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Les modes de vie durables (sustainable lifestyles), ou l’action au quotidien

En Europe du nord, la ville durable est celle qui favorise des modes de vie « durables » en appelant à des changements de comportement.

Cyria Emelianoff

2001

En Europe du nord mais tout particulièrement en Scandinavie et au Danemark, la ville durable est celle qui favorise des modes de vie « durables », respectueux de l’environnement local et planétaire, en appelant à des changements de comportement. L’optique est de construire une société de consommateurs, d’acteurs et de citoyens écologiquement responsables. La mobilisation s’effectue moins sur une base communautaire, à l’instar du monde anglo-saxon, qu’à partir de l’éveil des consciences individuelles, encouragé par l’éducation à l’environnement ou au développement durable, depuis l’âge scolaire jusqu’à la formation continue pour le personnel des administrations et les élus. C’est en Suède qu’on trouve une des expressions les plus abouties de cette responsabilisation.

La clef d’entrée par les modes de vie traduit d’autre part une démarche axée sur la prévention. Les problèmes de santé sont par exemple analysés et rapportés en Suède aux modes de vie : tabagisme et drogues, types de nutrition et d’exercice, catégories d’habitation plus ou moins allergènes (1), degrés d’exposition à la pollution atmosphérique, stress, mode de conduite routière, etc. Certains modes de vie sont considérés plus sains ou plus écologiques que d’autres, un thème relativement passé sous silence dans d’autres pays, et qui ne fait pas en tout cas l’objet de politiques municipales. A condition d’être abordées sans excès, sans normalisation excessive des modes de vie (2), ces questions relèvent bien du champ d’intervention d’une municipalité, de son devoir d’information, en premier lieu. Elles constituent aussi un levier efficace de changement.

La moitié des municipalités suédoises se sont dotées de plans de santé publique et une dizaine d’entre elles ont engagé des études d’impact sur la santé, destinées à évaluer leurs politiques (3). Les municipalités ont capitalisé une expérience en ce domaine, comme le montre l’exemple de la ville de Sundsvall qui a initié une politique de prévention des allergies depuis 1989. A titre de comparaison, et bien que l’asthme affecte une part croissante de citadins, aucune politique publique locale n’a encore été définie en France pour endiguer cette pathologie, qui ne touche pourtant pas identiquement les territoires.

La participation des habitants dans les actions des agendas 21 locaux est conçue elle aussi comme un facteur de réorientation des consommations, des modes de vie et des comportements (4). Cette approche ambitieuse ne traduit pas un désengagement des pouvoirs publics mais vient compléter l’action municipale. Le gouvernement suédois finance substantiellement les projets locaux de développement durable et les emplois de coordinateurs des agendas 21 (5). Les élus locaux, eux, sont assez sensibilisés à la dimension politique du développement durable. Les municipalités travaillent en collaboration avec le secteur associatif, qui peut être à l’origine de la mise en place d’un agenda 21. Les modes de vie durables sont l’occasion en Scandinavie d’appuyer les initiatives associatives, la création d’emplois et de services « verts », subventionnés par l’Etat ou par les villes (6). La politique en faveur de l’emploi soutient ainsi les politiques écologiques.

Une attention spécifique est portée à l’économie de ressources, à l’usage de ressources renouvelables et aux recyclages, à tous les niveaux, du compost individuel aux stratégies d’écologie industrielle ou à l’aménagement du territoire. La Suède s’est dotée au début des années quatre-vingt dix d’une loi sur la gestion cyclique des matériaux, ainsi que d’une Commission nationale des cycles écologiques, qui cherche notamment à diminuer l’impact des emprises urbaines sur le milieu naturel. Le rapport de l’association des collectivités locales suédoises (SALA), intitulé « Eco Cycles » (7), écrit en collaboration avec le conseil suédois des experts sur les questions environnementales, a par ailleurs ouvert un débat national, en 1992, sur le développement durable.

Raccourcir la longueur des cycles de traitement en rapprochant le traitement et la consommation, économiser les transports et les infrastructures, protéger l’espace naturel et réduire les empreintes écologiques sont des préoccupations couplées (8). Le souci de respecter les cycles de la nature est omniprésent. Il s’exprime jusque dans l’organigramme des municipalités. L’une des huit directions administratives de la ville de Stockholm est ainsi vouée aux cycles écologiques, aux côtés de la direction de l’environnement et des loisirs.

Deux dimensions originales caractérisent encore la réflexion scandinave sur l’environnement urbain : d’une part, le souci de la qualité des ambiances intérieures, de l’atmosphère des bâtiments, qui tend à être trop confinée et polluée, d’autre part, l’adaptation des lieux publics et des bâtiments à toutes les tranches d’âge et conditions : enfants, personnes âgées, handicapés en particulier. La ville et les transports publics sont conçus pour être accessibles à tous. La ville doit être en somme plus douce pour les citadins et pour l’environnement.

