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Biotechnologie et dépossessions au Kenya

Khadija Sharife

10 / 2010

La situation agricole du Kenya est caractérisée par des cultures lucratives destinées à l’exportation tandis que le gouvernement sanctionne la marginalisation des groupes dépossédés et les famines qui en résultent, écrit Khadija Sharife. Les ressources qui devraient être utilisées de manière durable pour faire face à ces famines sont épuisées, estime Sharife, dans le cadre d’une tendance plus large et inquiétante de domination totale de la terre par les intérêts des élites, où « les droits de propriété qui pourraient être alloués à ceux qui ont besoin de terre pour la production alimentaire sont transférés à la place à ceux qui ont accès au capital (étranger) ou aux cercles politiques ».

Entre 1998 et 2000, alors que l’aide alimentaire représentait presque 25% des importations totales et que 23% des enfants étaient considérés comme présentant un déficit pondéral, 10% seulement des grandes exploitations agricoles kenyanes étaient productives. Le reste était à l’arrêt à des fins spéculatives, par exemple pour attirer des investissements étrangers. Une décennie plus tard, alors que l’horticulture est devenue l’industrie la plus viable du pays, exportant annuellement 450 000 tonnes (2009) de fruits, de fleurs et de légumes comme le maïs nain, les tomates ou les haricots verts, le gouvernement kenyan déclarait l’état d’urgence du fait de la famine entraînée par une sécheresse affectant un Kenyan sur dix, notamment les populations pastoralistes Maasai.

Historiquement, avant la marchandisation de la terre, les peuples Maasai structuraient leurs pâtures en fonction des phénomènes de sécheresse. La privatisation de la terre initiée par la Banque mondiale et le DfID (Département du développement international du Royaume-Uni) a vu l’appropriation de 40 à 60% des terres de pâture Maasai, enfermant ce peuple dans de petites enclaves de la Vallée du Rift kenyane, dont les rives du lac Naivasha, le troisième lac du pays et une aire traditionnelle de pâture. Les ranchs privés établis au bénéfice des investisseurs étrangers et de l’élite kenyane ne constituent que l’ultime acquisition « légale » en date négociée par des représentants politiques n’accordant qu’un regard méprisant à la marginalisation des Maasai.

Plus de 100 ans auparavant, les Maasai se sont trouvés dépossédés des droits sur leurs terres via la signature d’un accord colonial entre le gouvernement britannique, représenté par le Syndicat de l’Afrique de l’Est, entre autres entités de statut privé, et un « homme médecine » choisi apparemment au hasard, Laibon Leinana, lequel, ironiquement, n’était pas même investi de l’autorité de conclure un tel accord. Ce « chef » accorda aux colons les droits sur la terre des Maasai. Les Maasai, évincés progressivement de 90% de leurs terres traditionnelles, furent envoyés dans des terres annexées appelées « aires de protection » ou réserves – un terme qui rappelle les motivations écologiques alléguées aujourd’hui par la Banque mondiale et le DfID.

En 1911, après avoir perdu 131 000 hectares de terre, les Maasai furent à nouveau évincés de leur réserves lorsque 6 000 kilomètres carrés des réserves septentrionales furent soumis à appropriation privée. Ces zones constituent aujourd’hui l’épine dorsale de l’industrie kenyane des produits laitiers et bovins qui alimente principalement l’Europe. En 2004, Brookside Dairy Ltd et Delamere Farms Ltd dominaient ce secteur. Le père fondateur colonial de Delamere avait reçu 40 000 des 131 000 hectares des terres Maasai originelles. Ces jours-ci, les Maasai – la famine sévissant au Kenya, des ressources en eau épuisées (70% des puits en 2009), du bétail mort (150 000 en 2009) et des enfants mal nourris – sont confinés aux zones les plus sèches et aux pâturages les plus surexploités du pays et sont désormais incapables de suivre le rythme des avanies climatiques que subit le Kenya.

En fait, le Kenya dispose de terres agricoles parmi les meilleures au monde (Bowden), grâce à la combinaison de sols volcaniques fertiles et des conditions climatiques optimales, avec des températures de 20 à 25 degrés Celsius toute l’année.

