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États-Unis : vers une norme sur l’intensité carbone des carburants ?

Daniel M. Kammen

Aux États-Unis (1), de la fin des années 70 au milieu des années 80, la campagne environnementale la plus visible en ce qui concerne les industries des transports et des carburants avait pour objectif la suppression des additifs plombés dans l’essence – c’était l’époque de « la chasse au plomb ». En dépit d’incertitudes initiales et de réticences motivées par la double crainte d’une flambée des prix et d’une baisse des performances des véhicules, la transition vers le sans plomb se révéla remarquablement efficace et rapide. La baisse du niveau de plomb dans l’air eut comme bénéfice direct pour la population américaine une chute de 75% des concentrations de plomb dans le sang. (2)

Préalablement à l’abandon progressif du plomb, le Congrès américain, répondant à l’embargo arabe sur le pétrole en 1973, avait initié avec la réglementation CAFE (« Corporate Average Fuel Economy » (3)) un effort soutenu pour améliorer l’efficacité énergétique des véhicules. Cet effort a permis d’augmenter de plus de 25% le nombre de miles parcourus avec un gallon d’essence (4). En matière de transports, c’était le bon vieux temps : des objectifs ambitieux mais réalistes étaient affichés, mis en œuvre puis adaptés en fonction de l’évolution du contexte technologique, économique et environnemental. Surtout, ces objectifs créaient un précédent dans le domaine du possible.

Aujourd’hui, l’innovation technologique et les impératifs économiques et environnementaux viennent encore modifier la donne en matière d’efficacité des véhicules. De nouveaux efforts sont nécessaires, qui réveillent la mémoire de la chasse au plomb. Mais il s’agit cette fois de « chasser » le carbone des carburants utilisés par les transports. Et c’est l’adoption d’une norme sur le contenu carbone de ces carburants (« Low-Carbon Fuel Standard ») qui mettra les chercheurs tournés vers l’avenir au service d’objectifs ambitieux de réduction d’émissions.

À la base de cette approche, une idée simple et habile : cibler l’intensité carbone des carburants, c’est-à-dire la quantité de gaz à effet de serre générée pour chaque unité énergétique délivrée au véhicule. En Californie, par exemple, l’Executive order S-1-07 signé en janvier 2007 par le gouverneur Arnold Schwarzenegger, fixe pour objectif à l’horizon 2020 une réduction de 10% de l’intensité carbone des carburants (5). Publiée huit mois plus tard par un groupement incluant des chercheurs de l’université de Berkeley, une étude technique fait le point sur les carburants à faible teneur en carbone qui pourraient être utilisés pour remplir cet objectif (6). Fondée sur l’analyse du cycle de vie des différents types de carburant, cette étude tient compte de l’empreinte écologique de la production, du transport, du stockage et de l’utilisation du carburant.

Dans le cadre d’une réglementation relative à la teneur en carbone, les producteurs de carburants vont s’employer à réduire l’Intensité Effet de Serre (IES) de leurs produits, défi nie au moyen d’une unité de mesure normalisée : l’équivalent en grammes de CO2 par mégajoule de carburant consommé par le véhicule (gCO2e/MJ). Seront pris en compte aussi bien les émissions provenant du véhicule que des paramètres tels que les changements d’affectation des sols entraînés par la production de biocarburants. De fait, tous les biocarburants ne naissent pas égaux : l’éthanol de maïs distillé dans une raffinerie alimentée au charbon présente par exemple un bilan qui le rend globalement pire que l’essence (7). En revanche, certains biocarburants à base de cellulose sont potentiellement porteurs de progrès significatifs en termes d’IES.

Selon l’étude précédemment évoquée, le contenu carbone du super sans plomb est de 85 à 92 gCO2e/MJ ; celui du gaz naturel s’établit à 80 gCO2e/MJ ; pour l’électricité alimentant un véhicule électrique en Californie, il est de 27 gCO2e/MJ ; l’éthanol cellulosique produit à partir de déchets municipaux solides a quant à lui un contenu carbone de 5 gCO2e/MJ (le modèle « ERG Biofuel Analysis Meta-Model » à partir duquel ont été établis ces résultats est disponible en ligne (8)).

Des indicateurs précis et directement liés aux objectifs poursuivis sont ainsi à la disposition des législateurs. Ces derniers peuvent dès lors édicter des règles relatives à la proportion de chaque carburant dans les ventes au niveau d’un État ou de la nation, puis ajuster ces règles au fi l du temps pour obtenir une baisse graduelle de l’intensité carbone moyenne. Ainsi aménagée, cette baisse reste compatible avec l’usage par l’économie d’une certaine proportion de carburants traditionnels, et ce pendant un temps donné. La flexibilité qui en résulte facilite la transition vers les nouvelles normes et leur mise en œuvre.

L’option californienne d’une réglementation de l’intensité carbone du carburant est une première mondiale (9). À ce titre, elle est susceptible de devenir une feuille de route pour tous10. Pendant la campagne présidentielle américaine, Barack Obama comme John McCain en ont d’ailleurs approuvé le principe (11). Ce dernier reste toutefois à traduire dans la législation fédérale, [même si de nombreuses propositions en ce sens ont déjà été déposées au cours de l’année 2007 (12)]. […]

L’approche par l’intensité carbone des carburants présente plusieurs avantages. Elle permet de fixer des niveaux de performance et d’ouvrir le marché des carburants automobiles à de nouveaux entrants, tout en écartant le risque d’un verrouillage politique en faveur de tel ou tel programme ou technologie. Qu’ils produisent des carburants liquides tels que diesel, essence et biocarburants ou de l’électricité renouvelable utilisable pour recharger les véhicules hybrides, les différents acteurs en compétition pour les dollars du transport sont à égalité. Or la libre concurrence et le jeu des forces du marché sont essentiels pour encourager l’innovation dont découlera une baisse des coûts.

