Le secteur des transports routiers croît rapidement, en particulier dans les mégalopoles des pays en développement ou en émergence, et contribue de plus en plus aux émissions polluantes à l’échelle globale - gaz à effet de serre (GES) – et à l’échelle locale - pollution atmosphérique urbaine. Or, malgré leur potentiel significatif de réduction des gaz à effet de serre et en même temps, des polluants locaux, les projets de transport ne représentent qu’une part marginale du Mécanisme de Développement Propre (MDP), tel que défi ni par le Protocole de Kyoto en vue de lutter contre les changements climatiques. À partir de l’analyse de projets d’implantation de « Bus Rapid Transit » (BRT), système de voies réservées pour les autobus et de desserte à haute fréquente, et de promotion des biocarburants dans le contexte du MDP, cet article identifie les enjeux entourant ces projets et les barrières les plus importantes liées au MDP.
Il est inspiré du projet “CURB-AIR” (2006-2008), financé par le Programme Asia Pro Eco de la Commission Européenne (1). Le projet visait l’amélioration de la qualité de l’air dans quatre villes asiatiques (Bangalore en Inde ; Bangkok en Thaïlande, Jakarta en Indonésie, Jinan en Chine) tout en contribuant à la réduction des GES par l’intermédiaire du MDP (2).
La situation du MDP appliqué aux transports
Le MDP est un mécanisme proposé par le Protocole de Kyoto permettant aux pays industrialisés d’atteindre leur cible de réduction des GES en investissant dans des projets de réduction dans les pays en développement, non obligés de réduire leurs propres émissions. Une condition importante de ces projets est qu’ils doivent contribuer au développement durable des pays hôtes.
En date du 1er novembre 2008, plus de 4 000 projets MDP sont en cours de validation, d’enregistrement (près de 300) ou ont déjà été enregistrés (presque 1 200 (3)). Les projets d’énergie renouvelables dominent le nombre de projets (63 %) et les réductions d’émissions estimées d’ici 2012 (35 %). Les projets transports ne représentent que 0,2 % du nombre total de projets et 0,1 % des réductions d’émission.
Seuls deux projets de transport à grande échelle ont été validés et enregistrés :
• BRT « Transmilenio » à Bogota (Colombie) – méthodologie AM31 ;
• Production de biodiesel à partir d’huile usée de cuisson à Pékin (Chine) – méthodologie AM47.
Plusieurs projets de transport sont en cours d’évaluation, tels que des projets de BRT à Cali et Pereira (Colombie), à Séoul (Corée du Sud), ou des projets à petite échelle (< 60 kt CO2 équivalent par an), tels que la substitution de diesel par du biodiesel à Bangalore (Inde), le développement d’un funiculaire à Medellín (Colombie), etc. (UNEP/RISO, 2008). Il est à noter que certains projets de transports concernant l’utilisation de biocarburants ne sont pas classés dans la catégorie « Transport » de la banque d’information UNEP/RISO, mais dans la catégorie « Biomasse ».
Le tableau 1 présente les méthodologies relatives au secteur des transports, acceptées ou en cours d’évaluation. Rappelons que pour qu’un projet soit validé comme MDP, il est possible soit d’utiliser une méthodologie déjà existante si les mêmes conditions s’appliquent (par exemple, les projets de BRT soumis en Colombie et en Corée du Sud, utilisent la même méthodologie que le projet Transmilenio), soit de développer et proposer une nouvelle méthodologie, ce qui peut représenter un processus long et complexe (voir l’exemple du projet Insurgentes, ci-dessous). On remarquera que beaucoup des projets de transport en cours d’évaluation utilisent soit la méthodologie AM31 (BRT), soit la méthodologie des projets à petite échelle AMS-III.C.
Caractéristiques des projets d’implantation de BRT (Bus Rapid Transit)
En comparaison aux autres options de transport en commun, les BRT présentent les avantages suivants :
• Coûts d’investissement de 4 à 20 fois moins élevés qu’un train léger de surface, et de 10 à 100 fois moins élevés qu’un métro ;
• Implantation possible sur une courte période (1-3 ans après conception) ;
• Flexibilité et adaptabilité à des contextes urbains variés.
Près de 40 villes disposent déjà d’un BRT et de nombreux projets sont en développement. Les conditions de succès des projets de BRT sont résumées dans la figure 1. On notera que plusieurs guides sur les BRT sont disponibles gratuitement sur internet. (4)
Le potentiel théorique des BRT comme projets MDP est élevé, étant donné le potentiel de réduction des GES élevé par projet (transfert modal, carburants à faibles émissions, meilleure efficacité par passager grâce à des taux d’occupation élevés). Le projet Transmilenio de Bogota (Colombie) (5) a été accepté comme projet MDP en 2006. Les revenus du MDP représentent environ 10 % des coûts totaux du projet. Ce projet est souvent cité comme référence, et plusieurs projets ont été soumis utilisant la même méthodologie AM31, tel qu’évoqué précédemment. Toutefois, cette méthodologie requiert de nombreuses données (transfert modal, impacts sur la circulation, émissions indirectes éventuelles, gains énergétiques réels, etc.). De plus, elle ne s’applique que dans le cas de l’implantation d’un BRT en remplacement d’un système de transport déjà existant. Elle ne s’applique pas à l’extension d’un système de transport urbain.