Au moment de la famine, plus de 100 tonnes de fleurs d’origine extérieure et requérant une irrigation intensive continuaient à être exportées journellement, sans interruption, à destination des consommateurs néerlandais. En avril 2010, lorsque le volcan islandais entraîna la fermeture temporaire de l’espace aérien européen, l’Association des exportateurs de produits frais du Kenya (FPEAK), représentant des exportations de 1 000 tonnes de fruits et légumes chaque jour, annonça une perte de 3 millions de dollars US par nuit, à quoi s’ajoutait le dépérissement de 3 000 tonnes de fleurs. La floriculture industrielle kenyane, qui repose sur une trentaine d’exploitations commerciales, constitue l’une des deux sources principales de devises de l’agrobusiness, évaluée en 2009 à 1,3 milliard de dollars US. Le FPEAK, qui regroupe 150 exploitants, indique que 82% de ses exportations sont destinées à l’Union européenne. Parmi ces exportations, 88 millions de tonnes annuelles de fleurs, dont la production est principalement localisée dans la région fertile entourant le lac Naivasha.

En 2008, le Kenya Flower Council (Conseil des fleurs du Kenya) annonçait que la floriculture engrangeait 585 millions de dollars US, emmenée par des entreprises telles que Sher Agencies et Kenya Roses. Ces compagnies, qui exportent 97% de leurs fleurs fraîchement coupées vers l’Europe, dominent 25% du marché mondial, une tendance qui s’est faite jour au tournant du millénaire et qui ne s’est jamais démentie. Mais cette industrie, qui emploie 50 000 personnes, a aussi pour domaine d’activité secret l’exportation d’eau virtuelle. Grâce à son industrie de floriculture aujourd’hui quarantenaire, le lac n’occupe plus que 10 700 hectares, environ la moitié de sa surface initiale.

L’absence d’accords d’allocation des eaux permet aux entreprises horticoles basées autour du lac de s’autoréguler en termes de volume d’eau qu’elles pompent et exploitent, ainsi qu’en termes de quantité de pesticides toxiques, d’engrais et agents de fumigation et d’autres produits chimiques déversés dans le lac. Nombre de ces produits, comme le DDT et la dieldrine, sont désormais interdits d’utilisation dans le monde industrialisé.

Les ressources qui devraient être utilisées de manière durable pour faire face aux famines récurrentes que connaît le pays sont épuisées : les produits chimiques toxiques ont causé non seulement des problèmes de santé chroniques pour ceux qui vivent des eaux du lac, mais aussi l’eutrophisation, leur concentration excessive entraînant des floraisons d’algues qui font diminuer en retour le niveau d’oxygène dans l’eau, provoquant le massacre et la contamination massive des poissons, du bétail et même des humains. Le lac Naivasha, antérieurement l’un des sites d’observation d’oiseaux les plus prisés au niveau mondial, subit aujourd’hui la pollution, la surpopulation et la surexploitation.

Les rives du lac ont en effet connu une augmentation drastique du nombre de leurs résidents permanents au cours des quatre décennies écoulées de développement de la floriculture, passant de 7 000 habitants en 1970 à 300 000 en 2008, cette industrie constituant l’un des principaux employeurs primaire du Kenya. Ainsi qu’a déclaré le directeur des roses d’Oserian, une entreprise majeure de la zone : « Il va être difficile de sauvegarder l’environnement du lac. La population qui vit autour n’a pas d’équipements d’assainissement, les gens lavent leurs vêtements dans le lac. Ils viennent tous pour les exploitations de fleurs. »

Et ce sont les exploitations de fleurs et avec elles toute l’agriculture industrielle d’exportation, sur fond de politique foncière kenyane et de marchandisation de la terre systématiquement frappées de corruption et structurellement injuste, qui ont catalysé une grande partie de la faim que subit la population kenyane.

