01 / 2009
La meilleure façon d’économiser l’énergie et de ne pas contribuer au changement climatique est de ne pas utiliser de « services modernes », en particulier les transports motorisés… Mais, sans possibilité de déplacer les personnes et les biens, tout développement humain et économique est impossible. L’absence d’infrastructures et de moyens de transport en milieu rural, tout particulièrement en Afrique subsaharienne, constitue un obstacle au développement. Toutefois, il ne faut pas se concentrer uniquement sur les infrastructures et les véhicules motorisés pour mener une politique de transport. En analysant les « besoins » en déplacements des populations rurales, on peut faire émerger des solutions efficaces qui contribuent à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Ces solutions aux coûts économique et environnemental acceptables, peuvent être mises en œuvre à court terme et permettre un accroissement rapide des conditions de vie des populations.
Parmi les 450 millions de personnes vivant dans les zones rurales de l’Afrique subsaharienne, une majorité vit avec moins de 1,25 $ par jour, nouveau seuil international de pauvreté défini par la Banque mondiale (1). Si l’on constate l’évolution positive de certains indicateurs de développement, les efforts vont devoir s’accentuer pour que l’Afrique subsaharienne rejoigne les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) définis par les Nations Unies.
L’isolement des populations rurales est une caractéristique fondamentale de la pauvreté. L’accès à l’eau, à la nourriture, aux services énergétiques (électricité, cuisson, force motrice), aux services de santé, à l’éducation, à l’emploi tout comme aux marchés et aux activités civiques et culturelles, peut s’avérer très difficile du fait des distances à parcourir, de l’état des chemins ou des routes et des modes de transport disponibles. Le manque d’accès des populations rurales aux services essentiels est alors bien souvent un verrou enfermant les ménages dans l’extrême pauvreté. L’amélioration des conditions d’accès des populations rurales aux services essentiels est un catalyseur qui peut permettre d’atteindre les objectifs du millénaire pour le développement dans les pays d’Afrique subsaharienne.
La marche à pied et le portage prédominent dans les régions les plus pauvres. Le transport est alors une activité qui demande beaucoup d’efforts pour peu de résultats (2). Les modes de transport motorisés sont rares dans de nombreuses régions. Inabordables pour la plupart des habitants, ils sont parfois même inutilisables en fonction des territoires et des infrastructures.
Sur le continent, les infrastructures de transport sont particulièrement peu développées. Le réseau routier totalise un peu plus de deux millions de kilomètres soit environ 7 km/100 km2. Cela représente un réseau deux fois moins développé qu’en Amérique latine et trois fois moins qu’en Asie. De plus, la qualité des infrastructures de transport n’est pas très élevée puisque moins d’un tiers du réseau routier est revêtu. Ainsi selon la SSATP (Programme de Politique de Transport en Afrique Sub-saharienne), seulement 34% de la population rurale vit à moins de 2 km d’une route praticable en toute saison.
La construction de routes, si elle est nécessaire pour desservir les zones rurales, est loin d’être suffisante pour répondre aux besoins de transport des populations. Les investissements doivent concerner l’ensemble du système de transport pour répondre aux enjeux de lutte contre la pauvreté, de l’égalité entre les sexes, d’amélioration des conditions de santé et d’éducation.
Le rôle des femmes dans le transport quotidien
La mobilité quotidienne en milieu rural répond avant tout aux besoins d’une économie de subsistance. De fait, les activités domestiques sont à l’origine d’une très grande proportion de déplacements des ménages, essentiellement pour le transport de l’eau et du bois de feu. Les autres déplacements sont liés à l’activité agricole : rejoindre les champs cultivés, apporter les intrants quand il y en a et acheminer les récoltes, notamment pour les commercialiser sur les marchés.
Force est de constater que ce sont les femmes qui, généralement, supportent l’activité de transport. Traditionnellement, dans les sociétés africaines, les femmes s’occupent des tâches domestiques : collecte de l’eau et du bois de feu, préparation et cuisson des repas, traitement et stockage des aliments, soins des enfants, nettoyage et lavage, achats et courses. La quasi totalité du transport induit par ces activités leur incombe directement.
La population féminine prend à sa charge les deux tiers du temps consacré au transport. Une étude réalisée dans cinq zones rurales différentes montre qu’une femme peut consacrer en moyenne pour ses déplacements entre une heure et 2 heures 40 minutes par jour. Dans certaines régions, près du quart de la journée de travail des villageoises est dédié aux déplacements et aux transports (3). L’effort réalisé équivaut à porter une charge de 20 kg sur une distance de 1,4 à 5,3 km sans compter les enfants portés sur le dos. La charge totale que les femmes des villages africains portent sur une année est trois à cinq fois plus importante que celle portée par les hommes.
