies d’électricité ont versé de grosses sommes d’argent aux propriétaires terriens et aux pêcheurs pour les forcer à céder leurs propriétés et leurs droits de pêche. La corruption politique s’est vite mêlée au développement de cette industrie. Au même moment, le gouvernement et les compagnies d’électricité promouvaient le mythe que l’énergie nucléaire est propre et sûre, marginalisant ainsi le mouvement anti-énergie nucléaire.
Bien qu’après la catastrophe de Tchernobyl en 1986, et pour une brève période, le mouvement anti-énergie nucléaire au Japon ait gagné un soutien national, il est vite retombé suite aux campagnes du gouvernement et des compagnies d’électricité. Malgré de nombreux accidents depuis, la gravité de ces incidents a été dissimulée. En conséquence, l’archipel japonais fortement sujet aux séismes compte actuellement 17 centrales nucléaires comprenant 54 réacteurs nucléaires qui fournissent 30 % de l’électricité du Japon.
Le mouvement anti-nucléaire a averti des dangers d’un accident nucléaire dévastateur depuis des années, mais il a toujours été contré par l’assurance dédaigneuse de la sécurité des réacteurs. L’accident de Fukushima a concrétisé toutes les craintes et prédictions exprimées précédemment. De la même manière que la bombe atomique a tué de manière indiscriminée des dizaines de milliers de civils, un accident de réacteur nucléaire peut être responsable de souffrances et de morts indiscriminées en raison de la pollution radioactive.
L’Australie et le Canada sont les deux plus grands fournisseurs d’uranium du Japon. Trente-trois pour cent de l’uranium importé par le Japon vient d’Australie et 27% du Canada. L’Australie doit décider de continuer ou non d’exporter l’uranium même si certains hommes politiques insistent sur le fait qu’ils ne peuvent pas prendre le risque d’introduire l’énergie nucléaire. Il est certainement hypocrite d’éviter les dangers chez soi tout en bénéficiant de l’exportation à d’autres pays. Dans la même veine, ces hommes politiques se font l’avocat de l’abolition des armes nucléaires, mais refusent d’interdire l’extraction d’uranium.
Le Japon n’est pas la seule nation responsable de la catastrophe nucléaire actuelle. De la fabrication des réacteurs par GE à l’approvisionnement en uranium au Canada, en Australie et dans d’autres pays, de nombreux pays sont impliqués. Nous devons tous tirer la leçon de cet accident tragique : les êtres humains ne peuvent pas co-exister avec l’énergie nucléaire, qu’elle soit sous la forme d’armes ou d’électricité. Les risques et les coûts, en termes de dollars et en termes de destruction d’êtres humains et d’environnement, sont excessifs.
Cet événement catastrophique pourrait être le catalyseur nécessaire à une réforme drastique de la structure socio-économique actuelle du Japon et de son mode de vie. Comme résultat positif, elle pourrait marquer le réveil du pays et représenter une occasion de réorienter la nation vers une nouvelle voie qui mette l’accent sur le développement d’énergies vertes. De la même manière que la remarquable Constitution de la Paix du Japon est née des ruines de la Seconde Guerre Mondiale, cette catastrophe pourrait être utilisée pour initier une société jusqu’à présent impossible, complètement nouvelle, pacifique et visant à l’harmonie avec l’environnement. Un résultat aussi optimiste dépendra de la détermination et des actes de la population japonaise, avec le soutien chaleureux de ceux qui vivent en dehors du Japon.
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, Japon
Lire l’article original en anglais : The myth of safe and peaceful use of nuclear energy
Traduction : Valérie FERNANDO
Yuki Tanaka est universitaire à l’Institut de la paix de l’université de Hiroshima.
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Yuki TANAKA, « The myth of safe and peaceful use of nuclear energy », in InfoChange, March 2011
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