Aucun pays n’est uniformément fertile. Mais lorsque les épisodes de famines dans les régions les plus arides d’un pays sont une réalité récurrente, mettre partiellement à contribution les régions fertiles pour assurer la souveraineté alimentaire sembler relever de la logique la plus basique.

Ceci pourrait être accompli à court terme en repérant les saisons présentant des risques particuliers de famine pour les pastoralistes (août-octobre) et pour les autres régions (novembre-janvier pour les régions du Sud-est et côtières) et en les mettant en regard du calendrier agricole. Sur le long terme, cet objectif général pourrait être atteint à travers une série de réformes, portant sur des aspects proprement agricoles comme le développement d’infrastructures, l’exploitation des terres agricoles oisives et un soutien gouvernemental relatif en matière de coûts et de prix, mais aussi sur des facteurs plus généraux de politique économique comme le lancement d’une enquête sur les acquisitions de terres entachées de corruption, ce qui concernerait près de 300 000 titres selon un rapport sur le foncier produit en 2004 par Paul Nudungu. Le président en exercice du Kenya contrôle des terres estimées à au moins 12 000 hectares ; l’ancien président Daniel Arap Noi, par exemple, détenait 40 000 hectares, tandis que la famille de Jomo Kenyatta en contrôle plus de 400 000. Les registres papier, qui rendent les manipulations « politiques » particulièrement aisées, étaient encore la norme aussi récemment que 2008.

Les causes politiques de cette famine rampante et de plus en plus récurrente sont rarement appréhendées dans leur contexte politique réel. Les droits de propriété qui pourraient être alloués à ceux qui veulent des terres pour produire des aliments sont transférés à ceux qui peuvent se prévaloir d’un accès au capital (étranger) ou aux cercles politiques. En tant que tels, les terres oisives, les paysans sans terres, la sous-utilisation des terres, la pénurie artificielle de terres et les conflits sur la terres sont artificiellement produits, et même perpétués, afin de continuer à bénéficier de l’aide en cachant au regard les racines réelles de la famine. La propriété foncière communale a souvent été directement remplacée par la propriété privée, privilège des riches.

Parmi les questions cruciales qui doivent être soulevées de toute urgence, la mise en évidence de la pauvreté de la politique : qui sont ceux qui souffrent de la misère ? Où sont-ils localisés ? Quelle a été leur expérience historique ? Quel est leur niveau d’accès aux instruments économiques et politiques, depuis l’argent jusqu’aux titres de propriété ? Et, tout aussi important, dans quelle mesure sont-ils intentionnellement marginalisés ?

Selon une étude intitulée « Beyond land titling for sustainable management of agricultural land » (Au-delà de la titularisation foncière pour une gestion durable des terres agricoles), publiée dans le Journal of Agriculture and Rural Development en 2002, 70% des paysans habitants les districts semi-arides de Ndome, Ghazi et Taita-Taveta opéraient dans un contexte d’insécurité foncière, principalement du fait de l’absence de titres de propriété. Ce rapport indique que cette absence de titres de propriété entraîne une prolifération de conflits fonciers (70%). Environ 80% des paysans continuent à exploiter des terres en dispute, mais seulement un tiers de ces terres faisaient l’objet de mesures de conservation.

L’étude observe que pauvreté, agriculture et foncier sont étroitement liés au Kenya et suggère qu’une politique de titularisation foncière contribuerait à promouvoir quatre objectifs cruciaux qui contribuent à la lutte contre la pauvreté au niveau national : affectation du maximum de terres pour répondre aux besoins agricoles ; redistribution équitable de la terre ; mise en place d’approches efficaces pour maîtriser la dégradation des terres ; et préservation délibérée des terres agricoles.