Les situations locales sont, bien entendu, contrastées selon différents facteurs. Par exemple, l’énergie et le temps consacrés au ravitaillement dépendent beaucoup des distances qui séparent le ménage et les sources d’approvisionnement. Quand les distances sont importantes, les consommations d’eau et de bois de feu sont rationalisées pour réduire la charge à transporter. À l’inverse, lorsque les habitations sont agglomérées autour des points d’eau, les consommations deviennent plus importantes. Il faut noter que dans cette configuration, les distances de déplacement pour l’approvisionnement en eau sont plus courtes mais les distances à parcourir pour rejoindre les parcelles cultivées sont plus longues.
Par ailleurs, l’effort consacré dépend du nombre de femmes dans le ménage. Ainsi dans les ménages polygames, les corvées sont réparties entre les femmes. De plus, les enfants sont souvent mis à contribution, notamment pour le portage de l’eau et du bois de feu, particulièrement quand la charge de travail des femmes est plus importante pendant la haute saison agricole. La fréquentation scolaire, déjà affectée par la difficulté d’accès des élèves à l’école, est encore réduite dans ce cas, notamment pour les filles qui sont plus facilement sollicitées.
Indépendamment des cultures, les actions en milieu rural doivent permettre de soulager le fardeau des femmes. Pour répondre aux objectifs d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes, il convient de faciliter leurs déplacements, de raccourcir les distances en développant de nouveaux services, et même de réduire les besoins (la quantité de bois de feu consommé peu être réduite par l’usage de foyers plus économes et l’utilisation de combustibles alternatifs). Mais les conséquences sont également plus vastes car le temps gagné par des durées de déplacement plus courtes peut être réinvesti dans d’autres activités productives. Par exemple, des études ont montré que les femmes accentuent leur contribution au travail des champs et améliorent ainsi la productivité agricole. La trop faible productivité agricole est considérée comme une des premières causes de malnutrition dont souffre les familles de petits paysans en Afrique subsaharienne qui représentent près des trois quarts des 200 millions de personnes souffrant de la malnutrition (4).
Les moyens intermédiaires de transport
La diffusion des moyens intermédiaires de transport (MIT) est de plus en plus encouragée par les acteurs internationaux. Ils permettent de gagner du temps, d’économiser l’énergie des hommes et des femmes et d’augmenter les capacités de transport à moindre coût. Les moyens intermédiaires de transport (brouettes, charrettes à bras, chariots, bicyclettes, tricycles et modes de traction animale) sont « intermédiaires » dans le sens où ils remplissent le vide entre marcher/porter et le transport motorisé à grande échelle (Starkey, 2001). Ils permettent de porter des charges trop lourdes pour être facilement transportées par des hommes mais pas assez pour être transportées par des modes de transport de grand tonnage. Leur pertinence se situe pour des charges allant de 50 à 1 000 kg (voir tableau n° 1).
Leur adoption dépend beaucoup de la pertinence de la technologie, de ses conséquences économiques et de l’importance de l’environnement culturel. Mais Paul Starkey, qui a étudié la diffusion des technologies, reconnaît également une part de chance ou de hasard dans le développement de certains modes intermédiaires de transport. En tout état de cause, ils appartiennent à un système de transport où l’infrastructure, les services de réparation et l’acceptation des populations doivent se conjuguer pour garantir leur adoption.
La rentabilité de l’usage des MIT qui sont avant tout dédiés aux travaux agricoles, est primordiale pour permettre leur adoption par les populations. Celle-ci peut être directe par l’accès à des prix de vente peu élevés, ou la possibilité de louer le véhicule. Mais elle s’observe également de manière indirecte. Ainsi, les nouveaux débouchés permettent la commercialisation d’un plus grand nombre de produits agricoles. Dans la plupart des régions où les conditions de transport rural se sont améliorées par la construction de routes et l’adoption de MIT, on constate que les rendements agricoles augmentent considérablement. Le développement d’un système de transport intermédiaire permet également de favoriser les initiatives de petites entreprises et l’émergence de nouveaux métiers, en marge des activités de subsistance, rendus possibles grâce à l’amélioration de l’accessibilité. L’utilisation de ces modes de transport peut donc permettre une amélioration substantielle des revenus.
Dans les sociétés rurales, les hommes ont souvent tendance à s’approprier ces modes de transport. Ils sont réticents à mettre leur MIT à disposition des « travaux de femmes », considérant parfois que cela représenterait une menace à leur position dominante dans le foyer (5). Les femmes peuvent être réservées d’elles-mêmes à l’idée d’utiliser un MIT. La bicyclette est ainsi souvent jugée comme un « véhicule masculin ». Mais dans certains cas, le partage des tâches change avec l’adoption d’un MIT. Les hommes peuvent se charger des corvées d’eau ou de bois lorsque le manque à gagner des femmes devient trop élevé ou que ces dernières ne sont plus en mesure d’assumer d’autres responsabilités.