L’évolution des modes de vie et des comportements est également une thématique explicite aux Pays-Bas. Le premier plan national des Pays-Bas pour l’environnement, NEPP 1, élaboré par quatre ministères en 1989, se référait déjà au développement durable mais était tourné vers la responsabilisation des grands secteurs de production économique (agriculture, industrie, transports). Les progrès techniques n’ayant pas suffi à stabiliser la consommation de ressources telles que l’énergie, le second plan, NEPP 2 (1994), proche d’une stratégie nationale de développement durable, s’oriente vers les modes de vie durables, dans l’idée surtout de dissocier pression sur l’environnement et croissance économique. Les PME sont incitées à concevoir des produits écologiques attractifs sur le marché, les commerces, à développer les livraisons, les citadins à économiser l’eau, l’énergie, les déchets et leurs automobiles, qui sont taxés, et les municipalités, à mettre en place des agendas 21 locaux. Le 3° plan national pour l’environnement, en 98, fixe des objectifs à tous les groupes cibles concernés par la politique environnementale (producteurs et consommateurs), dont la contribution aux problèmes d’environnement est évaluée et chiffrée. La ligne de conduite est d’appuyer des stratégies gagnantes sur un plan économique et environnemental (9), de travailler au découplage entre croissance économique et dommages environnementaux.

Il en va différemment dans certaines municipalités suédoises, où les habitants ont le choix de leur source d’énergie mais assument une surfacturation pour disposer d’une énergie renouvelable. La municipalité achète des parts d’énergie à différentes compagnies en respectant les choix des habitants (10). Cette « demande » est encouragée par des campagnes d’information sur le développement durable, sur les consommations et comportements qui épargnent l’environnement, comme l’arbitrage en faveur de produits régionaux ou les changements d’habitudes de consommation pour réduire les déchets à la source.

Les impacts écologiques locaux et globaux des gestes quotidiens font l’objet d’analyses et de débats publics. Le bureau de l’agenda 21 de Stockholm évalue par exemple à la demande des habitants leur profil environnemental, en fonction des variables qui caractérisent leurs modes de vie et de consommation. En connaissant les impacts négatifs de leurs consommations, les citadins peuvent s’efforcer de modifier leurs modes de vie dans le sens de la durabilité : c’est du moins ce que leur propose le bureau de l’agenda 21…

Plus largement, il existe de nombreuses initiatives qui s’efforcent de rendre les comportements moins consuméristes, avec des échos variables, faible dans le cas de « la journée sans achats » en France. La plus globale est celle du programme GAP, Global Action Plan, implanté dans 13 pays, particulièrement aux Pays-Bas et au Danemark, créé en 1989 avec l’appui de l’ONU et du PNUE pour encourager l’adoption de modes de vie écologiques par les communautés locales qui se portent volontaires. Le GAP propose une méthodologie pour faire évoluer les comportements, en s’appuyant sur de petites équipes, les « Ecoteam », qui sont des groupes d’habitants dans un même voisinage coordonnés par un animateur.

Les habitants intéressés par ce programme se rencontrent régulièrement et reçoivent durant un semestre un dossier d’intervention mensuel sur l’eau, les déchets, l’énergie, les transports, les achats courants et la consommation générale. Les informations sont simples, comportent des indications permettant de réduire la consommation domestique de ressources naturelles, le volume de déchets ménagers. Des listes de contrôle des tâches et des fiches de vérification permettent d’évaluer et d’enregistrer les résultats obtenus. Ce travail individuel est encouragé par l’équipe, qui tente d’entraîner une proportion notable d’habitants dans un certain voisinage, par exemple 10%. Les résultats des différentes équipes font l’objet de rapports et d’échanges à l’intérieur du réseau du GAP. L’effort consenti se traduit par une baisse des factures, ce qui assure le succès de l’opération. L’objectif est de sensibiliser plus largement les citadins aux impacts de leurs consommations, et de leur montrer des moyens simples pour les réduire.

Au Danemark, le programme national sur les styles de vie écologiques initié en 1994 fait partie du GAP et a été appuyé par les animateurs du réseau national des agences de l’énergie et de l’environnement. Un quart des ménages danois ont participé en sus au programme « Ecofeedback », « Rétroaction écologique », visant une maîtrise de la consommation énergétique et de la production de déchets par des retours d’information hebdomadaires sur cette consommation.

dossier

Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique

Commentaire

Tiré de : Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique

Par Cyria Emelianoff (Groupe de Recherche en Géographie Sociale de l’Université du Maine, ESO, UMR 6590 du CNRS)

Notes

1 L’association suédoise des autorités locales (SALA) estime qu’un adulte sur quatre et deux enfants sur cinq présentent une hypersensibilité aux allergies.
2 Mais le consumérisme les normalise d’une autre façon.
3 Local action on the environment, The Swedish model, 2001. Swedish Association of Local Authorities, Sverige
4 ICLEI, DIFU, 1999, op. cit.
5 800 millions d’euros y ont été consacrés de 1997 à 2001. Lafferty, 2001, op. cit.
6 La Finlande et la Norvège sont beaucoup plus en retrait mais ont des analyses similaires.
7 Ecocycles. The basis of sustainable urban development, 1992. A report from the Environmental Advisory Council, Stockholm. 107 p.
8 Plusieurs exemples : l’Agenda 21 de Stockholm : European sustainable city award, 1996. 14 p + annexes. Ou celui de Lahti, en Finlande : Resource saving by increasing urban density, Learning new skills. Finnish Municipalities toward sustainability. The Association of Finnish Local Authorities, pp 46-47.
9 Baptisées stratégies « win-win ».
10 La Suède utilise 30% d’énergies renouvelables : hydroélectricité et biomasse
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