D’où cette conclusion en forme d’appel : « Par défaut, l’usage prioritaire des meilleures terres devrait être la production alimentaire, étant donné l’importance de la sécurité alimentaire pour le développement économique et écologique du pays. Tout autre usage de ces terres devrait être mis en regard de sa contribution relative à l’objectif susmentionné. »

Ce qui ne manque pas de soulever la question suivante : Pourquoi le gouvernement a-t-il entériné le système foncier dont il a hérité ? Évoquant l’idée d’une taxe foncière, le Secrétaire permanent aux terres Dorothy Angote déclarait que le colonialisme « a introduit un concept exogène de relations de propriétés au Kenya… Nous voulons que les Kenyans renoncent à vendre ou posséder la terre comme fin en soi. Les gens font comme si l’acquisition de terres était une accumulation de médailles à porter sur la poitrine. »

Au Kenya, ceux qui sont appelés à résoudre les problèmes sont aussi les hommes les plus puissants du pays et ses principaux propriétaires fonciers. Au lieu de mettre en œuvre une réforme foncière équitable, de s’attaquer à la corruption et de contrôler les industries exploitatrices, ils ont séparé la faim de son contexte : la solution qu’ils proposent est la généralisation des cultures génétiquement modifiées et particulièrement du maïs résistant à la sécheresse. Le maïs, cultivé dans plus de 10 pays, constitue un aliment de base pour plus de 300 millions d’Africains. La technologie de Monsanto facilite un processus par lequel « les feuilles du maïs arrivé à maturité se retroussent dans des conditions de sécheresse », après qu’un morceau donné d’ADN du bacillus subtilis (cspB) ait été introduit dans des semence ordinaires de maïs. Résultat ? Moins d’eau perdue par évaporation, rendant la plante plus résistance aux saisons sèches destructrices que connaît le Kenya.

Grâce à la philanthropie d’entreprise de la Fondation Bill et Melinda Gates, l’un des aspects les plus contentieux habituellement associé au déploiement des biotechnologies en Afrique, la question des royalties, est contourné à travers la distribution de semences « libres de droits ». Pour l’instant du moins. Selon le fournisseur de semences Monsanto, « Nous ne sommes pas ici à des fins de charité. Les petits paysans que nous aidons aujourd’hui ne sont peut-être pas de bons clients. Mais dans dix ans, ils pourraient bien être de bons clients. »

La stratégie de Monsanto a déjà porté ses fruits. En 2007, 87% des zones cultivées globalement en hybrides ou en plantes génétiquement modifiées, y compris les semences et leurs traits, étaient contrôlés par l’entreprise. Celle-ci représentait 23% du marché mondial des semences propriétaires. Les dix principales firmes semencières contrôlent les deux tiers de ce marché au niveau global. Monsanto, DuPont et Syngenta contrôlent 70% du marché global du maïs, y compris celui de l’Afrique.

« On assiste à une entreprise délibérée de transfert de technologies controversées comme le génie génétique en Afrique dans le but de coloniser notre sécurité/souveraineté alimentaire. », déclare Anna Maina, de l’Africa Biodiversity Group au Kenya. « On assiste aussi à des efforts pour harmoniser les lois sur la biosécurité, lesquelles visent à ouvrir les portes à la pénétration des OGM en Afrique alors même que leur innocuité est mise en doute dans le monde entier » (entretien avec l’auteure).

« À travers USAID, en étroite collaboration avec l’industrie biotech et divers groupes impliqués dans la recherche sur le génie génétique dans le monde développé, le gouvernement américain finance diverses initiatives sur la régulation et la prise de décisions en matière de biosécurité en Afrique qui, si elles réussissent, entraîneront l’adoption de régulations et de procédures de supervision minimales dans ce domaine. », ajoute Mariam Mayet, de l’Africa Centre for Biosafety.

À quel prix ? D’ici 2014, l’industrie agrochimique globale, dominée par une poignée de méga-firmes verticalement intégrées pourrait voir sa valeur s’élever à 196 milliards de dollars US, générés pour la plupart grâce aux besoins structurels des semences OGM. Les engrais, importés par les pays en développement à un prix exorbitant, représenteraient 57% des profits. Les intérêts acquis étroitement imbriqués qui lient les semences OGM et l’industrie agrochimique, intimement mêlés au « marché de l’aide », ont permis à Monsanto de tirer profit de la crise alimentaire mondiale de 2008 qui a poussé 100 millions de personnes sous le seuil de pauvreté lorsque les aliments de base comme le blé ou le maïs sont devenus trop onéreux pour leurs budgets limités. Monsanto a annoncé une augmentation de ses profits de 1,44 à 2,22 milliards de dollars US.