Le projet Insurgentes (Mexico) a été rejeté initialement (méthodologies NM-158 et NM-129) et une nouvelle méthodologie (NM-258) a été soumise. Les principales raisons du refus initial sont l’insuffisance de la démonstration du lien entre les réductions d’émissions et l’activité du projet (liée à la définition des limites du projet), des hypothèses inappropriées concernant le trafic futur et un calcul incomplet des risques d’émissions indirectes possibles.
Caractéristiques des projets de promotion des biocarburants
L’utilisation des biocarburants par le secteur des transports est au cœur de débats passionnés concernant la durabilité de cette option, et nous ne détaillerons pas ici cet aspect (que nous considérons toutefois comme crucial), traité dans ce numéro (article agrocarburants p 68 à 73). Il est clair que seule une évaluation au cas par cas, et sur le cycle de vie complet du biocarburant, permet de conclure de manière appropriée quant à la durabilité des projets en question. La figure 2 présente les facteurs de succès liés aux projets de promotion des biocarburants.
Évidemment, les biocarburants produits à partir des huiles usées ne soulèvent pas les mêmes difficultés de durabilité que les biocarburants à partir de biomasse agricole. Toutefois, leur potentiel est limité. Le projet de production de biodiesel à partir d’huiles usées de cuisson en Chine, visant le traitement de 50 000 tonnes d’huiles usées par an, pour une utilisation de biodiesel mélangé à 20 % au diesel conventionnel, a été accepté comme MDP (méthodologie AM47).
À l’inverse, le projet de production de bioéthanol à partir de canne à sucre à Khon Kaen (Thaïlande) a été rejeté, entre autres pour les raisons suivantes : nécessité de distinguer le bioéthanol produit à partir des surplus de canne à sucre, du bioéthanol produit à partir de canne à sucre aux fi ns spécifiques du transport ; aspects techniques à revoir (capacité des véhicules de fonctionner avec plus de 10 % de bioéthanol ?) ; risques d’exportation du bioéthanol ; évaluation insuffisante des émissions indirectes possibles.
La méthodologie des projets à petite échelle AMSIII.T, acceptée, s’applique aussi aux projets de promotion du biodiesel, et plusieurs autres méthodologies sont en cours d’évaluation (voir tableau 1).
Conclusion
Les barrières identifiées quant au développement de projets MDP d’implantation de BRT ou de promotion des biocarburants de type MDP sont, entre autres (6) :
• la complexité et les difficultés de développement et d’application de méthodologies appropriées : définition de la référence ; démonstration de l’additionalité des projets : étant donné les nombreuses retombées des projets de transport, il est particulièrement difficile de prouver l’additionnalité des projets ; nécessité de réaliser des analyses de cycle de vie, en particulier pour les biocarburants ; définition des limites du projet, plus difficile pour les sources d’émissions mobiles que pour les sources d’émissions stationnaires, et importance d’évaluer les effets indirects du projet, tels qu’une augmentation du trafic dans une autre zone urbaine, contribuant potentiellement aux émissions (les exigences face aux projets de transport semblent beaucoup plus sévères que pour d’autres projets, dont les effets indirects ne sont pas exigés de manière aussi sévère que pour les transports) ;
• la nécessité de mobiliser des investissements importants, en particulier pour les BRT ;
• la nécessité d’accès à une biomasse en quantité et qualité suffi sante pour la production de biocarburant ;
• des revenus de carbone espérés relativement faibles en comparaison avec les coûts totaux des projets.
Étant donné ces difficultés, les décideurs pourraient considérer que le MDP n’est pas un outil très approprié pour promouvoir des projets de transport durable et donc se rabattre sur d’autres sources de financement plus conventionnelles (“Transport is a too important sector to leave the problem to CDM”) (7). Toutefois, en considérant qu’un principe de base du MDP est la promotion du développement durable dans le pays hôte, le MDP reste une piste à explorer et améliorer. Ainsi, une meilleure quantification et comptabilisation de tous les cobénéfices des projets de transport (qualité de l’air local, développement économique, amélioration de la qualité de vie, santé, etc.), mais aussi les nouvelles voies du MDP, telles que le MDP programmatique (8) et la promotion des politiques et mesures de développement durables (“sustainable development policies and measures”) (9), sont des pistes envisageables pour promouvoir les projets de MDP appliqués au transport.
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Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat
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