Une analogie frappante peut être faite avec le secteur de la production électrique fixe. Aux États-Unis, plus de 29 États ont imposé un pourcentage minimum de renouvelables dans l’offre électrique, via l’adoption de normes connues sous le nom de « Renewable Energy Portfolio Standards ». L’approche est similaire à celle proposée pour les transports, puisque l’objectif est de réduire progressivement le contenu carbone moyen du kWh d’électricité produit, en augmentant au fi l du temps le recours aux renouvelables.

Cette impulsion globale est orientée dans le sens d’une évolution constante vers des carburants plus propres, et il n’y a aucune raison pour que cette évolution se limite à l’élimination des émissions de gaz à effet de serre. Il existe en effet en matière de carburants d’autres paramètres à mesurer et à optimiser. En ce qui concerne les biocarburants par exemple, il faut prendre en compte des facteurs aussi cruciaux que le gaspillage de l’eau, la pollution des sols et des cours d’eau avec les engrais azotés, l’érosion des anciennes jachères, la concurrence avec la production alimentaire et les conséquences humaines liées à l’implantation et au voisinage des bio-raffineries : autant d’éléments importants mais de plus en plus difficiles à quantifier. Et il faut également, dans la mesure où les terres cultivables aux États-Unis sont détournées de la production alimentaire, considérer les changements indirects d’affectation des sols qui en découlent à travers le monde.

Reste enfin une question en suspens : comment la réglementation de l’intensité carbone des carburants va-t-elle interagir avec les marchés d’émissions, en particulier au niveau des prix ? À l’échelle régionale, en effet, des systèmes de permis d’émission négociables se mettent en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, à l’image de la « Western Climate Initiative » (13) associant l’Arizona, la Californie, le Nouveau-Mexique, l’Oregon et l’État de Washington, ou de la « Regional Greenhouse Gas Initiative » (14) initiée par les États de la côté est. D’autres projets sont d’ailleurs à l’étude aux États-Unis, sans oublier le Chigago Climate Exchange (15), ni les marchés du même type créés en Europe et ailleurs dans le monde.

Si ces démarches visant à donner un coût au carbone sont fructueuses, les réglementations sectorielles devront évoluer pour agir là où le prix du carbone est trop faible pour initier un changement, mais aussi pour répondre aux enjeux écologiques et culturels du développement durable. La logique voudrait en effet que la régulation de l’intensité carbone des carburants connaisse une évolution vers l’établissement d’une norme sur les carburants durables.

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1 - Traduit et adapté de l’américain à partir de Daniel M. Kammen, « Reducing emissions in transportation fuels », Bulletin of Atomic Scientists, 13 march 2008
2 - V. M. Thomas, The elimination of lead in gasoline, Annu. Rev. Energy Environ. 1995. 20:301-24
3 - CAFE overwiew – FAQ : www.nhtsa.dot.gov/cars/rules/cafe/overview.htm
4 - Un mile = 1,609 kilomètre ; un gallon = 3,79 litres (NdT)
5 - Executive Order S-01-07 by the Governor of the State of California, 01/18/2007
6 - University of California, A Low-Carbon Fuel Standard for California – Part I : Technical Analysis, Project managers : Alexander E. Farrell (UC Berkeley) & David Sperling (UC Davis), August 2007
7 - Alexander E. Farrell et al., Ethanol Can Contribute to Energy and Environmental Goals, Science, vol. 311, 27 January 2006
8 - ERG Biofuel Analysis Meta-Model v1.1 - rael.berkeley.edu/ebamm/
9 - Environmental Science and Technology News : World’s fi rst low-carbon fuel provision
10 - Environmental Science and Technology Policy News, September 5, 2007 : The carbon footprint of transportation fuels
11 - Reuters, June 12, 2007 : Barack Obama endorses low carbon fuel standard
12 - janvier 2007 : « Global Warming Pollution Reduction Act S 309 » du Sénateur Indépendant Bernard Sanders (Vermont) et de la Sénatrice Démocrate Barbara Boxer (Californie) / Mars 2007 : « Clean Fuel and Vehicles Act of 2007 S 1073 » des Sénatrices Républicaines du Maine Susan Collins et Olympia Snowe, associées avec la Sénatrice Démocrate de Californie Diane Feinstein, / Mai 2007 : « Advanced Clean Fuel Act of 2007 S 1279 » des Sénatrices Barbara Boxer (Démocrate, Californie) et Susan Collins (Républicaine, Maine) en association avec le Sénateur Indépendant du Connecticut, Joe Liberman / Mai 2007 : « National Low Carbon Fuel Standard Act of 2007 S 1324 » des Sénateurs Démocrates Barack Obama (Illinois), Richard Durbin (Illinois) et Thomas Harkin (Iowa). À noter également, du côté de la Chambre des Représentants, la proposition « HR 2215 - To provide a reduction in the aggregate greenhouse gas emissions per unit of energy consumed by vehicles and aircraft, and for other purposes » du Démocrate Jay Inslee (Washington).
13 – www.westernclimateinitiative.org
14 - www.rggi.org/home
15 - www.chicagoclimateexchange.com

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