En 2008, Miguel d’Escoto Brockmann, président de l’Assemblée générale des Nations unies, commenta ainsi la situation : « Le but essentiel de l’alimentation, qui est de nourrir les gens, a été subordonné aux objectifs économiques d’une poignée d’entreprises multinationales qui monopolisent tous les aspects de la production alimentaire, depuis les semences jusqu’aux principales chaînes de distribution, et elles ont été les premières bénéficiaires de la crise mondiale. »

« Il suffit de regarder les chiffres de 2007, lorsque la crise alimentaire mondiale a commencé, pour voir que des entreprises comme Monsanto et Cargill, qui contrôlent le marché des céréales, ont vu leurs profits augmenter de 45 et 60% respectivement. Les premières entreprises d’engrais chimiques, comme Mosaic Corporation, une filiale de Cargill, ont doublé leurs profits en un seule année. »

L’exemple du Malawi est particulièrement instructif. Comme au Kenya, l’héritage du système foncier colonial a été accepté et reconduit, créant les conditions de la marchandisation et de la privatisation de la terre, ainsi que la marginalisation des habitants via l’expansion des grands domaines agricoles commerciaux. Cela donna naissance non seulement à une nouvelle classe de peuples sans terre, mais les meilleures ressources écosystémiques furent réservées à des secteurs comme le tabac, le thé, le café et autres cultures commerciales d’exportation, sujettes à la dépréciation artificielle sur le marché, à la libéralisation et à l’endettement. Quatre décennies après l’indépendance, les acquisitions de terres favorables aux domaines commerciaux et aux élites politiques se sont traduites par le transfert d’un million d’hectares de terres communales, avec pour résultat de plonger la population rurale du Malawi dans la pauvreté, pour les mêmes causes que celles qui affectent les Maasai du Kenya.

Sur les 9,4 millions d’hectares de terres du pays, 5,3 millions, soit 56%, sont cultivables. Le Sud fertile est habité par des petits cultivateurs qui n’ont accès en moyenne qu’à 0,33 hectare de terre. Les paysans du Sud expliquent qu’en 2009, alors même qu’il était impossible de trouver la plus petite trace de maïs dans leur district, le gouvernement avait annoncé des récoltes record, suffisantes pour en exporter une partie. La raison alléguée était politique. Le Malawi devait demeurer « autosuffisant » en denrées de base. Les années 80 et l’introduction des programmes d’ajustement structurel ont marqué la fin des subventions, du contrôle des prix et des dévaluations. Depuis 1990, l’espérance de vie dans le pays a baissé de près d’une décennie, s’établissant à 40 ans. « En 2007-2008, le programme a distribué 217 millions de tonnes d’engrais subventionné. », révèle GRAIN.

« Le grand gagnant ici est Monsanto, qui détient plus de 50% du marché des semences hybrides au Malawi. ». En 2007, les subventions aux semences et aux engrais représentaient un coût de 70 millions de dollars US, lequel a plus que doublé d’une année sur l’autre, s’élevant à 186 millions en 2008-2009 via le programme gouvernemental de subvention des intrants agricoles, ciblant 1,7 millions de petits cultivateurs et courant de novembre à avril.

Selon Alick Nkhoma, représentant de la FAO, « les pluies relativement bonnes et le programme de subvention des intrants ont énormément contribué (à la récolte de maïs), d’autant plus que ces intrants étaient alors très chers, les semis intervenant à un moment où le prix du pétrole atteignait des records. »

