La crise mondiale alimentaire est ressentie dans toutes les parties du monde et par toutes les classes sociales. Toutefois, ce sont les familles les plus pauvres des pays les moins développés qui pâtissent, de manière plus drastique et immédiate, d’une augmentation des prix. Les prévisions de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) révèlent que les prix resteront élevés durant, au moins, plus de dix ans (ce qui représente un risque pour la vie de 1 milliard d’individus pauvres dans le monde entier).
Les manières d’affronter la crise sont à l’ordre du jour dans le débat national, et surtout, le rôle important que le Brésil pourrait jouer face à ce scénario global (étant donné sa capacité de production et l’exploitation des denrées alimentaires).
Toutefois, on a très peu entendu parler des impacts de la crise sur la classe la plus pauvre de la population brésilienne. De même, peu sont les stratégies proposées présentant des solutions capables de minimiser les effets de la récente envolée des prix des denrées alimentaires sur les familles qui, même avant la crise, se trouvaient déjà dans des situations d’insécurité alimentaire (IA).
Il convient de réfléchir à l’éventualité de la disparition de certains avantages alimentaires obtenus au moyen du Programme Bolsa Familia (PBF—Programme de subvention pour la famille) (crée, entre autres objectifs, pour lutter contre le problème de la faim), si des actions stratégiques à moyen et long terme contre une telle crise ne sont pas envisagées. Et, également, des actions plus immédiates capables de minimiser leurs effets sur la population la plus pauvre.
Sur la base d’une telle réflexion, les données de la recherche réalisée par l’Ibase (1) permettent une connaissance plus approfondie des conditions de sécurité alimentaire de ces familles, des mesures sur l’Echelle Brésilienne d’Insécurité Alimentaire (Ebia), du profil d’accès à l’alimentation et des répercutions du programme dans l’accès et la consommation alimentaire des personnes bénéficiaires.
Selon la recherche, 6 100 000 familles bénéficiaires du PBF sont en situation d’IA modérée ou aggravée (elles ont vécu, trois mois avant la recherche, des restrictions alimentaires ou même la faim). Les familles bénéficiaires dépensent, de manière générale, en moyenne 200 reais mensuels en nourriture, ce qui représente 56 % du revenu du foyer. Pour les familles en situation d’IA aggravée, le pourcentage est de 70 %. Les données démontrent que ce sont justement ces familles les plus vulnérables à la faim qui utilisent la majeure partie de leur budget à l’alimentation et qui, de ce fait, sentent le plus l’impact d’augmentations dans les prix des denrées alimentaires.
Selon la recherche, les principales répercutions du PBF sur l’alimentation de la famille concernent une plus grande stabilité dans l’accès et une augmentation dans la quantité et la variété des aliments. La garantie d’un revenu régulier additionnel au budget du foyer apporte une plus grande sécurité aux familles et permet la planification de dépenses et de modifications dans le modèle de consommation alimentaire. C’est dans le Nordeste, et chez les familles qui présentent les formes les plus graves d’IA (modérée ou aggravée), que sont constatés les plus grands changements, ce qui est particulièrement significatif étant donné que ce sont justement ces familles qui présentent une alimentation insuffisante et moins variée (2).
Même si l’augmentation du revenu favorisé par le PBF est devenue un avantage au niveau de la qualité et de la diversification alimentaire, selon les personnes interrogées, le prix élevé des denrées alimentaires a été le principal frein à la consommation alimentaire de tous types. Il est clair que la possibilité de ces familles d’accéder à une alimentation adéquate dépend, surtout, de leur pouvoir d’achat et de ces prix.
Répercutions de la crise
Selon les données du Département Intersyndical des Statistiques et des Études Socioéconomiques (Dieese), le prix du panier de base a accumulé, ces 12 derniers mois, des augmentations dans les capitales qui ont atteint les 46,5 % ; la région Nordeste (où il y a le plus de familles touchées par la faim) étant la plus sensible au changement.
Durant cette même période, les augmentations du prix du riz dans les différentes capitales ont atteint entre 13 % et 47,5 % et celui du haricot entre 94,9 % et 171,6 % en entraînant un impact significatif sur le budget domestique des familles les plus pauvres (dont la base de l’alimentation réside dans cette combinaison de produits). L’augmentation du prix des denrées alimentaires, telles que la viande et les tomates, de 39 % à 217,8 %, va se traduire par une augmentation des difficultés existantes à obtenir, pour ces familles, une alimentation variée (tendance qui était renforcée à partir de l’augmentation du revenu favorisé par le PBF).
