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Sans intégration maghrébine, le gain escompté des accords avec l’UE est pratiquement nul

Ammar Belhimer

12 / 2010

Le Maghreb des chimères

Chaque Etat du Maghreb fait cavalier seul dans le cadre des accords séparés d’association.

L’ancien directeur général du FMI, M. Rodrigo de Rato, rappelait le 20 décembre 2007, à l’endroit des ministres des Finances et gouverneurs des banques centrales des pays de l’UMA ses «remarques relatives aux réformes du secteur financier et à l’intégration financière des pays du Maghreb». Au cours d’une rencontre à laquelle participaient également les délégations de la Libye et de la Mauritanie, il a rappelé «l’intérêt commun de tous les pays du Maghreb de travailler ensemble pour créer une zone de prospérité économique partagée». Un objectif d’autant plus fondé que le commerce régional ne représentait et ne représente malheureusement toujours que 2.5% du commerce total des cinq pays de la région. Et de solliciter «davantage de progrès sur des questions essentielles comme l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires, l’extension des préférences tarifaires accordés aux pays de l’Union européenne à l’espace intramaghrébin, et l’adoption des règles d’origine régionales afin de permettre au commerce de ces pays d’atteindre sa pleine capacité et d’amplifier son impact sur la croissance ».

En effet, le cinquième élément de l’accord conclu par l’Algérie est la promotion de l’intégration entre les pays du Maghreb. Cet objectif apparaît également dans les accords conclus par le Maroc et la Tunisie. Tous ces accords permettent un cumul des règles d’origine dans le cas des biens produits d’une part dans l’UE et d’autre part dans les trois pays du Maghreb. Il s’agit là d’un élément important visant à accroître l’intégration régionale au Maghreb. Toutefois, pour que les pays du Maghreb puissent bénéficier du cumul des règles d’origine en vertu de ces accords, les règles d’origine s’appliquant dans le commerce bilatéral entre ces pays doivent être identiques à celles s’appliquant en vertu des accords d’association. Pour l’instant, les règles d’origine des accords bilatéraux entre les trois pays du Maghreb sont identiques, mais diffèrent de celles des accords d’association. Les accords bilatéraux de libre-échange entre les trois pays du Maghreb comportent des règles d’origine similaires fondées sur le critère de 40 % de valeur locale ajoutée, sauf l’accord tarifaire entre la Tunisie et l’Algérie, qui prévoit un seuil de 50 %. Il reste donc à réviser les règles d’origine des accords bilatéraux pour bénéficier d’un cumul intégral ou partiel d’origine dans leur commerce avec l’Union européenne. Toutefois, les accords avec l’UE conclus par l’Algérie, le Maroc et la Tunisie déterminent l’origine en fonction d’une transformation suffisante de produits de base sans origine, autres que les produits provenant intégralement d’un pays unique.

«Un Maghreb bien intégré, avec un grand marché de plus de 80 millions de producteurs et de consommateurs, augmenterait sensiblement son attrait pour les investisseurs locaux et étrangers et aiderait la région à tirer profit des accords d’association conclus séparément avec l’Union européenne », avait soutenu M. Rodrigo de Rato.

L’intégration régionale est en réalité le seul moyen de tirer profit des accords conclus séparément avec l’UE. Outre qu’elle favorisera la création d’économies d’échelle pouvant compenser l’étroitesse des marchés intérieurs actuels, elle permettra de promouvoir les flux d’investissement dans la région. Si l’Algérie souhaite limiter les effets préjudiciables résultant de son accord avec l’UE — les experts du FMI aiment rappeler ici ce qu’ils appellent l’effet de «centre et rayons» qui favorise la localisation de nouveaux projets d’investissement au sein de l’UE —, il lui faudra supprimer, graduellement, les obstacles au commerce avec les pays avoisinants et avec le reste du monde. L’augmentation de la taille du marché résultant de la facilitation du commerce régional entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie devrait se traduire par une augmentation de l’investissement direct étranger en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Cet objectif d’intégration exige des pays du Maghreb qu’ils accélèrent la mise en œuvre du libre-commerce des biens et des services pour qu’il dépasse des produits ou des quantités particulières. Certaines estimations indiquent même que l’impact limité de l’Union du Maghreb peut s’expliquer en partie par des tentatives visant à réduire la protection sur une base produit par produit plutôt que sur une base générale. Sans Maghreb, le gain escompté des accords avec l’UE est pratiquement nul. Dix ans de partenariat n’ont fait qu’accroître le fossé des revenus entre pays de l’UE et nations du pourtour méditerranéen et les PIB des pays du Sud atteignent à peine 18% de ceux des Etats des Vingt- Cinq. La plupart des produits agricoles en provenance de la zone méditerranéenne, lorsqu’ils sont moins chers que les produits de l’UE, sont sujets aux restrictions de la politique agricole commune. Les barrières tarifaires des fruits et légumes varient selon les produits et les saisons, avec un prix plus élevé imposé durant les périodes où les importations communautaires sont susceptibles d’entrer en compétition avec les produits locaux. L’huile d’olive est un exemple de cette situation où les pays du Sud pourraient rivaliser avec les produits en provenance de l’Union européenne, nonobstant les subventions à hauteur de 2,3 milliards d’euros perçues par les producteurs d’huile d’olive des Vingt-Cinq.

Cette configuration n’est pas près de changer. Mais le partenariat n’a pas simplement échoué dans son volet agricole.

En matière de commerce et d’investissements directs étrangers (IDE), le processus de Barcelone a eu peu de conséquences. Cette discrimination s’étend à l’aide technique et financière. En 2003, Bruxelles attribuait environ 545 euros par citoyen à chaque pays entrant alors qu’elle ne donnait que 14 euros à ceux de la zone Euromed.

Le coût du non-Maghreb

L’UMA qui réunit pourtant tous les ingrédients d’une intégration régionale réussie, en quantité et en qualité, n’a pas abouti depuis 20 ans : l’UE intervient pour 40% du commerce extérieur des pays de l’UMA, les échanges intermaghrébins restent à un niveau symbolique de 2-3% à peine de leur commerce extérieur. Plus largement, le projet d’UPM est également plombé par les limites et l’extraversion de son espace économique qui couvre pourtant 22 Etats : il représente à peine 3% des échanges mondiaux et se caractérise par un flux Nord-Sud (environ 50% des échanges de la rive Sud) qui exclut la présence du Sud sur son marché (4% des échanges de la rive Nord). Ce qui autorise à dire que le Sud de l’UE est à l’Est et non là où l’indique la géographie. Une configuration dans laquelle la rive Sud de la Méditerranée fait figure de source d’approvisionnement énergétique et de bassin d’emploi (d’immigration choisie) et de consommation.

Le coût du non-Maghreb est évident pour tous. Le Premier ministre tunisien, M. Ghennouchi — rejoignant l’appréciation de Dominique Strauss-Kahn, directeur actuel général du FMI —, le déplore vivement en le mesurant à la perte de deux points de croissance pour son pays (de quoi vaincre un taux de chômage inquiétant officiellement évalué à 14% de la population active). Le point de vue marocain fait valoir une perte de trois à quatre milliards de dollars du fait de la fermeture de la frontière avec l’Algérie.

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