La Fondation Rockefeller, principal co-fondatrice et collaboratrice de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Alliance for a Green Revolution in Africa ou AGRA), non seulement tient ses milliards de dollars du pétrole (Standard Oil), mais fut un architecte déterminant du concept de « révolution verte » formulé dans les années 60 par certains organes philanthropiques d’entreprises, et notamment par Norman Borlaug, scientifique employé par DuPont. L’expression fut inventée par William Gaud, ancien vice-président exécutif de la Société financière internationale (SFI-IFC) de la Banque mondiale et également ancien de l’Agence pour le développement international des États-Unis (USAID). Celui-ci exprima son soutien aux OGM en ces termes : « Ces [technologies de génie génétique], avec d’autres innovations dans le domaine agricole, contiennent les ferments d’une nouvelle révolution… Je l’appelle la Révolution Verte. » Le résultat fut la création du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR), co-opté par la Banque mondiale dès les années 70 et rejoint quelques décennies plus tard par la Fondation Gates. Le CGIAR constitue la banque de gènes la plus grande du monde. Pendant ce temps, « les minutes d’une rencontre entre les agences d’aide et des fonctionnaires d’USAID, ayant fait l’objet d’une fuite, ont révélé comment ces derniers pouvaient jouer des muscles sous des apparences d’aide au développement : ces agences se voient ordonner d’informer immédiatement la mission locale d’USAID si les gouvernements bénéficiaires posent des questions sur la teneur en OGM des colis d’aide alimentaire. Les mesures prises dans ce type de situation par USAID ont été perçues par les fonctionnaires africains comme des sanctions de diverses formes, pouvant aller jusqu’à des restrictions sur les prêts consentis par des agences multilatérales comme la Banque mondiale. »

USAID apparaît donc à l’avant-garde d’une campagne de marketing orchestrée par les États-Unis pour introduire les aliments génétiquement modifiés dans le monde en développement. Cette organisation a clairement affiché qu’elle percevait son rôle comme celui « d’intégrer la biotechnologie dans les systèmes alimentaires locaux et d’étendre cette technologie dans toutes les régions africaines », rappelle Mayet (ACB : 2004).

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que Monsanto ait créé et financé divers programmes (dont le très respectable programme pour chercheurs en l’honneur de Borlaug) ciblant quelques-uns des plus grands marchés du monde.

Toutefois, si cela augure de jours heureux pour les firmes pétrolières et agrochimiques, cette bénédiction ne s’étend pas forcément aux simples citoyens.

Nkhoma révéla que le programme de subvention, soutenu par le DfID britannique, n’était pas viable du fait de son coût. Même si la récolte record avait vu augmenter la quantité de maïs, elle n’avait pas rendu le maïs moins cher.

Erica Maganga, secrétaire de l’unité consacré à l’agriculture et à la sécurité alimentaire du Malawi, fit savoir que les engrais biologiques et l’agriculture durable étaient désormais à l’étude.

Comme le fit remarquer sous couvert d’anonymat à l’IRIN un spécialiste des questions de sécurité alimentaire, augmenter le volume de maïs n’était pas très compliqué si l’on ciblait les exploitants agricoles commerciaux, capables de doubler leur production. Même si le programme de subvention gouvernementale avait correctement identifié une partie du problème, la solution mise en place a été configurée en fonction des intérêts des entreprises et des acteurs privés.

Le moyen ? Les droits de propriété intellectuelle (DPI), lesquels permettent à Monsanto d’engager à volonté des poursuites judiciaires pour atteinte à ses brevets et de déposséder les paysans du contrôle et de la propriété de leurs cultures. Le partenaire silencieux et bienveillant de Monsanto, Bill Gates, a amassé sa fortune grâce aux DPI et est demeuré l’un de leurs promoteurs les plus infatigables dans les allées du pouvoir, aussi bien gouvernementales qu’entrepreneuriales. En 1999, par exemple, selon une enquête de Forbes, trois des quatre personnes les plus riches du monde devaient leur fortune aux DPI de Microsoft.