Si les familles bénéficiaires du programme dépensaient, en septembre 2007 (date de la collecte des données), en moyenne, 56 % de leur budget en alimentation, il faut s’attendre, avec l’augmentation de ces derniers mois, à ce que ce pourcentage soit plus élevé, de manière à accompagner l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Il faut s’attendre, également, à ce que l’augmentation du revenu de ces familles ne soit pas proportionnelle à cette hausse (aggravant, nécessairement, les conditions de sécurité alimentaire auxquels elles sont soumises).
Face à ce scénario, la diminution de la quantité des aliments consommés et la chute drastique de la qualité et de la diversité est une stratégie inévitable de survie, ce qui compromet, sans aucun doute, encore plus la santé des familles.
L’impact de la crise sur la structure budgétaire des familles se reflète, également, sur d’autres unités prioritaires de consommation domestique pour le développement humain, telles que le matériel scolaire, les vêtements et les médicaments. Outre cela, ces familles qui aujourd’hui se trouvent dans des conditions d’IA légère et modérée risquent de basculer vers une IA aggravée (en configurant une conjoncture de plus en plus proche d’une crise humanitaire).
Stratégies d’affrontement
La situation à laquelle sont soumises les familles bénéficiaires du PBF reflète un tableau de la réalité brésilienne que nous n’arrivons pas ou que nous ne préférons pas, souvent, entrevoir. L’idée d’un pays en plein développement, pour lequel l’exportation des denrées alimentaires reflète un des moteurs de sa croissance économique, coexiste avec le fait qu’au moins un tiers de la population vit quotidienne avec le spectre de la faim.
Cette contradiction, avec laquelle nous nous habituons à vivre, tend à s’accentuer avec la crise mondiale alimentaire actuelle ; et principalement, si nous continuons à suivre les tendances de libéralisation du commerce et de déréglementation du marché et à parier sur la capacité du marché libre à solutionner cette crise.
Le propos, dans ce texte, n’est pas de discuter à fond de la crise, ni de proposer des sorties. Mais, à titre de réflexion, il convient de supposer que les causes sont multiples dans un contexte de marché globalisé qui tend à réduire les aliments à une condition exclusive de marchandise.
Plus qu’approfondir le débat nécessaire sur les alternatives à moyen et long terme (qui passent, nécessairement, par une révision du modèle global de production et de consommation des aliments), les recommandations à suivre prétendent apporter des réponses plus immédiates aux familles qui ne peuvent attendre.
Ce sont des actions directes et simples à appliquer, en grande partie des politiques publiques déjà en place qui peuvent être perfectionnées ou modifiées, afin de minimiser les effets de la crise et de maintenir une partie des réussites importantes obtenues en termes de SAN.
La compréhension des façons dont les familles bénéficiaires du PBF accèdent à l’alimentation, également évoquées dans la recherche, apporte des éléments à une réflexion sur les possibles stratégies d’affrontement de la crise, plus adaptées à la réalité des familles pauvres brésiliennes.
Il convient d’ajouter que pour 96,3 % des familles bénéficiaires du programme, l’achat d’aliments est une des principales formes d’accéder à l’alimentation, suivi de l’alimentation scolaire (33,4 %). L’aide de parents et d’amis est également significative (19,8 %), tout comme la production d’aliments pour la consommation propre (16,6 %). Les dons de nourriture (9,7 %), la chasse, la pêche et/ou l’extractivisme (8,5 %) et les programmes publics d’aide alimentaire (4,7 %) sont les formes d’accéder à l’alimentation qui apparaissent comme les plus significatives.
Les données formulées dans la recherche ne laissent aucun doute quant au fait que la principale forme d’accès à l’alimentation s’effectue, de manière générale, sur le marché. Ceci fait du revenu monétaire la condition première, et des ressources apportées par le programme un complément fondamental au budget familial, principalement pour la majorité des familles qui sont sur le marché informel et pour lesquelles le PBF représente le seul revenu mensuel garanti et régulier.