L’accès aux services de santé
Les zones rurales d’Afrique subsaharienne disposent de peu de centres de santé, souvent mal équipés et disposant de peu de personnel compétent et les familles les plus pauvres sont bien souvent celles qui en sont le plus éloignées (6). Mises à part les campagnes itinérantes, elles doivent parcourir de longs trajets et consacrer beaucoup de temps pour recevoir des soins. L’usage des services de santé, comme celui des écoles d’ailleurs, est inversement proportionnel à la distance à parcourir.
Une étude réalisée en Ouganda, au Ghana et au Sénégal par ITDP (International Transport for Development Policy) analyse les conditions d’accès des populations aux trois différents niveaux de services de santé présents dans les pays étudiés : le poste de santé, le centre de santé et l’hôpital. Pour accéder à un poste de santé, très mal équipé et où il n’y a pas de personnel soignant compétent, les populations doivent bien souvent marcher plusieurs kilomètres. Le centre de santé le plus proche, un peu mieux équipé et où l’on peut trouver un infirmier se situe à plus de 25 km. Tandis que l’hôpital où l’on peut trouver un médecin se trouve à plus de 50 km [UW4] (7).
Dans ces conditions, l’acheminement d’urgence des patients vers les services de santé est un enjeu considérable. Le transport d’un malade, d’un blessé ou d’une femme enceinte se fait parfois sur plusieurs dizaines de kilomètres avec une civière comme mode de transport. Les risques de mortalité pour les personnes transportées sont alors terriblement élevés étant données les conditions de transport et le temps de trajet.
Outre l’urgence, les populations sont isolées des politiques de prévention, de vaccination ou de traitement : la moitié des enfants du monde qui décèdent avant l’âge de 5 ans sont nés en Afrique subsaharienne. Les femmes sont éloignées de tout planning familial, de moyens de contraception ou de suivi de leurs grossesses. Le niveau de risque encouru par une femme de succomber à des complications évitables ou pouvant être traitées, pendant la grossesse et l’accouchement, est deux fois plus élevé que dans les autres régions en développement avec 900 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes. L’Afrique subsaharienne est la région du monde où les femmes utilisent le moins de mode de contraception et planifient le moins leurs grossesses. Cela se traduit par des taux de fécondité très élevés chez les adolescentes ; 12 % des femmes ont leur première grossesse entre 15 et 19 ans, ce qui accentue les risques de mortalité maternelle. A cet âge le risque de mourir en couches est deux fois plus important que celui d’une femme d’une vingtaine d’années.
L’IFRTD (International Forum for Rural Transport and Development) a développé un réseau de recherche intitulé Mobilité et Santé pour partager la connaissance sur la base de différentes études sur l’accès aux soins. L’introduction de MIT, tel que la remorque de vélo (voir article de Patrick G. Kayemba, p 132) ou des civières à roue, permet de réduire les temps de transport jusqu’au centre de santé. La fourniture de bicyclettes au personnel soignant peut permettre d’augmenter leur aire de rayonnement, et être plus efficace que l’introduction de motos lorsque les services de réparation font défaut. Enfin, la mise à disposition de moyens de communication dans les centres de santé peut permettre de gagner du temps pour faire appel à des personnes compétentes, réaliser un premier diagnostic, conseiller les personnes assistant les malades ou faire venir un mode de transport.
Comme dans le domaine des services énergétiques, l’isolement et l’absence de mode de transport maintiennent les populations dans l’extrême pauvreté. Dans chacun de ces deux secteurs « transversaux », les propositions formulées s’appuient sur une comparaison avec la situation des pays développés. Pourtant, une approche centrée sur les besoins des populations locales peut offrir des progrès rapides nécessaires pour accomplir les objectifs des OMD en 2015 (8).
L’amélioration des conditions de transport dans les zones rurales d’Afrique subsaharienne passe par le développement d’un système de mobilité intermédiaire basé sur des infrastructures viables, l’accès à des modes de transport adaptés d’un côté, et le développement des services essentiels sur les territoires et l’amélioration de leurs propres mobilités de l’autre. Les conditions de vie des populations peuvent être grandement modifiées par un meilleur accès aux services de santé et d’éducation, une meilleure productivité agricole et des possibilités d’échanges induisant des revenus. Ce sont les femmes et les enfants, premières victimes de la pauvreté, qui tirent le plus grand profit de ces améliorations.
moyen de transport, infrastructure des transports
, Afrique subsaharienne
Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat
Sites internet :
• SSATP : Subsaharian Africa Transport Program Policy/Programme de politiques de transport en Afrique subsaharienne. go.worldbank.org/5GT0JCEDK0
• IFRTD : International Forum for Rural Transport and Development/Forum International pour le Transport Rural et le Développement. ifrtd.gn.apc.org
• ITDP : Institute for Transportation and Development Policy/Institut pour une Politique de Transport et Développement. www.itdp.org
• gTKP : Global Transport Knowledge Partnership. www.gtkp.com
• Mobilité et santé : www.mobilityandhealth.org
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