Étant donné que les droits de propriété intellectuelle sont aujourd’hui gérés par des entités d’entreprises basées dans des juridictions secrètes, mieux connues sous le nom de paradis fiscaux – à l’exemple de Round Island One, l’entité à plusieurs milliards de dollars de Microsoft basée en Irlande –, il est extrêmement peu probable que les lien entre Microsoft et une entité d’entreprise bénéficiaire appartenant à Monsanto soient jamais mis au jour. Ceci parce que non seulement ces entreprises sont en mesure d’éviter de payer des milliards de dollars d’impôt en changeant de juridiction fiscale et en blanchissant leurs profits, mais parce que les comptes d’entreprises, leurs bénéficiaires et leurs propriétaires n’ont même pas à être rendus publics, grâce à des régulations délibérément opaques destinées à servir les intérêts des clients étrangers.

L’entreprise Monsanto elle-même est enregistrée dans l’une des principales juridictions secrètes du monde, l’État du Delaware aux États-Unis.

Plus de 80% de la production agricole domestique du Malawi est assurée par des petits paysans – lesquels représentent un marché que Monsanto n’a pas encore pu exploiter. En 2005, Monsanto a fait don de 700 tonnes métriques de maïs hybride à travers un réseau d’organisations non gouvernementales (ONG).

En tant que telle, l’aide est un instrument crucial de cette stratégie – laquelle est à la base du Lugan-Casey Global Food Security Act de 2009 soutenu par le Comité des relations étrangères du Sénat américain – et plus précisément le transfert de technologie via le soutien au développement agricole par le biais d’agences d’aide restructurées appliquant un programme de long terme. Selon le Sénateur Lugan, la sécurité nationale des États-Unis dépend pour partie de la sécurité alimentaire de pays comme le Soudan ou l’Irak – lesquels sont aussi d’importants marchés encore inexploités. Pour soutenir ce projet de loi devant le Comité des relations étrangères du Sénat américain, une véritable armée de personnalités politiques était venue selon AGRA Watch, parmi lesquelles Bill Clinton, l’un de plus grands promoteurs d’OGM de Washington, et Bill Gates. Lugan indiqua à cette occasion être « enthousiasmé par la vision de la Fondation Bill et Melinda Gates ».

Les « généreux investissements » notés par Lugan et méticuleusement documentés par AGRA Watch vont loin. La Fondation Gates, par exemple, a alloué plusieurs millions à une organisation qui compte Monsanto parmi ses principaux fondateurs : le Donald Danforth Plant Science Center. Il a été révélé que la Fondation Gates détenait 500 000 actions de Monsanto, mais ce conflit d’intérêt ne représente que la partie visible de l’iceberg.

Au Kenya, 70% des subventions allouées par la Fondation Gates via l’AGRA – gérée jusqu’en 2006 en partenariat avec la Fondation Rockefeller, considérée comme l’image de marque philanthropique de la Fondation qui en est le financeur principal – étaient directement liées à Monsanto.

Parmi les autres exemples de leurs relations étroites évoquées par AGRA Watch, le pantouflage. Ainsi le Dr Rob Horch, « anciennement vice-président des partenariats de développement international à Monsanto, et actuellement directeur de programmes principal du Gates Agricultural Development Program ».

Au cours de ses 25 ans de carrière à Monsanto, Horch fit partie de l’équipe scientifique qui inventa le RoundUp, l’herbicide à plusieurs milliards de dollars de la compagnie, attaché à toutes ses semences propriétaires.

Le genre de philanthropie pratiqué par la Fondation Gates – susciter des opportunités de pénétration de nouveaux marchés en développement pour les entreprises – n’a rien de nouveau. En 2007, le Los Angeles Times décrivait comment les « investissements ni vus ni connus » de la Fondation (qui pèsent actuellement 33 milliards de dollars US) allaient pour « au moins 41% à des entreprises allant à l’encontre des objectifs charitables de la fondation et de sa philosophie socialement engagée ».

Diverses compagnies et fondations se lancent sur ce créneau, à travers des initiatives comme le « maïs efficient en eau pour l’Afrique » (Water Efficient Maize for Africa ou WEMA) de l’African Agricultural Technology Foundation, financée par les entreprises. Les acteurs impliqués vont de Warren Buffet et Jeffrey Sachs à la FAO, au Programme alimentaire mondial et au gouvernement américain, par l’intermédiaire de la Millenium Challenge Corporation. « La Fondation Rockefeller est un organe philanthropique impliqué dans l’AGRA. Les autres parties prenantes sont des firmes agrochimiques internationales comme Yara et Monsanto, des compagnies locales de semences et d’engrais, ainsi que des banques comme la Standard Bank et l’Equity Bank (Kenya). », explique Maina.