Face à la disparité du prix des denrées alimentaires (considérant la perte de pouvoir d’achat que la crise représente particulièrement pour ce segment de la population) et afin d’éviter une réversion des avantages apportés alors par le programme, le réajustement dans la valeur du bénéfice, sur la base de l’inflation relative aux augmentations du coût du panier de base, se présente comme une stratégie immédiate d’impact direct sur les familles les plus pauvres et qui peut être appliquée facilement.
Le Brésil ne serait pas le premier pays à actionner une politique de transfert monétaire déjà établie avec un instrument efficace activé en période de crise. Le gouvernement du Mexique a annoncé une augmentation de la valeur, passant à 26 millions le nombre de personnes bénéficiaires du programme de transfert Oportunidades.
L’alimentation scolaire est une autre voie d’accès direct pour les familles les plus pauvres qui peut être actionnée. Classé comme le second moyen d’alimentation le plus important, 83,4 % des membres des familles bénéficiaires qui sont scolarisés y ont accès. Dans ce sens, la stratégie d’affrontement de la crise proposée réside dans l’augmentation de la valeur per capita de l’alimentation scolaire et de son extension à l’enseignement secondaire, selon le projet de loi, en cours de discussion au Congrès national.
Pour les familles rurales, la production d’aliments pour la consommation propre permet de répondre aux besoins alimentaires, malgré l’instabilité de leur revenu. Et, dans de nombreux cas, elle permet une alimentation plus adéquate, sans pesticides et plus proche de leurs habitudes alimentaires.
Selon les données de la recherche, 60,4 % des familles rurales bénéficiaires du programme plantent un certain type d’aliment ou élèvent des animaux pour leur consommation propre, ce qui démontre le potentiel de cette forme d’accès garantissant une alimentation appropriée, principalement parce que les zones rurales présentent des indices significatifs d’insécurité alimentaire grave.
La promotion des actions pouvant valoriser, promouvoir et soutenir la production d’aliments spécifiquement pour ce segment le plus vulnérable de l’agriculture familiale passe, nécessairement, par l’expansion de moyens d’aide à l’agriculture familiale, comme l’extension du crédit agricole, et plus particulièrement du Programme national d’Agriculture familiale (Pronaf B).
Dans la région semi-aride brésilienne, qui enregistre le plus grand pourcentage de familles en situation d’insécurité alimentaire aggravée, il convient de renforcer l’importance du programme « Un million de citernes +2 » qui vise à subvenir aux besoins en eau pour la production des denrées alimentaires.
Il convient de rappeler que les familles bénéficiaires du PBF qui se consacrent à l’agriculture de subsistance sont à la fois productrices et consommatrices d’aliments. Par conséquent, en aidant à la production, il y a une amélioration simultanée tant de la consommation alimentaire de la famille que de l’offre locale des denrées alimentaires.
Dans ce sens, il est recommandé de renforcer les politiques qui augmentent la demande de produits issus de l’agriculture familiale, au moyen de l’articulation de la production locale avec les frais publics en alimentation (écoles, hôpitaux, prisons, refuges, crèches) (selon les modèles de ce qui est déjà appliqué au moyen du Programme d’Acquisition des Aliments (PAA) du ministère du Développement social et de la Lutte contre la faim (MDS), toutefois très en deçà de la demande présentée).
Il existe, également, une série de programmes d’aide alimentaire, comme les restaurants populaires, les banques alimentaires, les cuisines communautaires et les commerces discount, qui permettent de proposer des denrées alimentaires appropriées et peu consommées, comme les légumes, les fruits et la viande, à des prix plus bas.
De telles actions sont appliquées, principalement, dans les grands centres urbains ; toutefois, encore de manière assez discrète. Dans la conjoncture actuelle d’une crise mondiale alimentaire dont la fin n’est pas prévue pour demain, ces stratégies peuvent être plus appropriées pour les gouvernements locaux (qui ont également besoin de reconnaître leur part de responsabilité dans la garantie du droit de l’homme à l’alimentation).
Affronter la crise dans une perspective de droit de l’homme à l’alimentation, surtout en défense des personnes les plus pauvres, confirme et souligne la direction que le PBF a pris et qui a permis des apports d’une grande valeur dans le cadre des droits sociaux. Pour que ces profits ne soient pas perdus dans un contexte de crise mondiale alimentaire, la société doit comprendre la gravité de celle-ci sur la classe la plus pauvre de la population, et les gouvernements doivent avoir le courage de prendre la responsabilité d’assurer ce droit.
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, Brésil
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