« L’importation illégale de plus de 280 000 tonnes de maïs génétiquement modifié au Kenya alors même que les conditions légales ne le permettaient pas démontre un effort délibéré de contamination des variétés locales. », ajoute-t-elle. Le maïs OGM était fourni par l’Afrique du Sud, tête de pont des firmes agrochimiques comme Monsanto. En 2009, lorsque le maïs génétiquement modifié refusa de pousser pour des centaines de paysans, avec un taux d’échec des cultures de près de 80% chez certains cultivateurs (Africa Centre Biosafety), Monsanto refusa de rembourser les paysans qui avaient reçu leurs semences libres de droits.

Il existe pourtant un grand nombre de solutions socialement et écologiquement durables, centrées sur les citoyens. Une telle solution, mise en avant par Greenpeace (2010) est la variété de maïs conventionnelle ZM521 : « Les scientifiques du CIMMYT [Centre international d’amélioration du maïs et du blé] se sont basés sur des milliers de variétés locales de maïs contenues dans des banques de semences, lesquelles ont été constituées au cours de décennies d’échanges libres de semences de terroir tout autour de la planète (Charles, 2001). A travers plusieurs cycles de croisement et de sélection, ces scientifiques ont mis au jour les traits génétiques auparavant ignorés qui permettent au maïs de résister à la sécheresse. ZM521 est une variété de maïs qui non seulement manifeste une remarquable vigueur lorsqu’elle est affectée par le manque d’eau, mais dont le rendement est aussi de 30 à 50% supérieur à celui des variétés traditionnelles dans des conditions de sécheresse. »

« Un autre avantage pour les pauvres du ZM521 est que c’est une variété à pollinisation ouverte. Au contraire des variétés hybrides ou génétiquement modifiées de maïs, les semences des variétés à pollinisation ouverte peuvent être sauvegardées et plantées l’année suivante. Cela représente un avantage pour les petits paysans qui sont souvent confrontés à des contraintes monétaires lorsqu’ils doivent acheter des semences. Les semences de ZM521 sont disponibles gratuitement pour les distributeurs de semences tout autour du monde, et dans plusieurs pays africains, dont l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, le ZM521 commence à être cultivé dans les parcelles des paysans. »

L’innocuité des cultures génétiquement modifiées est souvent mise en doute par les scientifiques qui ne sont pas rémunérés par les entreprises. Ainsi que l’a révélé le magazine Scientific American, « les scientifiques doivent demander la permission des entreprises avant de publier des recherches indépendantes sur les cultures génétiquement modifiées. Il est impossible de vérifier si la performance de ces cultures correspond effectivement à celle qui est affichée par ces compagnies. Celles-ci se sont en effet dotées d’un droit de veto sur les chercheurs indépendants. »

Ces mesures sont prises dans le but de protéger le mythe à la base de tous les autres, celui selon lequel les aliments hybrides ou génétiquement modifiés sont aussi sûrs que les aliments naturels. Il n’y a évidemment aucune régulation ni aucune recherche pour s’assurer qu’il en va effectivement ainsi – si ce n’est l’autorégulation.

À quoi bon alors des solutions telles que les semences propriétaires, les produits phytosanitaires destructeurs ou les projets d’irrigation intensifs et les méga-barrages comme celui de Gibe III, déjà reconnu comme une source de bouleversement majeur pour le lac Turkana dans le Nord du Kenya, affectant les conditions de vie de 500 000 personnes ?

Même si le Kenya reçoit depuis longtemps du maïs génétiquement modifié, selon une source, « des essais sous serre sont déjà en cours à l’Université Kenyatta de Nairobi, et ils sont presque prêts » pour des essais en champ.

« L’objectif est le profit, toujours plus de profit. », résume Maina.

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